Le papier de Brahim Senouci intitulé Défaut de langue (Le Quotidien d'Oran, 27 août 2014) est, à ma modeste connaissance, la première analyse qui a fait face courageusement à un problème chronique, ayant souvent des poussées aiguës, saignantes et même purulentes. Monsieur Senouci nous rappelle la parole très juste du Paul Valéry. " La langue est la maison de l'être ". Une expression pertinente du poète français, qui va dans le même sens que l'ancien directeur du Monde, André Fontaine, qui a dit " la langue est un nationalisme ". L'écrivain algérien nous indique, avec une précision bien documentée, que la langue est l'instrument fondamental de la cohésion d'une nation. Il nous rappelle qu'un " pays aussi artificiel qu'Israël doit beaucoup de sa pérennité à l'intelligence de ses fondateurs, qui ont fait revivre une langue morte depuis des siècles, l'hébreu ". Il insista sur le fait que l'écrasante majorité des premiers dirigeants des usurpateurs de la Palestine, c'est-à-dire les ashkénazes, européens d'origine, qui n'avaient aucun lien avec le territoire conquis, étaient athées. " Ils considéraient avec un souverain mépris la religion juive, ses rabbins et ses adeptes ". Mais c'est l'hébreu qui a réalisé la cohésion de ces étrangers de la région avec les Sabra (juifs originaires de la Palestine et citoyens au même titre que les musulmans et les chrétiens) et les séfarades, juifs expulsés d'Espagne au même titre que les maures, par les très catholiques Isabella et Ferdinand. Israël ne s'est pas construit sur un socle religieux mais linguistique, malgré la revendication de ces leaders de l'entité hébreu d'un " Etat Juif ". Il me semble que c'est cet élément, entre autres, qui fut inspiré la volonté de l'arabisation du président défunt Haouari Boumediene. Mohamed Boukharrouba, autodidacte par excellence, bilingue distingué, lecteur averti de l'histoire, fin connaisseur des expériences des autres nations, et surtout, leader nationaliste animé par une ambition courageuse pour faire de son pays un exemple d'avant-garde politique, de développement économique et un pont civilisationnel à deux sens entre l'occident et le monde arabo musulman. Boumediene savait que tout doit passer par une unité nationale sans faille, dont le soubassement solide et incontournable est une seule et unique langue nationale. Ceci est inséparable d'une ouverture consciente et clairvoyante sur toutes les langues vivantes, sans restriction ni monopole, et une prise en charge juste et convenable des dialectes populaires de toutes les régions du pays. J'ai l'intime conviction que Boumediene a étudié profondément le secret de l'état qui a vaincu toutes les armées arabes depuis sa création en 1948 par une décision de l'ONU. Sans aucun complexe, le président algérien s'est inspiré des kibboutz israéliens, et non, comme pensaient certains, des kolkhozes soviétiques, pour son projet de villages agricoles, éléments essentiels de la révolution agraire. Son objectif était la réalisation d'une décentralisation démographique qui couvre une bonne partie du territoire national par des cellules dynamiques bien ancrées en terre, capables d'arrêter l'exode rural et de réaliser une autosuffisance alimentaire pour toute la région de la coopérative concernée. Les villages devaient être un rempart du patriotisme lié à la terre, et donc une première ligne d'autodéfense en cas d'une infiltration agressive, comme c'était le cas en octobre 1963. J'oserais dire que l'étude de Boumediene de l'expérience israélienne était derrière la conception des plaques minéralogiques d'immatriculation, remaniées pour s'adapter à la réalité algérienne. Nos plaques, uniques dans leur conception étaient suggérées par le Docteur Amir, S.G. à l'époque de la présidence de la république. Elles indiquent à la fois, l'appartenance départementale de la voiture, son usage, sa première année de mis en circulation et en fin son numéro d'ordre. Tous ces éléments en chiffres arabes et sans une seule lettre de l'alphabet. C'est vraiment une immatriculation internationale. C'est donc la force israélienne qui nous indique que la langue nationale unique est la base de la puissance. Nous n'avons nul besoin de nous référer aux pièges linguistiques de la Belgique, du Pakistan ou de l'Afghanistan, encore moins de rappeler que la première exigence pour avoir la nationalité d'un pays tiers est la parfaite connaissance de sa langue nationale. Mais que faire si la langue nationale soufre des, soi disant, anomalies qui rendent difficile son apprentissage. Senouci nous apprend que le choix de l'hébreu ancien, à peine modernisé, n'était pas fortuit, bien que " beaucoup de juifs plaidait à l'époque pour le yiddish, qui présentait l'immense avantage de compter de nombreux locuteurs dans la population ". Quelques années d'orientation politique animée par un nationalisme sans faille ont suffis pour convaincre toute la population que l'hébreu devait être la langue mère et le ciment de l'unité nationale. C'est que le choix de la langue doit répondre à des impératifs bien plus profonds qu'un besoin de communication. Ils " ont trait à l'âme d'un peuple, à son imaginaire, et à son degré de civilisation ". Mais Senouci ne s'arrête pas là. Il nous ajoute un autre exemple édifiant qui va dans le même sens. Il s'agit là de la langue japonaise, accusée par certains comme " un frein au développement. Cette langue s'est construite sur la base de Kangis, c'est-à-dire, des idéogrammes importés de Chine, qui sont au nombre de quarante-mille. Les plus lettrés n'en connaissent que deux mille ". " L'apprentissage de cette langue est certes pénible mais qui dira les bienfaits de cette école de la difficulté dans la réussite phénoménale des universités japonaises, mais aussi chinoises ou sud-coréennes qui ont cet alphabet en partage? On peut aussi rajouter avec profit que le Japon et la Corée entretiennent la permanence d'un héritage culturel venu de Chine, pays honni ". L'auteur de l'étude du Quotidien d'Oran pose la question pertinente: " QU'EN EST-IL CHEZ NOUS ? " Là, nous avons besoin d'une dose massive du courage intellectuel, voire national, pour une réponse honnête et objective à cette question, chose qui nous manquait souvent depuis le recouvrement de notre indépendance. En 1962, comme nous rappelle Senouci, " le bilan est sans appel : 86 % d'analphabètes, ce qui en dit long sur la " mission civilisatrice " qu'était censée apporter la horde barbare qui déferla sur le pays en 1830 ". Grosso modo, bonne nombre de partialement francophone était difficilement franco scriptes. La langue utilisée faisait parti du registre familier ou même argotique. Peu d'intellectuels utilisèrent le registre soutenu, le reste faisait recours à un registre courant. La majorité de la population utilisait un arabe d'un registre familier mais loin d'être Hybrides. Des régions utilisaient des langues berbères avec des différences variables entre les régions chaoui, kabyle, targui et mozabite. Quelle langue officielle devait être adoptée pour un pays, qui se préparait pour être une locomotive du tiers monde. Au cours de la période colonial les nationalistes ont mis l'accent sur deux des trois éléments de l'identité nationale, à savoir, l'Islam et l'Arabité, sans insister sur l'élément Berbère. (L'usage courant du terme " amazighité " devait attendre 1980 pour qu'il soit choisi par le président Chadli Bendjedid, à fin de se débarrasser d'une terminologie considérée comme péjorative). La raison qui a poussée les leaders nationalistes vers leur choix était très simple: ce sont les premiers deux éléments qu'étaient sujet à la répression coloniale. D'ailleurs, tout le monde était considéré par " les guaouris " comme des arabes, au sens péjoratif bien entendu. Un fait accompli s'est instauré à partir de 1962. L'arabe et l'islam étaient considérés comme une partie intégrante de la conception de l'Independence nationale. Mais les arrières pensées qui trouvèrent leurs racines dans la période colonial ont commencé à faire chemin dans certains esprits, et c'est traduit dans le quotidien par des réactions épidermique provocantes. L'option stratégique de la langue arabe a été polluée par des tendances hégémonique, parfois tendancieuse, manipulée par des presque illettrées en arabe et en français. Ce n'était plus des francophones contre des arabophones mais plus tôt des ARABO PHOBES contre des FRANCOPHOBES. La surprise c'est qu'on a trouvé des francophiles, et même des arabophobes parmi certains arabo scripte, et des arabophiles parmi des intellectuels francophones. Le résultat malheureux c'est que nous somme confronté aujourd'hui à une fragmentation linguistique qui fait qu'un peuple risque de devenir une population, une nation se réduit à une agglomération démographique et le pays se minimise à une tache colorée sur une carte géographique. En Algérie d'aujourd'hui on ne peu trouver un chanteur qui focalise l'attachement de toute la nation, comme Piaf et Aznavour en France, Fairouze et Wadie El Safi au Liban ou Oum Keltoum et Abdelwahab en Egypte. Aucun écrivain ne peut prétendre être suivi par tous les lecteurs avertis du pays, comme c'était le cas d'André Fontaine, ?Robert Escarpit et André Malraux en France, Jabran Khalil et Ghassan Twini au Liban, Taha Hocine et Haykal en Egypte et Bernard Show en Angleterre. Chez nous, chaque écrivain, sans trait d'union, semble s'adresser à un public réduit en nombre, choisi en profile et restreint en efficacité. La conclusion de senouci nous gifle sans merci. " la langue est la maison de l'etre. nous sommes les sdf du xxieme siecle ". J'ajouterai que nous somme devenus, sur le plan culturel, des clochards sans une identité nationale homogène ni une présence internationale culturellement remarquable. Une fissure terrible s'est opérée au sein de la nation qui semble perdre le nord culturel. C'est une répétition tordue de l'histoire du corbeau qui a essayé d'imiter le paon (L'aigle dans les fables de la Fontaine). Je répète avec Senouci: " N'écoutons pas ceux qui nous suggèrent que l'affreux sabir qui pollue nos rues est une solution de remplacement envisageable et renouons avec nos langues mères, celles dans lesquelles nos âmes se sont trempées ". Ayant le courage d'affronter notre présent pour corriger les erreurs de notre passé et préparer un sursaut pour notre avenir. Le point de départ sera et doit être l'amour de ce pays qui a tant souffert et de ce peuple qui a tant sacrifié. Il ne faut pas confondre racine historique et identité nationale. Les français qui sont fière de leurs ancêtres Gaulois ont compris que la langue celtique n'est pas la porte de l'avenir. Ils ont adoptés une langue dérivée du latin qui donna à la France sa présence internationale. C'est grâce à la francophonie que le Commonwealth n'est pas sans rival. Beaucoup reste à méditer, à creuser et surtout, à agir. * Docteur en médecin