Un Français a été enlevé en Algérie. Avec la mise en scène habituelle : Kabylie en arrière-plan, groupe inconnu mais se déclarant franchise de Daech, un otage qui demande à la France de ne pas intervenir en Irak, une vidéo avec lecture de versets et promesse de décapitation puis l'effet dominos : réactions, appels, déclarations, médias et suite. Tout le rite des noces barbares avec l'Occident et de cet étrange dialogue entre l'Occident et l'Islamistan : drone, otage, attaque, égorgement, médias, vidéo, Youtube, analyses et communiqués. C'est le 21ème siècle, ses Dieux, ses morts, ses autels, ses colères et ses sangs. Premières conclusion sur la piste du kidnapping ? D'abord la théorie du complot interne : cela intervient deux jours après l'étrange réunion du haut conseil de sécurité avec son étrange image d'hommes assis selon un ordre finement étudié et une étrange chaise vide, en face d'El Hamel le directeur de la Police, avec son porte-documents, son sous-main et son invité absent. La théorie du complot rappelle les déclarations tout aussi étranges de Saïdani, le porte-parole du putsch interne qui avait annoncé des surprises. Passons, c'est une vieille maladie du politique en Algérie et pour qui la vérité est un chewing-gum usé et l'évidence un décor que l'on enjambe assis dans un café. Seconde conclusion ? Cela devient presque croustillant s'il n'y avait pas la vie de l'otage au milieu de la page : un haut conseil qui analyse la position de l'Algérie face à la Libye, l'Irak, le Sahel, la Tunisie mais qui se fait avoir en Kabylie par une sorte de Daech autoproclamé, dans le dos de la Réconciliation. L'Algérie veut ressembler à son Président : voix avec amplificateur, peu de mouvements, peu d'apparitions et pas de gestes brusques en diplomatie. Sauf que le pays n'est pas le Japon : il vit en Afrique, pris aux rets d'un monde « arabe » qui tue et meurt, coincé dans un Maghreb qui a été détruit avant d'être construit. Bouteflika peut se permettre l'isolationnisme pour sa personne avec son 4ème mandat, mais l'Algérie non. Elle se fait rattraper. Troisième conclusion ? La plus désastreuse : Daech peut naître partout comme une rouille. Plus exactement : il est entrain de naître partout. L'Occident se trompe en partie en bombardant en Syrie, Daech se trouvant dans les télés, les écoles, les mosquées, les têtes des imams et des chouyoukhs, dans certains journaux et TV et dans les discussions banales des rues qui s'allongent. C'est du « made in » en boucle. Sa capacité de fascination idéologique vient de sa matrice et on le verra donc naître comme de la rouille ravageuse ici et là à chaque fois. Dans la tête d'un écolier algérien qui refuse de saluer le drapeau de son pays ou dans le prêche d'El-Baghdadi, caricature des ancêtres fantasmés. C'est ce que tout le monde veut ignorer ici et ailleurs et dans la tête de chacun. La daechisation est en marche comme une sorte de basculement généralisé et se fabrique depuis des décennies, depuis l'enfance de tous dans nos pays. L'Occident et ses viols y sont pour une partie, mais l'autre parent du monstre est en nous. Le Japon, détruit et défait, a produit le Japon moderne, le monde « arabe », détruit, a fabriqué le monde « arabe » archaïque et féodal. La matrice en est la raison. Et dans cette affaire du « mouton français vue par Daech local », c'est le plus inquiétant pour nous, après l'inquiétude pour la vie du randonneur. On a fabriqué une réconciliation par le haut, on a pardonné à notre place, on a brisé le sens de la justice et de la conséquence des actes, on a reçu un émir pour des consultations sur une constitution et on a tout fait pour faire croire et croire que la matrice a été domestiquée et qu'elle peut servir aux cuisines du régime. Faux : la matrice est là, en veille et continue sa croissance. Les petites concupiscences du pouvoir ne changent rien à la réalité. Elles l'aggravent. Daech est une maladie qui se développe partout. A vue d'œil, sous l'œil de tous, mais on préfère la voir seulement à la télé et pas sous le nez. Tout dans le monde dit « arabe » prépare au basculement de l'individu sous ce sigle : l'ennui, le sexe, l'école, les dictatures et les lâchetés face aux dogmes. La prise d'otage n'est que le dernier épisode du long feuilleton du siècle.