Le Fonds monétaire international estime que l'Algérie n'est pas en situation de crise mais lui recommande d'enclencher un processus de consolidation budgétaire qui lui permettra d'éviter à moyen et long termes les retombées du choc pétrolier. Cette vision de l'institution de Bretton Woods a été distillée par le responsable de son département Moyen-Orient - Asie Centrale, jeudi dernier à l'hôtel El-Djazaïr d'Alger. Masood Ahmed l'a fait en présence du Gouverneur de la Banque d'Algérie et d'autres représentants d'institutions nationales et experts. Avant de tirer cette conclusion, il a passé en revue l'état des grands agrégats de la sphère économique et financière du pays. Il a expliqué comment le FMI voyait les perspectives de l'Algérie au regard des évolutions mondiales et de la chute du prix du pétrole. « L'Algérie aura un impact négatif sur ses finances par rapport aux prévisions qui ont été faites», a-t-il dit. Cet impact sera, selon lui, pour les pays exportateurs d'hydrocarbures comme l'Algérie, moins important sur la croissance que sur leurs équilibres financiers. « L'Algérie enregistre un manque à gagner en recettes d'exportation », souligne-t-il. Les pays membres du Conseil du Golfe accusent, selon lui, une chute des recettes de l'ordre de 30 milliards de dollars, soit 20% de pertes au niveau de leurs balances de paiements, ce qui équivaut à 1/5 de leurs PIB. « Pour les autres (Algérie comprise, ndlr) les pertes sont évaluées à près de 10% de leur PIB », estime-t-il. Il rappelle le poids du prix d'équilibre budgétaire pour chaque pays par rapport aux recettes et dépenses. « Presque tous ont un prix plus élevé que le prix actuel du baril qui fluctue pour ne pas dépasser les 57 dollars, » dit-il. Il affirme alors que « l'Algérie a l'un des prix le plus élevé parmi tous les autres pays». Ce qui le détermine, explique-t-il « c'est le niveau des dépenses par rapport à ses exportations selon un prix réel du pétrole ». Masood Ahmed ajoute en outre dans ses calculs, les prix de la consommation des produits pétroliers par chaque pays « et les subventions importantes de l'Etat». Ce qui, pour lui, donne « une consommation plus élevée par rapport au prix réel de tous les produits subventionnés ». Le représentant du FMI assure que « l'Algérie est beaucoup mieux préparée aux conséquences de cette chute du baril qu'elle ne l'était en 1980, ceci grâce à ses politiques macroéconomiques prudentes ». Il affirme ainsi que « vous avez réussi à développer vos marges de manœuvres externes, le pays a commencé à se reconstituer avec des réserves pour une couverture des besoins d'un peu plus de trois ans et un prix d'équilibre budgétaire d'1/4 du PIB ». LES VULNERABILITES DE L'ALGERIE Mais, lance-t-il, « parce que le FMI a toujours un mais, les vulnérabilités de l'Algérie étaient déjà apparentes depuis quelques années parce que justement son prix d'équilibre budgétaire est parmi les plus élevés ». Les évolutions de ce prix entre 2005 et 2013 ont été marquées par des hausses parce que, dit-il, « les dépenses ont augmenté ». L'autre vulnérabilité c'est, dit-il encore, «une économie qui dépend étroitement des hydrocarbures ». Le FMI commence par faire une ébauche qui pourrait plonger l'Algérie dans le marasme financier et économique au cas où elle subira, « sans réagir », les retombées du choc pétrolier. « Ce scénario repose sur l'éventualité d'une politique économique inchangée et l'absence d'une consolidation budgétaire, et si les prix du pétrole restent dans la fourchette prévue, le déficit budgétaire se creuse, la dette publique augmente jusqu'au 3/4 du PIB par le fait du paiement des intérêts et le prix d'équilibre budgétaire (recettes et dépenses) s'écarte du prix réel du pétrole », analyse-t-il. DES SUBVENTIONS A TRANSFORMER EN TRANSFERTS DIRECTS Masood Ahmed ajoute comme conséquences « une augmentation continue du déficit du compte courant et une diminution des réserves de change, de plus de 180 milliards de dollars qu'ils ont atteints aujourd'hui à seulement 70 milliards de dollars d'ici à 2020, ce qui engendre une chute du taux de croissance (qui n'est tirée que par la dépense publique) et une augmentation du chômage ». Masood Ahmed nuance ses craintes et déclare « ce n'est pas le scénario que nous envisageons pour l'Algérie, on l'a projeté dans le cas où aucun ajustement n'est apporté aux politiques économiques nationales ». Il se dit alors rassuré parce que «tous les responsables algériens avec lesquels j'ai discuté sont déterminés à éviter ce genre de scénario ; ils m'ont affirmé qu'ils ont installé des comités de suivi ministériels pour voir comment réagir, réadapter et réajuster les politiques ». Il détermine pour cela « deux axes principaux en prévision du cours du pétrole oscillant entre 70 et 75 dollars. Il soulignera ainsi que « l'Algérie n'est pas dans une situation de crise grâce justement aux marges de manœuvres importantes qu'elle a développées pour entreprendre ce changement d'une manière graduelle et progressive ». « L'Algérie doit enclencher sur les cinq années à venir un processus d'une consolidation budgétaire graduel mais soutenu », recommande le FMI. Consolidation qui doit commencer par une rationalisation des dépenses publiques « pas celles allouées à l'investissement parce qu'elles tirent la croissance vers le haut mais celles de fonctionnement », précise son représentant. Masood Ahmed trouve aussi que les subventions de l'Etat aux produits de première nécessité sont lourdes pour le budget de l'Etat. Il recommande alors «une concertation pour lancer un processus important et surtout pour la prise de décisions difficiles qui s'imposent à l'Algérie à ce niveau ». Pour lui, « la justice sociale doit profiter à ceux qui sont véritablement dans le besoin ». Il pense qu' « il y a un travail de ciblage à faire. Il faut savoir exactement qui a besoin d'être aidé pour qu'il le soit par des transferts qui doivent lui être fait directement ». Il reconnaît que c'est une tâche difficile pour le gouvernement que de mettre de côté son discours populiste, mais que « c'est déjà important qu'il se rende compte qu'il y a un changement à apporter même s'il n'y a pas de crise en Algérie ». CHUTE DU PRIX DU PETROLE ET INCERTITUDES GEOSTRATEGIQUES Le renforcement de la gouvernance économique va, dit-il, « être un élément de base pour toute cette réflexion. Il estime ainsi que « la consolidation budgétaire va amener le pays à un nouveau équilibre dans 5 ans mais la croissance devra être impérativement tirée par le secteur privé en faveur duquel il y a nécessité d'améliorer le climat des affaires ». Il lance au passage que « le Doing Business montre que sur les 289 pays classés dans ce chapitre, l'Algérie n'est pas parmi les meilleurs ». Il recommande à l'Algérie de lier « croissance et stabilité économique sans lesquelles l'entreprise ne peut investir ni être rentable ». Il est convaincu que pour éviter la crise « l'Algérie doit, sur une période de 5 ans, avoir réaménagé ses équilibres budgétaires en alimentant sa balance des paiements par l'augmentation de ses exportations hors hydrocarbures et en agissant efficacement sur la sphère des importations». Ce qui permettra, selon lui, « une stabilisation des réserves de change, le compte courant deviendra positif et le taux de chômage commencera à baisser même s'il reste à près de 9% marqué par un fort chômage des jeunes allant de 25 à 30% ». Le FMI demande à l'Algérie de « créer un consensus pour pouvoir prendre des décisions difficiles et amorcer un processus de consolidation budgétaire, il faut procéder au changement des mentalités (d'assistés), les entrepreneurs publics et privés doivent prendre leurs responsabilités pour investir et créer la croissance ». Le représentant du FMI reconnaît, en réponse à une question sur ce qu'il a avancé, que le FMI a établi ses scénarii sur la base d'éléments strictement économiques et financiers en éludant celui politique de grande importance en ces temps de redéfinition de l'ordre mondial et des complots géostratégiques. Il nuance en disant juste que « personne ne peut vous dire en effet, comment les prix du pétrole vont évoluer, à 70-75 dollars le baril ou alors à 100 et plus, c'est pour cela qu'on avance l'élément d'incertitude qui explique pourquoi on a une fourchette des prix selon les probabilités ». Masood Ahmed reconnaît que 95% des projections se font sur un prix qui se situe entre 28 et 149 dollars le baril, « ce qui montre le degré d'incertitude sur les marchés mondiaux ».