Est-ce un excès de pessimisme ? Je crains que nous ne vivions un avant-goût de ce que sera la campagne électorale. Dans la confusion idéologique qui perdurera au-delà. Et que l'on s'y complaise dans le fatalisme. L'atavisme. Les agitations des uns, les dénonciations des autres, les fiches de candidatures qui circuleraient presque sous le manteau. Tout cela, saupoudré d'invectives, ça ne présage rien de bon. Si nous tenons tous ces éléments pour annonciateurs de ce qui va suivre, l'opinion publique risque de démobiliser, de conclure ses réflexions par ces mots : ça vole bas. Très bas. Au ras des pâquerettes, s'il s'en trouve encore qui auraient osé éclore entre les dalles de béton des cités, garantes d'une prochaine vague d'une jeunesse à la dérive. Peu de candidats, déclarés, ont affiché, en effet, de quoi sera fait leur programme politique, ce qu'ils proposent au verdict des électeurs. Si tout se passe bien. Pour les autres, les ingrédients qu'ils ajoutent à la soupe qu'ils concoctent dans la cuisine de leurs partis respectifs restent un mystère. Ils ne nous disent ni comment ils aborderont les problèmes auxquels sont confrontés les jeunes, ni leurs solutions au chômage, ni leurs réponses aux inquiétudes des aînés, les orientations de leur politique en matière de santé publique, ni leur diagnostic et médication pour une agriculture en souffrance, encore moins des solutions à la crise aigue dans l'éducation nationale et la politique d'industrialisation. Ils attendraient le lancement officiel de la campagne électorale pour se lâcher dans la langue de bois. Les «on devrait». Et appeler leurs clans respectifs à battre les tambours autour de «hmarna khir mine aoudhoum». Nous, les arbitres, pressés, affamés d'idées nouvelles, de redressement, il nous restera, heureusement, le plaisir de lire et celui de nos cellules, pas encore érodées, de retenir les réflexions des chercheurs, des intellectuels du cru. Des femmes et des hommes capables d'assimiler une situation, proposer des solutions, sur la base d'analyses. Ces écrits, pointus, analyses aiguisées nous apprennent que la société est en panne. Qu'il y a mieux à faire. Pis. Qu'il y a le feu en la demeure. Et, qu'au lieu d'y aller avec des bidons remplis d'eau, en constituant des chaînes de solidarité pour éteindre l'incendie, il en est qui déversent un verre d'eau pour circonscrire le sinistre. Nos universitaires, nos chercheurs, nos intellectuels, qu'on écoute si peu, malheureusement, sont si clairs dans leurs attendus qu'il ne faudra espérer ni sursis des jurés que seront les prochaines générations, ni un appel au jugement, encore moins nous pourvoir en cassation. La perpétuité. Avec une réduction de peine, possible, quand ils prendront le relais. Pensent-ils, ces kamikazes, à tout ce qui nous attend ? Pas tous. Pour la plupart, ils ont fort à faire à régler des comptes pourtant à découvert. Ceux qui dénoncent, aujourd'hui, les arcanes du pouvoir se sont bien gardés de se positionner plutôt pour prévenir les dérives, s'il s'en trouvent. Nous leur en aurions su gré. Nous, nous savons bien d'où nous venons. Nous avons vécu ces toutes dernières années, à ce jour, de Parti unique et de la Pensée unique qui ne se déclaraient pas. Au bout du compte, nous ne voyons pas venir le bilan. Si ce n'est la crainte du dépôt de bilan. D'aller droit dans le mur. J'aurai compris les partis qui appellent à l'abstention si elle avait un sens dans un moment aussi crucial. Ce n'est pas le cas. On ne quitte pas la route en plein virage sans risquer de se retrouver dans le décor avec les conséquences que l'on devine. Sur le corps. Sur le corps social. Ceux qui la pratiqueront s'extrairont, de fait, du débat politique national. Il fut un temps, le temps colonial, où cette attitude avait une haute portée politique. Aujourd'hui libéré, le pays mérite mieux que ça. L'abstention devient démission, une attitude anti-citoyenne. En revanche, un bulletin blanc, lui, ferait son effet. Il fera mal. Il sera une affirmation. Politique. Quand on les comptabilisera, ils diront combien de citoyens sont attentifs, mobilisés pour sortir le pays des ornières. Mais que la pauvreté des débats, les perspectives, qu'on leur a proposées ne sont pas à la hauteur de leur ambition pour ce pays. Le bulletin blanc deviendra une forte conscience qui s'exprime. J'aurai pu écrire «bulletin rouge» pour expulser les partis démissionnaires du champ politique. Espérer un miracle ? Un redressement ? Il s'en trouvera, peut-être, un candidat, deux, trois pour nous proposer des variantes de contrat de société, sans arrière-pensées, des solutions, des vraies, des idées, applicables, des projets, réalisables. Pour le reste, la volonté commune, de tous les citoyens, d'être des citoyens-électeurs-entrepreneurs, se chargera pour leur donner corps. Dans un cadre républicain. J'ai un souvenir du défunt Henri Alleg, défilant un premier Mai 1965, sous la banderole «Alger Républicain» dont il était le rédacteur en chef, comme chacun sait. J'étais au «Peuple», juste derrière, parmi d'autres jeunes journalistes et travailleurs du quotidien. Il y eut un coup de vent. Notre banderole se pencha de manière imprévisible sur la sienne, risquant de l'emporter. Mon rédacteur en chef d'alors lui lança «attention Henri». Henri leva la tête et répondit, avec son inoubliable sourire, «Nour Eddine, la République n'a rien à craindre du Peuple». Ave Henri.