Invité dans le cadre des «Conférences d'Oran» qu'organise la faculté des sciences sociales le dernier mercredi de chaque mois, Daho Djerbal, maître de conférences à Alger II et directeur de publication de la revue Naqd, a entretenu son assistance sur «l'Organisation spéciale de la Fédération de France». Soulignons qu'auparavant cette manifestation (Conférence d'Oran) était organisée en partenariat avec le CEMA et que désormais elle est prise uniquement par l'Université Es-Sénia. Son prochain invité attendu le 27 février prochain est le politologue Mohamed Hachmaoui dont la communication s'intitule « Tribalisme sans tribus ». Pour le mois de mars, elle recevra le sociologue tunisien Bouazizi, frère de celui qui a été derrière le déclenchement de « la révolution du jasmin » en Tunisie. Quant à Daho Djerbal, il a commencé ses interventions par des balises d'ordre méthodologique. Il a expliqué les raisons de son choix d'accorder à la parole le statut de document. Pour lui, 80% des archives et écrits qui servent de matériaux à l'élaboration de l'histoire de l'Algérie, notamment à l'histoire de la guerre de libération nationale, sont le produit de l'administration coloniale et des militaires français. Ce qui lui fait dire que les historiens élaborent l'histoire d'un événement fondateur avec le regard du colonialiste. Donc s'inscrivant en faux par rapport à la démarche académique de mise, Daho Djerbal a privilégié « le document oral », c'est-à-dire le témoignage, en lui appliquant les mêmes exigences requises pour le document écrit, soulignera-t-il. Cette démarche, après sa mise en œuvre, lui a permis d'accorder la parole à ceux qui en ont été privés pour des raisons éminemment politiques. C'est justement le cas des membres de l'Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN. Pourtant, expliquera-t-il, cette organisation a été chargée d'une mission des plus vitales pour la suite de la lutte armée en 1957 : transférer le combat sur la terre de l'occupant, fait inédit dans les histoires des guerres de libération, soulignera-t-il. Pour étayer sa thèse d'évacuation pour raison politique de cette « organisation spéciale » de l'historiographie officielle, il notera que le livre « La 7ème wilaya » (c'est-à-dire la Fédération de France) d'Ali Haroun ne lui a consacré qu'une demi-page. Pourtant, ce livre, publié aux débuts des années 80, est un événement en soi. Parce que la Fédération de France a pris position en faveur du GPRA (Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne) lors de la crise de l'été 1962, l'historiographie officielle a tout bonnement censuré tout ce qui s'en rapporte et l'a condamné à l'oubli. Daho Djerbal donnera deux exemples de membres de l'Organisation spéciale omis par l'histoire officielle : Zina Haraigue et Slimane Medadi. La première, issue d'un mariage mixte, a rejoint les rangs de l'Organisation spéciale à l'âge de 17 ans. Elle a accompli des missions des plus dangereuses ; transport d'armes et d'argent notamment. Grâce au respect que lui vouait une partie de l'émigration en France, en raison entre autres à l'aura de son frère chef de l'organisation tombé dans les mailles de la police française, Zina occupera de fait le rôle de responsable de l'organisation au niveau de sa région au nord de l'Hexagone. Ce qui ne l'a pas épargnée de l'oubli. D'ailleurs, le conférencier notera qu'elle n'a jamais été désignée dans aucune instance dirigeante du FLN-ALN. Le second cas est revenu dans son douar natal après les accords d'Evian après avoir souffert des affres de la détention à cause de ses activités militantes. Il est l'auteur de l'assassinat du sénateur Benhabilès, fervent défenseur du système colonial. De retour chez lui, il butera en premier lieu sur la non reconnaissance, par ses amis d'enfance en premier lieu et des officiels. Daho Djerbal expliquera que c'est Nasreddine Aït Mokhtar, premier responsable de l'Organisation spéciale, qui lui a fourni les premiers témoignages et les premiers documents qui s'en rapportent. Le travail de collecte des témoignages et de leur recoupement a pris dix ans au chercheur puisqu'il s'était étalé de 1986 à 1996. L'on apprendra aussi de la bouche du hôte de l'Université d'Oran que Lakhdar Ben Tobal, un des chefs historiques de la Révolution, lui a accordé des témoignages consignés dans un livre encore sous séquestre (frappé de censure) depuis la fin des années 80. Sur la même lancée, le conférencier s'est interrogé sur le sort des témoignages récoltés à partir de 1984 par la commission instaurée par Chadli pour écrire l'histoire. Il dira que cette commission a recueilli des sommes colossales de témoignages des acteurs de premier plan, dont il ignore jusqu'ici le devenir.