Régulièrement, l'islam en Europe fait la «une» des médias avec une image répulsive: il est associé à la violence et la guerre. Jusqu'à amener des naufragés en mer, supposés musulmans, à jeter par-dessus bord des compagnons d'infortune supposés chrétiens. Emu, touché par l'enfer de la guerre en Syrie où meurent enfants, femmes, hommes sans distinction de race, de culture ou de religion, le pape a dit son affliction et sa tristesse et a appelé le monde, du haut du balcon du Saint-Siège, à sauver les «chrétiens». Les autres, plus nombreux à mourir sous le feu croisé de Daech, front An-Nosra, les fidèles au régime d'Al Assad, Al Qaïda et autres factions en guerre contre d'autres factions, n'ont qu'à se débrouiller avec leurs coreligionnaires ou les bombes venues du ciel. Avant-hier, des migrants subsahariens entassés sur une embarcation de fortune en naufrage en Méditerranée ont jeté à la mer d'autres compagnons de misère par-dessus bord, parce que «chrétiens». En France, un document-pamphlet posthume du dessinateur Charb de l'hebdomadaire satyrique Charlie Hebdo fait la «une» des médias. Intitulé «Lettre ouverte aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes» où il affirme que même si tous les musulmans de France se convertissent au catholicisme, ils subiront toujours le racisme et la xénophobie. En Belgique, tirant des «leçons» des attentats islamistes en France, les responsables politiques ont décidé de généraliser dans l'enseignement public un cours de «citoyenneté» au lieu et place des cours de religion ou de morale qui demeurent facultatifs. Par cette mesure, il faut bien reconnaître que c'est l'enseignement de l'islam qui est visé. Pas un jour ne passe sans que la question de l'avenir de l'islam dans le monde ne soit à l'actualité avec d'énormes interrogations, de suspicion et de désarroi. Jusqu'à ancrer dans les consciences des peuples l'idée non seulement d'une impossibilité de l'islam à survivre à la modernité, mais l'idée terrifiante que l'islam n'est que violence, crimes et guerres. Conséquence: il faut le combattre comme le fléau du siècle. Quatorze siècles de présence de l'islam dans le monde, dont sept siècles ont développé les sciences, les arts et les philosophies. Comment cela a-t-il pu ? Sept siècles marqués en Occident par la violence inquisitoire, l'obscurantisme et les guerres de schismes religieux. Comment cela a-t-il pu ? Jusqu'à hier, au sortir de siècles de colonisation et d'humiliation, les peuples musulmans ignoraient ce qu'est la violence faite aujourd'hui au nom de leur religion, l'islam. Qu'est-ce qui s'est passé depuis ces dernières années pour que l'islam et les musulmans soient au centre de l'actualité mondiale sous les seuls aspects de violence, de guerres et un visage de répulsion aux yeux des «autres» ? Les musulmans sont-ils les seuls responsables de ce déferlement de monstruosités et de guerres contre eux-mêmes ? Qui a broyé et semé la guerre en Libye, en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Palestine ? Ces pays d'où fuient des enfants, femmes, hommes jeunes et vieux sur des embarcations de fortune, périssent dans les fonds des mers et, pour ceux qui arrivent sur les côtes d'Italie, de Grèce ou d'Espagne, alimentent le débat xénophobe et raciste sur l'autre sujet qu'est l'immigration, sèment la discorde entre les Etat européens sur qui doit accueillir combien et à quel coût. Affaiblis, les yeux hagards, apeurés, ils sont recueillis, sous les caméras du monde, par les gardes-côtes et les humanitaires de la «Croix-Rouge» avec toute la charité «chrétienne» en pareille circonstance. Doucement, la thèse pernicieuse du choc ou clash des civilisations distillée depuis 1993 par son auteur, Samuel Huntington, se meut en choc ou clash des religions. Comme si un jour, tout d'un coup, les musulmans du monde arabe se sont mis dans l'idée de conquérir le reste du monde et de le soumettre à l'islam. Pourtant, depuis ces années quatre-vingt-dix, les guerres et agressions ont bien lieu chez et dans les pays musulmans. Pourtant, les premières victimes en nombre et très grand nombre sont des musulmans. Des pays musulmans sont ruinés par la guerre, pendant que d'autres vivent l'instabilité politique et le risque de guerre à tout moment. La confusion, l'amalgame, les mensonges et les manipulations sont tels, que même le pape François, d'habitude si alerte et vigilant, s'est laissé aller dans le piège du choc des religions: «sauvons les chrétiens d'Orient», a-t-il appelé. Et les autres, plus nombreux à mourir sous la violence des fous de Daech et consorts ? Qui va les aider, les sauver ? Faut-il attendre que des chefs d'Etat musulmans appellent de leur côté à sauver juste les musulmans ? C'est-à-dire mettre en relief, au grand jour, la ligne de démarcation: musulmans chrétiens, Orient contre Occident ? Et si toutes les guerres, les violences, le racisme, la xénophobie et les haines que vivent les pays musulmans n'étaient que la conséquence des misères, des injustices, du déni de liberté imposé par leurs gouvernants soutenus par l'égoïsme des riches pays industrialisés dans leur quête insatiable de plus de richesse et de confort ? Les boat people qui s'aventurent en Méditerranée ne fuient pas une religion, mais la misère et la guerre. Dans leur malheur, ils n'échappent pas au mode «guerre de religion», puisque, paraît-il, ils ont jeté à la mer des chrétiens. Donc, les survivants sont des musulmans. C'est ce que disent les médias, reprenant le pape.