La télévision francophone TV5Monde a repris sa diffusion jeudi en fin d'après-midi au lendemain d'une cyberattaque choc par des pirates se réclamant du groupe Etat islamique (Daech), pour laquelle Paris privilégie l'hypothèse «terroriste». Cible mercredi soir d'un piratage d'une envergure inédite, TV5Monde n'a pu reprendre sa programmation normale qu'à 16H00 GMT jeudi, même si vendredi à 02h00 GMT le site internet restait inaccessible, affichant un message d'erreur. Le gouvernement français a appelé les médias du pays à la «vigilance» face à la menace d'une répétition d'offensives similaires. «Beaucoup d'éléments convergent» permettant de présumer qu'»un acte terroriste soit bien la cause de cette attaque», a déclaré le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, à l'issue d'une réunion avec les dirigeants des médias audiovisuels français. L'attaque survenue la veille vers 20H00 GMT avait brutalement interrompu les émissions, remplacées par un écran noir sur l'ensemble des onze chaînes du réseau. TV5Monde avait simultanément perdu le contrôle de ses autres supports: pages Facebook, comptes Twitter et sites internet qui affichaient tous des revendications de l'Etat islamique. «Il y a une revendication mais, même quand il y a une revendication, il faut toujours l'authentifier», a souligné Bernard Cazeneuve jeudi, en appelant à «rester prudents». «L'enquête est lancée», «nous sommes déterminés à la faire aboutir rapidement», a déclaré le ministre de l'Intérieur assurant «nous sommes face à des terroristes déterminés» et «nous sommes déterminés à les combattre». La ministre de la Culture, Fleur Pellerin a appelé les patrons des médias à la «vigilance». «On ne peut pas exclure que des attaques similaires puissent à nouveau se produire, qu'elles soient d'ores et déjà planifiées», a-t-elle averti. «A travers cette attaque, c'est la liberté d'expression, c'est la culture qui sont visées», selon elle. A Bruxelles, la Commission européenne a plaidé pour un renforcement de la coopération en matière de cybersécurité au sein de l'UE. L'attaque contre TV5Monde est «totalement sans précédent dans l'histoire de la télévision», a souligné Yves Bigot, directeur général de cette chaîne francophone reçue dans plus de 200 pays et territoires dans le monde, véritable symbole de la TV française à l'international. «C'est une cyberattaque à la fois extrêmement ciblée et puissante», a-t-il relevé. Il s'est demandé si les cyberpirates n'avaient pas pour but initial de «prendre (les) antennes en otage» pour diffuser leur propagande, au lieu de les afficher sur les supports internet. Selon des experts, l'offensive est le fait de spécialistes de haut niveau agissant certainement en réseau. «Certains ont tendance parfois à dire que les djihadistes sont des terroristes primaires, mais ce n'est pas du tout le cas: ils ont des moyens techniques considérables!», relève Daniel Martin, ancien commissaire à la DST (sécurité intérieure française), co-fondateur du Cybercrime Institute. «Depuis des années maintenant, des cyberattaques banales font partie du quotidien de la mobilisation islamiste. Ils ont mis en ligne des manuels à ce sujet. Mais cette fois, c'est un cran au-dessus», ajoute Gilbert Ramsey, chercheur au Centre pour l'étude du terrorisme et de la violence politique de l'université de Saint-Andrews, en Ecosse. Les pirates ont par ailleurs posté sur le compte Facebook de TV5Monde des documents présentés comme des pièces d'identité et des CV de proches de militaires français impliqués dans les opérations contre l'EI. Le ministère de la Défense vérifiait jeudi l'authenticité de ces documents. «Soldats de France, tenez-vous à l'écart de l'Etat islamique! Vous avez la chance de sauver vos familles, profitez-en», pouvait-on lire dans un message des pirates publié sur Facebook. «Au nom d'Allah le tout Clément, le très Miséricordieux, le CyberCaliphate continue à mener son cyberjihad contre les ennemis de l'Etat islamique», ajoutait le texte. Le message accusait le président François Hollande d'avoir commis «une faute impardonnable» en menant «une guerre qui ne sert à rien». «C'est pour ça que les Français ont reçu les cadeaux de janvier à Charlie Hebdo et à l'Hyper Casher», ajoutaient les pirates, en référence aux attentats contre l'hebdomadaire satirique et le magasin juif, qui avaient fait 17 morts entre le 7 et le 9 janvier à Paris. La France fait partie d'une coalition militaire internationale antijihadiste menée par les Etats-Unis, qui procède à des bombardements aériens depuis plusieurs mois en Irak et en Syrie, où l'EI a saisi de vastes territoires et déclaré un «califat». Le «CyberCaliphate» est «en train de rechercher les familles de militaires qui se sont vendus aux Américains», affirmaient encore les pirates sur Facebook.