«Nous refusons les instrumentalisations, les amalgames, les stigmatisations, ce que nous recherchons c'est le vivre-ensemble sur la base du droit international. L'islamophobie est une diversion pour cacher les échecs politiques», affirme le penseur. «En tant qu'intellectuel musulman et surtout algérien pétri par la culture de la dignité et de la résistance, c'est de mon devoir de vouloir, de manière civilisée et raisonnable apporter les contradictions car les réactions violentes ne servent à rien, il faut au contraire avec des arguments réfléchis montrer à l'autre pourquoi il se trompe». Depuis plus de 30 ans, Mustapha Chérif sonde inlassablement la question sensible et actuelle du dialogue des religions. Alors quand le pape Benoit XVI assimile l'Islam à la violence lors de son fameux discours lancé à l'université de Ratisbonne en Allemagne, en septembre 2006, Mustapha Chérif décide de prendre attache avec ce dernier. Sa demande est acceptée. En novembre 2006, Mustapha Chérif devient ainsi le premier intellectuel musulman à être reçu en audience privée - en tête à tête - par un pape au Vatican même. Un événement. C'est partant de cet épisode phare de son parcours qu'il choisit de relater dans son livre (sorti aux Editions Barzakh) sa «Rencontre avec le pape, l'Islam et le dialogue interreligieux». Ce livre n'est pas seulement le récit d'un entretien, d'une rencontre fabuleuse et exceptionnelle avec le pape, c'est aussi une tentative assez réussie de déconstruire le rapport souvent conflictuel entre l'Islam et le Christianisme, de voir les blocages à l'oeuvre par une analyse profonde des textes religieux (islamiques ou chrétiens) de l'évolution de la place de l'Islam eu Europe à la douloureuse question palestinienne qui peine de se faire entendre faute de stratégie de communication efficace. «C'est important que nous donnions l'occasion à celui qui se trompe de vouloir se corriger. J'ai expliqué au pape pourquoi il avait tort avec des arguments scientifiques clairs et il a tout à fait compris, ce qui lui a permis lors de son voyage dix jours après en Turquie, de se corriger. Il s'est rendu vers la Grande Mosquée bleue et il a prié avec le mufti...», nous a confié Mustapaha Chérif, samedi dernier en marge d'une vente-dédicace organisée à la librairie du Tiers-Monde. Et de souligner: «Nous avons besoin de cette autorité morale qu'est le pape d'abord, pour qu'il ne tombe pas dans le jeu du choc des civilisations.». Un concept inventé de toutes pièces par les Occidentaux et que notre érudit éclairé qualifie plutôt de «choc des ignorances» car dit-il: «Les civilisations cohabitent, elles s'échangent. Or, ce concept est dicté par des velléités de domination politique. Il est lié à une propagande qui cherche à faire diversion. Ils ont besoin de diversion pour faire oublier les vrais problèmes politiques qui sont les inégalités entre les peuples, le problème palestinien, les ingérences dans nos affaires.». Pour remédier à ces problèmes, Mustapha Chérif prône ainsi la communication pour faire propager la vérité au coeur du monde et faire triompher la véritable image de l'Islam. «Il faut savoir communiquer pour informer l'opinion publique internationale qui est trompée. Nous avons une part de responsabilité, savoir communiquer et informer avec des arguments clairs et raisonnables. Il faut corriger un certain nombre de pratiques, de nos paroles et de nos actes, afin d'être crédible et cette rencontre avec le pape a permis de donner à réfléchir à l'opinion internationale qui a vu un intellectuel musulman et algérien de surcroît, accepter le défi du dialogue et du débat sur des questions de fond. C'était un moment historique!» Alors, qu'on débat et fabrique la polémique autour de cet Islam qu'on se plait à diaboliser, Mustapha Chérif, lui, tente par tous les moyens de redorer le blason de cette religion hélas! toujours mise à l'index et surtout de tout temps instrumentalisée à des fins politiques. «L'islamophobie est une diversion pour cacher les échecs politiques. Il y a eu régression de la démocratie en Europe, aujourd'hui, et en France en particulier. Les relations internationales ne sont pas démocratiques. C'est une guerre de l'information. Il faut que nous puissions nous adresser aux citoyens du monde en disant la vérité. L'Islam a créé une civilisation. Il est innocent de toute propagande mensongère. Le racisme, la xénophobie, l'islamophobie sont un leurre et un contre-feu pour cacher les échecs d'un certain nombre de régimes, et d'un certain nombre de systèmes», fait-il remarquer. Et de renchérir: «Les Européens ne sont pas dupes, ils comprennent que c'est un leurre pour faire diversion, donc nous devons hausser le ton, élever la voix de manière claire et nette en disant que c'est inadmissible, que tout cela ne peut mener qu'à des confrontations nuisibles pour tous. Nous refusons les instrumentalisations, les amalgames, les stigmatisations. Ce que nous recherchons c'est le vivre-ensemble sur la base du droit international. L'Islam a prouvé à travers des siècles que nul n'a le monopole de la démocratie. Si certains problèmes se posent aujourd'hui dans les sociétés arabes, la raison est politique et non pas religieuse.»