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Abdelkader Bensalah, secrétaire général du RND, président du Conseil de la Nation, au « Le Quotidien d'Oran » : «Seul Bouteflika...»
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 30 - 11 - 2014

«Je vous préviens, je défends le pouvoir», nous a dit Abdelkader Bensalah en acceptant de nous accorder cette interview. Le pouvoir est pour lui «un et indivisible». Il le situe et le nomme même dans ses réponses. Bensalah précise qu'il le fait en tant que secrétaire général du RND même quand on l'interroge sur la nécessité ou non du maintien du Conseil de la Nation qu'il préside depuis plusieurs années.
Le Quotidien d'Oran : Vous avez mené en 2011 des consultations avec la classe politique sur la révision de la Constitution. Ahmed Ouyahia en a mené d'autres cette année. La dernière lettre du président est-elle une réponse à ceux qui pensent que ce travail n'a servi à rien ?
Abdelkader Bensalah : Je pense que oui. D'abord, pour revenir aux consultations, il y a une logique qui a toujours prévalu à ces rencontres. En 2011, le président de la République m'a honoré en me demandant de mener des consultations avec la classe politique, les partis politiques, les composantes de la société civile ainsi que des personnalités nationales. Les consultations ont duré plus d'un mois, nous avons écouté plus de 200 parties. La majorité de ceux qui y ont été invités ont accepté d'y participer, d'exprimer leurs avis et de faire des propositions. D'autres se sont abstenus et ont décliné l'invitation. Nous avons cependant pris connaissance de leurs avis et positions à travers les déclarations qu'ils ont publiées dans la presse nationale. Nous avons consigné le résultat de ces consultations dans un rapport que j'ai remis au président de la République.
Q.O : Comment expliquez-vous alors la décision du président de la République de désigner Ahmed Ouyahia pour relancer de nouvelles consultations ?
A. Bensalah : J'explique : à partir des consultations que j'ai menées, des lois organiques ont été élaborées à l'exemple -je cite de mémoire- celle sur les partis, les élections, le quota des femmes dans les assemblées élues, la loi organique sur l'information, les composantes de la société civile... Il y a eu un débat à propos de cette première phase des réformes décidées par le président de la République. Il y avait ceux qui voulaient commencer par discuter en premier de ces lois organiques alors que d'autres voulaient commencer par la Constitution. D'un point de vue pédagogique, il valait mieux commencer par ce qui est facile pour arriver au plus difficile. C'est d'ailleurs cette méthode de travail et ces orientations qui nous ont été tracées par le président de la République. Une fois que le rapport des consultations lui a été transmis, le président de la République a fait part au gouvernement des idées qu'il contenait et l'a instruit pour élaborer les lois que j'ai citées. Celles-ci ont été débattues au sein du Parlement puis adoptées et sont actuellement en phase d'application. J'explique ici la phase de concrétisation des avis et propositions retenues durant les consultations de 2011 pour en tirer ces lois organiques. C'est ce qui constitue le premier volet du rapport que j'ai remis au président de la République.
Le deuxième volet concerne la Constitution à propos de laquelle il y a eu de nombreuses propositions qui ont été incluses dans ce même rapport transmis au président de la République. Pour mieux concrétiser les recommandations contenues dans le 2ème volet du rapport dont on parle, le président de la République a nommé une commission de juristes spécialistes qu'il a chargée d'élaborer un projet de Constitution qui lui a été remis.
Tout au long de cette période, il y a eu des changements dans le pays, de nouveaux partis politiques étaient nés, de nouvelles thèses politiques ont été émises et ont suscité le débat sur la scène nationale. Il y a eu en parallèle des évolutions qui se sont imposées aux plans régional et international. Il fallait donc s'y adapter. Il est clair que c'est le président de la République qui détient le pouvoir d'évaluer toute démarche pour qu'il puisse se prononcer sur ce qui convient au pays dans une telle phase et ce qui ne lui convient pas. Après analyse de ce qui s'est passé sur la scène nationale et internationale, il a ainsi chargé M. Ouyahia de mener un nouveau round de consultations.
Q.O : Les consultations que vous avez menées et celles menées par Ouyahia se complètent-elles les unes les autres ? Peut-on parler de travail collectif ?
A. Bensalah : Je tiens à préciser que M. Ouyahia et moi avons été choisis par le président de la République en tant que personnalités nationales pour mener cette tâche et non en tant que responsables partisans. Notre désignation n'a aucun lien avec notre appartenance partisane. Nous nous devions de lui rendre compte, à lui. Nous lui avons remis nos rapports, chacun de son côté, à lui seul et à personne d'autre.
En nous désignant, M. Ouyahia et moi, le président de la République nous a donnés une lettre de mission qui nous trace le cadre dans lequel nous devions travailler, nous fixe les priorités et nous précise la méthodologie de travail. C'est un procédé auquel recourent tous les Etats lorsqu'il s'agit de désigner des personnalités nationales pour des missions aussi importantes. Dans sa lettre de mission, le président de la République a demandé que nous ouvrions le champ le plus large à l'opposition et lui donnions un espace pour qu'elle puisse exprimer ses avis et émettre ses propositions. Le président tient à ce que cette Constitution soit consensuelle.
Q.O : Mais le fait que beaucoup d'opposants ne soient pas venus à ces consultations n'effrite-t-il pas l'idée d'un consensus national tant recherché ?
A. Bensalah : Qui en est responsable ? Le président de la République leur a donné cette opportunité, ils ne l'ont pas saisie. Mieux, ce n'est pas un président qui est à la fin de son mandat mais à son début, il agit donc en toute légitimité. Il est nanti de tous les pouvoirs constitutionnels. Il pouvait se limiter au travail qui a été fait par la commission que j'ai présidée mais il ne l'a pas fait. Il a préféré revenir à la classe politique pour lui demander encore une fois ses avis après tous les changements qui ont eu lieu, tout en donnant des garanties dont l'une est d'affirmer que l'opposition a toute sa place dans le pays. Il faut rappeler ces vérités parce que certains font des déclarations ici et là comme si l'histoire a commencé depuis le jour où, eux, ont investi la scène politique.
Il faut reconnaître quand même qu'il y a eu un nombre importants de partis politiques, de personnalités nationales et de représentants de la société civile qui ont accepté de venir discuter avec M. Ouyahia. Ils étaient importants de par leur nombre et de par leur poids politique sur la scène nationale. Ceux qui ont décliné l'invitation prouvent bien qu'on est dans une société où tout le monde a le droit de parler, d'accepter ou de s'opposer à ce que fait le pouvoir.
Nombreux sont ceux qui ont dit que tout ce travail n'a servi à rien et qu'il a été mis dans les tiroirs. Mais la dernière lettre du président de la République est venue démontrer le contraire. La réponse était claire quand il a rappelé son engagement à réviser la Constitution.
Q.O : Le président de la République n'a, encore une fois, pas fixé d'échéance à cette révision ?
A. Bensalah : La réponse a été donnée dans la mesure où il disait dans sa lettre que la Constitution n'est pas une affaire simple. C'est la loi suprême du pays. On ne change pas une Constitution en 24 heures ou tous les six mois. C'est un travail qui peut s'appliquer sur une longue période de l'histoire du pays. On n'a pas droit à l'erreur. S'il y a des retouches à faire après 10 ou 15 ans, on peut les faire mais on ne peut changer de Constitution à chaque fois. C'est pour cela que le président de la République a raison de demander la prudence. En tout état de cause, il a répondu à tous ceux qui ont douté de la sincérité de la démarche et de la faisabilité de cette révision et ont dit que les rapports de M. Ouyahia et de Bensalah ont été mis dans les tiroirs et que le président a tourné la page. Il n'y a donc rien de vrai dans tout cela.
Q.O : Pensez-vous que le président de la République veut attendre de voir ce qui va sortir de l'initiative du FFS avant de décider de l'échéance de cette révision et de la voie de son adoption (référendaire, parlementaire ou les deux à la fois) ?
A. Bensalah : La voie à suivre pour son adoption sera arrêtée en fonction du contenu. Si elle touche aux grands équilibres, à ce moment-là, inévitablement, on doit s'adresser au peuple, il y aura référendum. S'il y a des réaménagements à l'intérieur de ces équilibres des pouvoirs, cela nécessite son approbation par le Parlement, ses deux chambres réunies. Pour l'heure, on ne connaît pas le contenu de ce projet et on ne peut donc se prononcer sur le mode de son adoption.
Q.O : Vous ne répondez pas au premier volet de ma question relatif à l'initiative du FFS ? Initiative que vous semblez accepter puisque vous êtes allé à la rencontre des responsables de ce parti.
A. Bensalah : Je n'ai pas accepté la proposition du FFS, j'ai accepté de le rencontrer, il y a une différence. Quand il a demandé à rencontrer le RND, nous avons accepté de le faire parce que, pour nous, le FFS est un parti honorable que nous respectons. Mais quand nous nous sommes rencontrés, il ne nous a rien proposé. Il s'est contenté de nous expliquer sa démarche. Il nous a dit qu'il venait avec de bonnes intentions pour expliquer «sa volonté de faire quelque chose». Sur quelles bases ? Quelles sont ses idées ? Il nous ne l'a pas dit. Ce qui a été dit et présenté par le FFS ne me permet pas de prendre une position sur quoi que ce soit. Ceci étant dit, à partir du moment où le président de la République a décidé de faire adopter une Constitution consensuelle, toutes les autres initiatives sont reléguées au second plan. Seule celle du président de réviser la Constitution est, pour moi, essentielle. Parce qu'elle vient de l'autorité légitime la plus à même de rassembler le peuple.
Q.O : Vous mettez la Constitution au-dessus de tout, mais l'opposition dans toutes ses ailes parle de crise politique pour la résolution de laquelle elle aussi cherche un consensus national. Partagez-vous cet avis ?
A. Bensalah : Chacun a le droit d'expliquer ou de faire l'analyse qu'il veut selon son point de vue et sa position sur la scène politique. Les opposants disent qu'il y a crise politique, c'est leur droit. Mais les arguments qu'ils présentent ne sont pas convaincants.
Q.O : Selon vous, l'Algérie n'est-elle pas en crise ?
A. Bensalah : Tout est relatif. Ceux qui disent qu'il y a crise, par rapport à quoi ? Sur quel plan ? Par rapport à ce qui se passe dans d'autres pays ? Est-ce que nous vivons des conditions de crise comme nous l'étions par exemple en 1995? Est-ce qu'il y a une crise de pouvoir ? Est-ce qu'il y a une situation de blocage sur le plan institutionnel ou économique ? Est-ce que nous sommes dans une situation où l'expression ou l'opinion ne sont pas respectées ? Est-ce que les partis politiques n'activent pas ?
Q.O : A toutes ces questions, beaucoup d'opposants vous répondront oui.
A. Bensalah : Il faut être pour le moins prudent quand on dit qu'il y a une grave crise. Il y a des situations qu'on essaie de régler, de leur trouver des solutions avec tous les partenaires politiques. Ces gens-là portent des jugements de valeur sur une situation peut-être parce qu'ils n'ont pas été élus ou ils n'ont pas eu la chance d'avoir le soutien populaire. Il faut qu'on se respecte mutuellement. Il y a un président qui a été élu à plus de 84%, il faut qu'on lui donne l'occasion d'aller vers les solutions des problèmes qui se posent à nous. Il a présenté un programme qui a été approuvé par le peuple à travers son élection, qu'on lui donne alors le temps de régler les problèmes de ce pays à travers l'application du contenu de ce programme. Vous trouvez logique qu'après les élections qui ont été organisées, des opposants demandent des élections anticipées ? Nous avons aussi entendu des voix demander l'application de l'article 88 de la Constitution. Soyons sérieux ! Si on suit la logique de ces gens-là, demain, ils vont demander aux citoyens de descendre dans la rue ! Est-ce que c'est raisonnable et responsable ? Il faut essayer d'être plus serein dans l'analyse et dans les choix des solutions.
Q.O : La recherche d'un consensus national et de la sérénité dont vous parlez, ne vous obligerait-elle pas, en tant qu'homme du pouvoir, à vous rapprocher de ces opposants notamment les plus récalcitrants aux solutions du président de la République pour essayer de trouver ne serait-ce qu'un juste milieu d'entente ?
A. Bensalah : En tant que secrétaire général de mon parti, j'affirme que nous sommes ouverts au dialogue mais avec des personnes qui respectent la Constitution et les lignes rouges à ne pas franchir.
Q.O : Quelles sont ces lignes rouges que vous évoquez souvent ?
A. Bensalah : Celles tracées par la Constitution. Je suis prêt à discuter avec les personnes qui respectent la légalité constitutionnelle, les institutions, les lois de la République et le régime républicain.
Q.O : L'article 88 dont certains opposants demandent l'application n'est-il pas constitutionnel ?
A. Bensalah : Bien sûr que oui, mais soyons sérieux ! Ils disent que le président de la République est incapable de gérer le pays. C'est vraiment stupide ! Tout ce qu'il fait ne les convainc-t-ils pas ? Il reçoit des ambassadeurs, il préside des Conseils des ministres, il reçoit des chefs d'Etats, on vient de l'étranger pour le consulter... Je leur conseille de revoir le lexique du droit.
Q.O : La recherche d'un consensus national n'aurait-elle pas besoin de l'organisation d'une «bonne» conférence nationale qui réunira tout le monde, sans exception aucune, comme le demande l'opposition ?
A. Bensalah : On vient de faire des consultations qui ont abouti à des observations qui ont été incluses dans un rapport transmis au président de la République. Pour l'heure, essayons d'abord de voir ce qu'il y a dans ce rapport ; ce qu'il y a dans la proposition de loi constitutionnelle. On est en train d'édifier un Etat moderne, démocratique où chacun peut se retrouver et développer l'avenir de l'Algérie et des Algériens et leur ramener la prospérité. Travaillons tous ensemble en faveur de cet immense chantier.
Q.O : Affirmeriez-vous que pour le réaliser, le seul élément manquant aujourd'hui à l'Algérie serait une nouvelle Constitution et que, à partir de là, tout désaccord ou problème serait réglé facilement ?
A. Bensalah : On ne peut pas dire que la Constitution à elle seule peut régler tous les problèmes. Seulement, elle contraint le gouvernement à leur trouver des solutions dans un cadre légal. Je pense qu'avec une nouvelle Constitution, on peut grandement améliorer la gestion des affaires de l'Etat.
Q.O : Les problèmes que vous évoquez et qui nécessitent des solutions, sont-ils d'ordre politique, économique, social ou tout à la fois ?
A. Bensalah : Il y a des problèmes au niveau de certains secteurs, on rencontre de temps en temps des blocages... Il est important d'avoir ce cadre qui est la nouvelle Constitution, qui permet aux exécutants de mettre en application les politiques publiques et régler les questions qui se posent au pays.
Q.O : Partagez-vous la proposition du FLN d'une coalition des partis proches du président de la République pour faire face aux réactions de l'opposition ?
A. Bensalah : Le RND était dans la coalition présidentielle...
Q.O : ...Qui a éclaté.
A. Bensalah : Il y a à l'évidence des partis politiques qui adhèrent au programme du président de la République, qui le soutiennent. Chaque parti travaille de son côté. A-t-on besoin pour cela d'une coalition? Je pense que de telles idées nécessitent un débat, des rencontres... Vous me donnez l'occasion de parler de prétendues discordes entre le FLN et le RND. Je dois dire clairement qu'on n'a aucun problème avec le FLN, ni avec les personnes, ni entre les instances dirigeantes de ces partis. D'ailleurs, nous n'avons de problèmes ni avec le FLN ni avec tous ceux qui adhèrent au programme du président de la République et le soutiennent. Nous n'avons aucun problème avec personne. Il faut que ça soit clair, net et précis.
Q.O : Adhérez-vous à l'appel du 1er ministre à la création d'un front interne pour préserver, dit-il, l'unité nationale et le pays ?
A. Bensalah : Je crois que vous vous méprenez sur le sens de cet appel. Ce n'est pas parce que l'opposition se coalise que les partis qui soutiennent le président doivent le faire. Chaque parti peut le soutenir comme il l'entend, avec les moyens et les méthodes qu'il choisit. Le front existe dans la réalité puisque plusieurs partis partagent ce soutien au président et cette adhésion à son programme. Je préfère qu'on parle de voie à suivre et non pas de front à construire.
Q.O : Mais qu'est-ce qu'il y a à faire pour préserver l'unité nationale qui semble quelque peu menacée en ces temps de ce qu'on appelle «le printemps arabe» ?
A. Bensalah : Beaucoup - et je ne veux citer personne - pensent parler au nom du peuple. Le seul à pouvoir le faire, c'est le président de la République parce que c'est le peuple qui l'a élu à une majorité écrasante. Ce n'est pas parce qu'un parti a un élu ou deux dans des assemblées qu'il peut accaparer le peuple et sa volonté. Le peuple, c'est sacré, il faut le respecter. Il sait ce que c'est que l'unité nationale et son importance dans les moments difficiles. Il sait la préserver.
Q.O : Ne pensez-vous pas que sur toutes ces questions, le FLN est aujourd'hui plus présent sur la scène politique et plus offensif que le RND ?
A. Bensalah : J'ai beaucoup entendu dire ça. Chacun a sa méthode de travail. En 1997, j'étais parmi ceux qui ont créé le RND. On était au front. Aux premières lignes. A l'époque, les gens refusaient d'aller à la télévision pour défendre la position de l'Etat algérien de peur de représailles. Nos militants ont pris les armes pour défendre la République et nous sommes fiers de l'avoir fait. Aujourd'hui, nous sommes toujours prêts à défendre le programme et les choix du président de la République. Certains pensent que c'est bien d'occuper la scène par des déclarations. Peut-être. A chacun sa méthode.
Q.O : Vous semblez dire qu'à sa création, le RND avait de la poigne et qu'il avait un rôle politique important. Qu'est-ce qui fait qu'il ne les a plus ?
A. Bensalah : Cette appréciation n'est pas juste. Par le passé, l'Etat était menacé. Il fallait des gens pour le défendre. Aujourd'hui, les choses ont changé. Il y a des institutions qui fonctionnent, il y a un président qui est élu, il y a des assemblées locales. On exprime notre point de vue à travers les institutions. Nous avons des élus à l'APN, au Conseil de la Nation et dans les différentes structures locales. Nous pensons que c'est sur le terrain que les positions du parti doivent être exprimées. La réalité est là. La société a changé. En 1997, c'était une chose, et aujourd'hui c'en est une autre.
Q.O : Des analystes pensent en effet qu'en 97, le RND a été créé pour camper un rôle de défense contre la violence qui régnait dans le pays mais qu'aujourd'hui, le FLN est mis en avant pour provoquer une éventuelle restructuration des institutions, à commencer par celles militaires. Qu'en pensez-vous ?
A. Bensalah : Chacun est libre de dire ce qu'il veut. Nous, nous pensons que si changement il y a, il doit se faire à travers les institutions compétentes, avec les instruments que propose le président de la République, conformément aux lois de la République qu'il a initiées et les correctifs qu'il a décidé d'apporter aux lois existantes.
Q.O : Vous avez été de toutes les phases cruciales de la (re)construction du ou des pouvoirs. L'opposition pense que ce pouvoir est aujourd'hui fragmenté entre les civils, les militaires et les grosses fortunes. Selon vous, le pouvoir décisionnel est-il aujourd'hui un ou pluriel ?
A. Bensalah : Le centre du pouvoir décisionnel est connu. Il est symbolisé par, dans et à travers les institutions constitutionnelles. Le pouvoir est incarné en la personne du président de la République, représenté par le gouvernement, et par et dans les institutions de l'Etat. Le pouvoir décisionnel est un et indivisible. La chaîne de commande est claire et toute autre chose serait de la spéculation hasardeuse.
Q.O : Il y a quelques années, le président a initié plusieurs réformes dont celle des structures et des missions de l'Etat. Qu'est-ce qui a été fait de tous ces rapports? Ont-ils été oubliés dans les tiroirs par manque de volonté politique ?
A. Bensalah : Depuis, il y a eu des évolutions et des changements. De nouvelles lois ont été introduites, de nouveaux mécanismes mis en place ; il y a de nouveaux problèmes, de nouvelles donnes sur le terrain. Le président de la République essaie de trouver des solutions aux problèmes posés au fur et à mesure qu'il soumet des lois au Parlement. La volonté politique pour le changement est réelle. Certes, on n'a pas encore des solutions pour tous les problèmes mais ils se règlent au fur et à mesure. On ne doit pas être trop sévères dans nos jugements. Il y a beaucoup d'améliorations qui ont été apportées au service public. Je n'ai pas besoin de m'orienter vers la logique des chiffres pour le prouver. Pourtant, ils sont là, le nombre de logements qu'on construit, d'universités qu'on ouvre, des routes qu'on réalise, des projets ambitieux qu'on lance. Ce n'est pas du triomphalisme mais c'est une réalité palpable sur le terrain. Une réalité qu'on peut voir et évaluer.
Q.O : Au regard des contestations qui enflent -nous avons vu des policiers sortir dans la rue- ne pensez-vous pas que l'équilibre social est fragilisé ?
A. Bensalah : Je dis que tous les problèmes ne sont pas réglés. Il y en aura toujours, mais de nature différente. Il n'y a aucune société qui n'a pas de problèmes. Nous avons une population très exigeante, elle veut que tout se réalise vite et en être tout de suite la bénéficiaire. Ce que demandent certains, on le comprend. Mais le pouvoir n'a pas «khatem souleimane» pour tout faire rapidement. Ce qui est important, c'est que les réalisations sont là, effectives.
Q.O : Beaucoup pensent que le contenu des rapports des différentes commissions de réforme de secteurs névralgiques comme la justice ne plaît pas au pouvoir ?
A. Bensalah : Faux. Par exemple, parmi les recommandations de la commission Sbih, beaucoup ont été mises en œuvre. Avec tout le respect que je dois aux contradicteurs, je dirai que c'est injuste de voir tout en noir. Il y a des réalisations qui se font, des problèmes qui se règlent, l'Algérie s'impose sur le plan international. Je reconnais qu'au plan économique, nous traversons une situation rendue difficile par la conjoncture mondiale, mais on avance. Certains pensent qu'on peut aller plus vite et faire plus, mais il y a une différence entre ceux qui sont sur le terrain et ceux qui commentent et apportent des jugements depuis leurs salons. Les étrangers qui ont des visions objectives nous reconnaissent ces efforts. Bien sûr, pas ceux qui ont encore l'esprit paternaliste. Ces derniers nous critiquent parce qu'ils ne savent pas être assez offensifs dans notre sphère économique. Ils ne savent pas arracher des marchés même si par ailleurs, ils gagnent beaucoup d'argent chez nous. L'Algérie réalise, l'Algérie avance. Il faut savoir être patient et actif pour qu'on puisse atteindre tous nos objectifs.
Q.O : Pensez-vous comme beaucoup d'analystes que la chute des prix du pétrole aura des conséquences néfastes sur le budget de l'Etat ?
A. Bensalah : Je ne fais pas de politique-fiction. Je ne suis pas de ceux qui noircissent le tableau. J'essaie de m'adapter à la réalité. L'essentiel, c'est qu'il y a des chantiers qui s'ouvrent, des emplois qui sont créés, la lutte contre la pauvreté donne de bons résultats sur le terrain, de nouvelles villes se sont créées... C'est ça le changement et la réalité. Pour le reste, je fais confiance à l'intelligence de nos cadres dirigeants.
Q.O : Que répondrez-vous à ceux qui vous disent que vous êtes plus occupé par la présidence du Conseil de la Nation que par les activités de votre parti ?
A. Bensalah : Non, c'est faux. Le RND est présent comme en 97, seulement c'est la conjoncture et la manière d'activer qui diffèrent. Est-ce qu'il y a un événement sur lequel le RND ne s'est pas exprimé que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays? Que le secrétaire général ne soit pas toujours au devant de la scène, cela ne veut pas dire que le parti est absent. Il est là, il s'exprime à travers ses représentants dans les instances élues. Ses cadres sont partout, dans tous les événements. Il s'est battu pour son candidat lors des dernières élections présidentielles. Quand le secrétaire général trouve que le moment est opportun pour s'exprimer, il le fait avec toute la clarté et la sérénité qu'il faut. Nous avons un parti discipliné où les gens s'expriment et défendent leurs positions.
Q.O : Qu'est-ce qui a provoqué alors la grosse dissidence dans ses rangs ?
A. Bensalah : De quelle dissidence parlez-vous ? Il y a des conjonctures, des situations, il y a des hauts et des bas dans et pour chaque parti. Mais nous avons tenu notre congrès, nos sessions ordinaires, nous nous sommes tracés une ligne de conduite politique et nous sommes en train de la mettre en application, pas à pas. Nous avons respecté tous les délais, élu démocratiquement toutes les instances du parti. Nous sommes dans une étape de restructuration et nous la menons correctement. Cela ne veut pas dire qu'on ne trouve pas de difficultés ici et là, ce qui est tout à fait normal. Nous avançons cependant, à pas sûr et démocratiquement. Certains nous reprochent d'avoir pris trop de temps pour faire cette restructuration, c'est évident parce que nous sommes en train de construire un parti qui pèse, qui a son mot à dire, ce n'est pas une opération mécanique. Nous avons refusé l'exclusion. Nous sommes contre l'exclusion mais pour le changement. Nous l'avons fait. Nous avons dans le Conseil national 25% de jeunes et 33% de femmes. Aujourd'hui, tout le monde travaille pour construire le parti. Nous le faisons sereinement sans trop de tapage. Nous essayons de le réformer et de lui donner son poids réel. Laissons venir les échéances électorales prochaines pour voir quel est le poids et le rôle de notre parti sur la scène politique. Le notre et celui des autres.
Q.O : Les conditions qui ont prévalu à la création du Conseil de la Nation sont-elles toujours présentes et plaident-elles toujours pour son maintien ?
A. Bensalah : C'est une question qui revient à chaque fois. Elle a été évoquée lors des consultations que j'ai menées et dans celles menées par M. Ouyahia. Ce débat n'est pas propre à l'Algérie. On le trouve dans tous les pays dont le système politique est bicaméral. Dans certains pays, on accuse le Conseil de la Nation d'être budgétivore. Je pense, pour ma part, que le Conseil de la Nation est utile et qu'il peut mieux donner. Je pense aussi que le pays a encore besoin de cette institution.
Q.O : Nécessite-il une réforme ou une restructuration ?
A. Bensalah : Je pense que oui. Je ne parle pas ici en tant que son président mais en tant que responsable du RND. Je plaide en faveur de plus de pouvoirs pour le Conseil de la Nation parce que je pense que sa composante humaine a les capacités de donner plus qu'elle n'en donne aujourd'hui. Cet avis est partagé par beaucoup d'Algériennes et d'Algériens. J'espère que la nouvelle Constitution va lui conférer des attributions qui lui permettent de jouer son rôle pleinement. D'autant que pour consolider la pratique démocratique, l'Algérie a besoin de tribunes dans le parlementaire pour créer la contradiction quand il le faut et proposer des textes à la mesure des aspirations de la société.
Q.O : L'Algérie est aujourd'hui comme prise en otage à cause de ce qui se passe à ses frontières. Certains intellectuels n'aiment pas parler de complot. A votre avis, en existe-t-il pour la déstabiliser comme ça a été le cas pour des pays arabes notamment ?
A. Bensalah : J'ai parlé de situations difficiles. Il se trouve que nous sommes voisins d'un certain nombre de pays qui connaissent des problèmes. Pour l'histoire, quand une délégation européenne m'a demandé ce que je pensais du «printemps arabe», j'ai répondu que je ne savais pas si c'était un printemps, un automne ou un hiver. La véritable réponse a été donnée dans les pays qui ont été concernés. L'Algérie n'est pas interventionniste mais veut participer, dans la mesure de ses moyens, à la recherche de solutions pacifiques à ces conflits. Qu'on le veuille ou non, ce qui se passe à nos frontières peut nous atteindre si on ne réagit pas avec intelligence et vigilance. Mais nous devons aussi faire attention aux fléaux qui peuvent être plus graves que les conflits armés. Ces fléaux qui peuvent venir de l'extérieur comme le commerce des armes et de la drogue. Il faut que tout le monde participe à la résolution de ces conflits. Nous, nous sommes déjà engagés dans ce combat.
Q.O : Etes-vous de ceux qui remettent en cause les conséquences de l'accord d'association et reprochent à l'Union européenne de s'ingérer dans les affaires internes de l'Algérie ?
A. Bensalah : D'abord on doit faire la différence entre la concertation, le questionnement et l'ingérence, entre l'initiative qui vient de l'UE en tant qu'institution et celle qui vient de certains de ses fonctionnaires subalternes. Je crois que je suis assez clair sur cette question. Nous souhaitons que la nouvelle équipe qui aura prochainement mandat de diriger l'UE, change de vision sur l'Algérie. On ne peut construire un partenariat entre nous avec une telle attitude ni de cette manière. Je pense qu'il y a beaucoup de choses qui doivent être améliorées, y compris l'accord d'association. L'UE croit au rôle de leader de l'Algérie en faveur de la stabilité dans la région. Elle doit donc l'aider pour qu'elle puisse surmonter ses difficultés et être utile et efficace dans la sous-région. Mais on ne veut pas être le gendarme qui finance et assure la sécurité de l'Europe.


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