Vos propos, monsieur Abdelatif Baba Ahmed, ministre de l'Education nationale, rapportés par «El Watan», le 6 janvier dernier, sont réjouissants. Pour vous donc, comme pour beaucoup d'Algériens dont vous vous êtes fait l'interprète, «l'enseignement de la langue Amazighe, et sa généralisation dans tous les établissements scolaires du pays, reste l'une des priorités de la tutelle». Bravo. Ce qui pourrait inquiéter, cependant, dans cette déclaration, c'est ce bémol. Vous complétiez votre pensée par cette phrase: «C'est l'une de mes priorités, tant que je suis à la tête du secteur». Et si vous ne l'êtes plus, qu'adviendra-t-il de cette belle orientation ? Y aurait-il donc un os ? Notre confrère, vous citant, ajoute : «le ministre a expliqué que cela dépend des besoins en la matière». Un pas en avant, deux pas en arrière ? L'initiative est rare - pour initier et mener à terme un telle politique - pour ne pas engager les pas suivants qui s'imposent. Car il s'agit de se rallier, sans demi mesure, à l'évidence, à l'histoire de notre Nation et à sa composition. Et, dans la foulée, faire aimer ce pays, ces choix à tous nos enfants, afin de cesser de n'exister que CONTRE une partie de nous même, contre notre voisin, contre un gouvernement, contre tout ce qui bouge comme c'est souvent le cas dans notre comportement quotidien. Le temps est venu d'apprendre ce qu'être POUR, aussi, veut dire et qui mérite d'être proclamé. C'est aussi agréable d'être positif. Non ? Au nom de quoi ? POUR montrer que notre capacité est intacte de changer le cours des choses à chaque étape de notre vie, que Al Thaoura al Djezairiya doit demeurer une conquête et ne pas la dévaluer par l'intitulé Harb at Tahrir. Une dévaluation sournoise du langage. Comme ailleurs on n'appelle plus les sourds, les sourds, mais des mal entendant et des travailleurs, des salariés. Il est temps que les gènes du CONTRE, que nous avons porté pour nous libérer de tous les envahisseurs, soient reprogrammés. Ils ont affecté notre bile. Une sécrétion folle qui dérègle tout le mécanisme du corps. Nous sommes là avec nos crampes. Et nos pulsions incontrôlées. Nous en avons tous conscience, pourtant. Depuis longtemps. Un respectable directeur de l'information racontait, au cours d'une conférence aux étudiants mobilisés durant l'été 67, pour les calmer après la cuisante défaite militaire des troupes égyptiennes, qu'au cours d'un congrès réunissant les plus éminents chouioukhs à Tunis, plusieurs d'entre eux déjeunaient et devisaient paisiblement quand l'un d'eux, identifiant son collègue, prestigieux leader de la réforme, de l'Islah, en Algérie, lui fit des compliments sur son pays et sur les Algériens qu'il avait connu dans sa jeunesse. " Par Dieu, lui dit-il, j'ai rarement rencontrés dans ma vie de telles individus qui peuvent se prévaloir de tant de qualités, de générosité, de don de soi. Ils ont toutes les qualités ". Il marqua un temps avant d'ajouter : " à l'exception d'une seule ". Notre cheikh bondit à ce moment de sa chaise pour lui crier à la face " laquelle, laquelle, de quoi tu parles, toi ? ". Le vénérable homme lui répondit " de ça, mon frère, de ça ! De vos nerfs " Reconnaissons que ce fut bien dit. Non ? Mais il n'est pas tard de faire quelque chose. Comme nous reprogrammer. POUR une société juste, celle promise à des centaines de milliers de femmes et d'hommes qui ont habité les maquis et fait des zones libérées des zones interdites pour l'armée d'occupation durant plus de sept ans. Qui ont fait des quartiers des centres urbains un territoire libre malgré les patrouilles militaires d'occupation. POUR la médecine gratuite dans des hôpitaux décents, modernes ; POUR des écoles où les enseignants sont honorés, rétribués pour leur abnégation, leur compétence. Ces femmes et ces hommes qui forment les femmes et les hommes de demain. POUR tous les principes qui militent en faveur d'un espace arabe et berbère uni, où les uns et les autres se reconnaissent, en une Algérie où chaque région est désenclavée psychologiquement par rapport aux autres. En somme, réapprendre à penser le " nous ", celui qui libère. CONTRE " le sauve qui peut " qui a fait du " je " l'alpha et l'oméga de notre vie à tous. CONTRE l'agression des personnes et les biens illustrée par les barreaux aux fenêtres, et les portes blindées des appartements. Et si nous sommes dans de si bonnes dispositions, pousser plus loin. Apprendre à tous nos enfants qu'il n'y a pas de nation " qui se vêt d'une toge point tissée de ses mains ", qui " acclame un tyran comme un héros et qui estime bienfaisant son conquérant de pacotille ", qui " méprise les rêves de ses ambitions, et qui se soumet à leur éveil ", qui " n'élève la voix que dans ses funérailles, qui ne se glorifie que parmi ses ruines, et ne se révolte qu'entre le glaive et le billot ", le malheur d'une " nation qui accueille son nouveau souverain en fanfare pour le renvoyer plus tard sous les huées et en acclame un autre sous les mêmes sons de trompettes ", " où les sages sont rendus muets par l'âge tandis que les hommes vigoureux sont encore au berceau ". Ces strophes sont extraites d'un poème qui mérite de figurer - s'il ne l'est déjà - au programme scolaire de votre département, monsieur le ministre.. Son titre ? " La Nation ". Son auteur ? Gibran Khalil Gibran. Mais relativisons. A coté de nos gènes, il existe, cependant, depuis toujours en nous, les germes de noblesse qu'évoquaient le Cheikh. Des germes dormant qui ne demandent qu'à être réveillés. L'auteur de ces lignes, en dépit de tout, n'est jamais surpris quand il entend un inconnu, passant devant lui dans la rue, lui lancer salam alaïkoum. Ca ne lui coute rien à cet homme de dire cela. Sinon de faire montre d'humanité. De fraternité et de volonté de paix. Et pour cet auteur, c'est si bon à entendre. Que dire alors ? Peut-être cette question : Quel sera le candidat aux présidentielles qui s'engagera à nous réunir, non pas autour de sa personne, mais autour des principes de l'Algérie millénaire, dont les langues partagées ? Et, une fois élu, s'en donner les moyens ? Wa salam aalaykoum el koul.