La politique économique mise en œuvre au cours des dernières années par le gouvernement algérien semble avoir de plus en plus de mal à recruter des adeptes. Tandis que Karim Djoudi «n'en peut plus» et s'en va, Mohamed Laksaci pèse avec une prudence consommée, les termes d'un rapport de conjoncture qui se fait attendre. Le vice-président du Conseil nationale économique et social (CNES), Mustapha Mékideche dresse, de son coté, un bilan au vitriol de l'état de l'économie nationale. Jusqu'à une période récente, le consensus des différents cercles économiques nationaux - experts indépendants, think-tanks et organisations patronales comprises - contre la fuite en avant dans la consommation improductive de la rente pétrolière, semblait avoir épargné les cercles dirigeants et leur périphérie immédiate. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et les défections risquent de se multiplier. DJOUDI REND LE TABLIER Dans les couloirs du ministère des finances à Ben Aknoun, il se murmure que le départ de M. Karim Djoudi ne serait pas dû à des problèmes de santé ainsi qu'on a bien voulu le laisser entendre. C'est de façon relativement feutrée, et en ménageant soigneusement la direction politique du pays, que les préambules des dernières lois de finance élaborées sous sa responsabilité, attiraient l'attention sur la nécessaire «prudence en matière de conduite de la politique budgétaire». Une plus grande prudence qui «nous oblige aujourd'hui à être beaucoup plus nuancés sur les augmentations des salaires,» précisait régulièrement depuis plus de 2 ans l'ex-ministre des finances. Le budget 2013 avait tenté, dans le prolongement des déclarations du ministre, de ramener les dépenses courantes à un "niveau plus acceptable", notamment grâce à la fin des opérations du versement des rappels sur les salaires de la Fonction publique. On connait la suite : des dépenses de fonctionnement qui poursuivent leur croissance irrésistible dans la loi de finance initiale pour 2014, tandis que les dernières décisions concernant la révision du célèbre article 87-bis et l'augmentation sensible des pensions de retraite rendront nécessaire, annonce-t-on déjà, une nouvelle loi de finance complémentaire avant la fin de l'été. Mais de là à conclure que Karim Djoudi a rendu le tablier, le pas est franchi par nombre de cadres du ministère. LES «AVERTISSEMENTS» DE LA BANQUE D'ALGERIE Depuis environ 2 années, le gouverneur de la Banque d'Algérie, Mohamed Kaksaci, multiplie également les «avertissements» sur la politique gouvernementale. À la veille de l'été 2012, c'est à la surprise générale que l'institution dirigée par M. Laksaci, avait délivré, contrairement à ses habitudes dans ce domaine considéré généralement comme réservé au ministère des Finances, un véritable "warning" sur les finances publiques nationales, en estimant que "désormais, l'équilibre budgétaire requiert des niveaux de prix des hydrocarbures supérieurs à 112 dollars le baril, pendant que les recettes budgétaires totales restent fortement dépendantes de celles, très volatiles, des hydrocarbures". La Banque d'Algérie avait récidivé, cette fois, au titre de l'année 2012 en attirant l'attention de l'Exécutif sur la tendance haussière des dépenses qui «représentent un risque majeur pour les finances publiques». Le chiffre le plus significatif cité par M. Laksaci, concernait la forte croissance des dépenses budgétaires totales en 2012, évaluées au niveau vertigineux de 22,5%. Un rythme qui "n'est pas soutenable", concluait le gouverneur de la Banque d'Algérie. La situation très tendue du budget de l'Etat n'est pas la seule raison des avertissements distillés par le locataire de la Villa Joly (Siège de la Banque d'Algérie NDLR). Publié en février 2014, le rapport de la Banque d'Algérie pour l'année 2013 a également plombé l'ambiance. Il indique clairement que la politique macroéconomique mise en œuvre depuis 2011 a conduit, en 3 ans, à la disparition complète des excédents financiers de la balance des paiements. On est ainsi passé de 20 milliards de dollars d'excédent en 2011 à 12 milliards en 2012 et à une situation de "quasi équilibre" en 2013. Des prises de position qui ont provoqué, au cours des derniers mois, des commentaires flatteurs sur «l'indépendance» de l'institution et ont valu à son principal responsable une réputation toute neuve de «courage». On attend donc avec curiosité et intérêt un rapport de conjoncture pour le premier trimestre 2014 qui se fait attendre, en témoignant d'un art du timing consommé de la part du gouverneur de la Banque d'Algérie... LE STATU QUO «SUICIDAIRE» DE MEKIDECHE Le vice-président du CNES, Mustapha Mekideche, tient en général des propos plus mesurés et n'était pas connu, jusqu'à une période récente, pour être le censeur le plus sévère de la politique gouvernementale. Il y a quelques jours, c'est pourtant sur une chaine de radio nationale qu'il a rappelé le seuil alarmant atteint par les importations (55 milliards de dollars en 2013), en imputant les retards enregistrés dans la mise œuvre d'une politique de substitution aux importations, aux «lobbies» et aux «groupes de pressions intéressés» par le maintien d'un statu quo «suicidaire» pour l'économie nationale. Mustapha Mékidèche ajoute que «la baisse en volumes de nos exportations d'hydrocarbures sur le marché pétrolier est une tendance lourde,» qui aura des incidences négatives sur le niveau des recettes issues de la fiscalité pétrolière. Pour faire bonne mesure, le vice-président du CNES juge également «inacceptable» de continuer à construire des logements «clés en main» en sollicitant le concours direct d'entreprises étrangères. Il relève que la démarche «d'un Etat social» ne doit pas être assimilée à celle «d'un Etat gaspilleur», en citant l'exemple des carburants et de certains produits alimentaires dont la subvention tout azimut a conduit à une consommation «irresponsable» et à des fuites importantes à travers les frontières. On a gardé le meilleur pour la fin, ce défenseur naguère intransigeant du rôle secteur public considère désormais que la stratégie de substitution aux importations, pourrait être mise en œuvre par «l'action concertée de grands groupes publics et privés nationaux, adossés à un réseau de petites et moyennes entreprises» ; la compétitivité des entreprises nationales pouvant être, par ailleurs, «notablement améliorée par l'acquisition d'actifs technologiques en Europe». M. Issad Rebrab, qui n'y avait surement pas pensé, a dû apprécier...