Alors que le blocage politique, né d'une tentative de passage en force du président Mohamed Morsi persiste et s'aggrave depuis deux semaines, chacun attendait une réaction de l'armée. Elle est venue hier, marquée par un souci d'équilibrisme entre les deux camps,les islamistes d'un côté et la gauche et les libéraux de l'autre. Mais le message comporte aussi un avertissement aux deux parties en conflit. Quelles options pour l'armée en cas d'aggravation de la crise? L'armée en appelle au dialogue et au respect de la légalité. L'armée qui avait attaqué par les deux camps, quand elle exerçait directement le pouvoir, se met en apparence à distance de la grande polarisation du champ politique, entre islamistes (Frères Musulmans et Salafistes) d'un côté et libéraux et organisations de gauche de l'autre. Chaque camp pourra trouver ce qui l'arrange dans cet appel au «respect de la légalité et des règles démocratiques sur lesquelles nous nous sommes tous entendus. »L'armée en appelle au dialogue qui est «la meilleure et la seule voie» pour résoudre la crise et arriver à un « compromis et de représenter au mieux les intérêts de la Nation et de ses citoyens.»Dans ce communiqué pesé, les militaires lancent cependant un avertissement sur les risques de dérapages d'une crise grave où les protagonistes campent sur des positions inconciliables. En l'absence d'un dialogue permettant une solution à la crise serait, indique l'armée égyptienne, «nous emprunterions un sentier obscur qui déboucherait sur un désastre». Nous ne saurions le permettre», avertit l'armée. AVERTISSEMENT Un message laconique qui signifie clairement qu'elle pourrait entrer dans le jeu, pour siffler la fin d'une partie dangereuse pour le pays. Et rien n'indique que l'on va vers une solution tandis que les esprits s'échauffent dans une Egypte profondément divisée. L'opposition qui a exigé l'abrogation du décret,par lequel Mohamed Morsi s'est octroyé tous les pouvoir et l'annulation du référendum sur la constitution prévu le 15 décembre, a rejeté comme non sérieuse une proposition de dialogue du président, qui a refusé les deux exigences. Treize partis et mouvements islamistes, dont les Frères musulmans et les salafistes du parti Nour ont rejeté toute idée de report du référendum sur la Constitution. Cette prise de position intervient après un semblant d'ouverture, manifesté vendredi par le vice-président Mahmoud Mekki qui avait indiqué qu'un report du scrutin pouvait être envisagé. Ces partis «insistent pour que le référendum sur la Constitution ait lieu à la date prévue (15 décembre ndlr), sans modification ni report,»selon un communiqué lu à la presse par le numéro deux des Frères musulmans, Khairat Al-Chater.La polarisation entre les deux camps est totale.L'opposition, libérale, laïque ou de gauche, ainsi que des coptes plutôt méfiants, qui était en situation de déliquescence a été paradoxalement réveillée par le passage en force opéré par Mohamed Morsi. La contestation n'est plus limitée aux appareils politiques, elle concerne des catégories sociales importantes qui craignent ouvertement un système rigide. La grande inquiétude tient au fait que les troupes dans les rues sont en voie de radicalisation et passent à la violence. UN NOUVEL «ORDRE» FM+ARMEE ? Mohamed Morsi qui aurait agi en solo, entouré par des technocrates islamistes libéraux venus d'université occidentale, aurait accumulé des erreurs d'appréciation politique qui mettent le pays dans une situation périlleuse. Il ne peut pas reculer sans s'affaiblir politiquement. Mais pour tenir un pays où une partie de la population est en situation de désobéissance civile, il devra s'appuyer sur l'armée qu'il a œuvré à essayer de mettre au pas. Les militaires qui sont en embuscade pourraient éventuellement siffler la partie pour tout le monde, mais c'est une option trop risquée. Par contre, ils pourraient monnayer leur soutien au président Morsi, l'Egypte passant ainsi vers un ordre «nouveau» fondé sur une alliance entre l'armée ( qui incarne parfaitement l'ancien régime) et les islamistes qui ont des capacités, indéniables, pour exercer un contrôle social. Une telle alliance aboutirait à marginaliser l'actuelle opposition. Est-ce un signe? Le journal Al Ahram a indiqué que le gouvernement a approuvé une mesure permettant aux forces armées de «maintenir la sécurité et de protéger les institutions vitales de l'Etat». Les forces armées seront dotées du pouvoir d'arrêter des individus. Des prérogatives qu'elles avaient sous Moubarak et qui sont de retour après une suppression de courte durée. L'alliance entre les FM et l'armée est peut-être en marche.