Le Maghreb est une réalité historique très lointaine. Il fut pendant des siècles non seulement une réalité mais aussi un vécu social, culturel et économique permanent. Connu sous le nom de Berbérie ou Maurétanie, le terme Maghreb ou Occident musulman, opposé géographiquement à l'Orient et en affinité avec lui, coïncidera que bien plus tard avec l'extension de l'Islam dans la région. 1re partie Il est ainsi désormais rattaché à une aire géographique couvrant l'Afrique du Nord où se confondent aujourd'hui les cinq Etats: Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie et Mauritanie. Son passé millénaire est porteur de traces des plus grandes civilisations nées dans le pourtour du bassin méditerranéen sous les Berbères, les Romains, les Carthaginois, les Arabes et qui se sont fondues, mélangées sur son territoire avec ses vastes frontières, au gré de ses nombreux points d'accostage: Syrte, Carthage, Mahdiya, Béjaïa, Archgoul, Honaine, Salé L'histoire fait apparaître le Maghreb comme une aire où se sont mêlés, entrecroisés de nombreux courants humains, avec un mélange d'éléments ethniques différents et dont l'unité repose sur deux liens indéfectibles: la religion et la culture. C'est pendant le règne des dynasties berbères (almoravides, almohades) que l'arabe fut décrété langue officielle et, avec la maîtrise de son écriture et de sa langue, que le Maghreb, avec y compris l'Andalousie, a ainsi connu une des plus belles civilisations. Les choix de l'avenir rendent aujourd'hui le Maghreb, en tant que projet politique unitaire, déterminant de l'avenir de l'ensemble de cette région qui a constitué pendant plusieurs siècles une aire unifiée où il n'existait point de frontières à franchir, débordant au nord la Méditerranée et au sud l'Afrique, au-delà, le désert du Sahara, constituant une vaste zone de relations et d'échanges. Sous le règne des royaumes berbères les Ifrinides, les Almoravides, les Almohades, les Mérinides, les Zianides, les vieilles cités seront, du VIIe siècle au XVIe siècle, les capitales emblématiques: Béjaïa, Tlemcen, Marrakech, Fès. Le Maghreb médian, patrie des Zénètes dont sont issues les plus grandes tribus dont des Bani Khazar, vassaux des omeyyades de Cordoue, s'honorera de noms de grandes figures au panthéon de l'histoire du Maghreb: le kharédjite Abou Qorra, Abdelmoumen Ben Ali, Aboul Hassan al Marini consacrant son unité, de l'océan Atlantique aux golfes des syrtes... Depuis, du Maghreb on ne relève plus que des signes et des souvenirs mythifiés d'une unité politique qui a duré plusieurs siècles, avant sa séparation en Etats régionaux. Le dessein du grand Maghreb ne relevait plus que d'un imaginaire médiéval. C'est pendant l'occupation coloniale que le projet du Maghreb unifié du XIe au XIIIe siècle, sous les Almoravides et les Almohades fut ravivé, et cela dans le contexte du combat commun, celui du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie pour l'indépendance. C'est à partir de là, que le Maghreb, aujourd'hui recalé, va entrer depuis dans une autre phase historique, faisant face à des appétits coloniaux successifs. C'est le début des occupations ottomane en Tunisie et en Algérie puis française en Tunisie et au Maroc, avec l'avènement de protectorats et d'une colonisation en l'Algérie dont le pays fut profondément bouleversé, n'ayant pris fin qu'après une lutte âpre et dure. La présence coloniale, qui a duré cent trente-deux années, fut, certes, entre les autres pays du Maghreb, la plus douloureuse. C'est à l'époque de son unité que le Maghreb conquit sa place en tant que plaque tournante du commerce méditerranéen avec ses ports, ses voies de liaison transafricaines, ses grandes places de commerce: Constantine, Béjaïa, Tlemcen, Oran, Tombouctou, Honaine, Mahdia, Salé Depuis les indépendances, les décideurs politiques agirent en donnant, mais en vain, l'impression d'être prêts pour sa reconstruction. Leurs tentatives se vouèrent alors à chaque fois à l'échec, en raison de susceptibilités, de chapelles, en l'absence surtout d'un réel projet politique. Le projet est, de ce fait, resté longtemps en arrière-plan, partagé entre passé mal assimilé et présent indécis et mal défini. Les essais de synthèse historique d'intellectuels comme Abdellah Laroui, Wadi Bouzar, Abdelmadjid Meziane avaient, dès les indépendances, pris l'allure d'essais d'études pour une véritable prise de conscience, approfondissant la notion de maghrébinité et appelant à une culture indispensable pour la conduite efficace des politiques de rapprochement unitaire. La maghrébinité, cela représente la civilisation produite par le Maghreb, depuis des millénaires, en allant au plus profond de son histoire et qui peut être encore une référence sûre de coexistence, de tolérance et de rapprochement. En dehors de l'exaltation et des belles cérémonies de congratulations, les acteurs politiques, avec une impuissance de néophytes, montraient à quel point ils n'étaient pas encore prêts à cette reprise historique, un Maghreb dont les pouvoirs successifs ont faussé l'esprit jusqu'à le rendre incompréhensible, réduisant son énergie et paralysant son avenir. Alors, que de décennies perdues non seulement pour l'unité, mais également pour les réformes politiques avec pour objectif, une démocratie réelle. C'est l'histoire, la culture, la volonté de changement en agitation partout qui finiront par libérer le Maghreb et le rendre imaginable. Aujourd'hui, son besoin d'unité est étouffé sous de banales turpitudes, laissant son projet sans voix et sans perspective à un moment où cette région traverse de profonds bouleversements. L'histoire du Maghreb éprouve la nécessité d'une interprétation sous forme d'un problème de civilisation. C'est là le point de vue critique de l'historien maghrébin Abderrahmane ibn Khaldoun et pour qui l'approche de l'histoire apparaît sous la forme d'une dynamique de civilisation «hadara». Les hommes politiques maghrébins sont-ils conscients de l'enjeu important, culturel, politique et économique de cette reconstruction ? La césure créée par la colonisation et bien avant explique le vide provoqué dans son histoire. Plusieurs conditions aujourd'hui réclament la réalisation de l'acte d'union du Maghreb en tant que projet collectif de développement. Chez les peuples de la région, il y a ce refus de cette image fixe du Maghreb, alors qu'il était là, présent durant des siècles. Le XXIe siècle est appelé certes à augurer de nouvelles lignes entrant cette perspective en bravant les préjugés et les barrières. La tâche très difficile sera alors de consolider les relations d'entente cordiale en vue d'unir les peuples sous des pavillons communs, passage obligé qui nécessite une plus forte implication du parti du Maghreb unifié avec la mobilisation en priorité des élites du Maghreb créant des chaires consacrées à l'étude, avec aussi la mise en place de mécanismes politiques, juridiques et administratifs communautaires. Dans une vision globale, le concept de civilisation maghrébine commence depuis les peintures rupestres et le règne successif des «Imazighan» sur toute la région depuis Massinissa, Syphax en passant par Tarik ibn Ziad, Youssef Ibn Tachfin, Abdelmoumen Ben Ali, Yaghmoracen et les grandes dynasties originaires du Sud qui y ont établi leur pouvoir au Nord, voire les sanhadja, les lemtouna On ne peut parler de Magheb sans en avoir la conscience de l'histoire, de l'économie, de la culture, de la langue, scellements de son identité et c'est pour cela que le Maghreb en appelle aujourd'hui à l'élite et à son rapprochement. LE MAGHREB EN APPELLE A L'ELITE ET A SON RAPPROCHEMENT En Algérie, pays médian, le Maghreb du centre, l'enjeu de l'unité maghrébine est très ancien. Historique de conséquence, il est symbolisé par la rencontre fondatrice au XIIe siècle du mouvement des Unitaires (Mouwahidine) d'Ibn Toumert de Béni Malal (Maroc) et Abdelmoumen Ben Ali de Tadjra, près de Honaine, à Béjaia, un moment grandiose de cette unité. Dans les temps modernes, les leaders nationalistes Mohamed V, Abdelkrim Khettabi, Messali Hadj, Habib Bourguiba ayant pris une place dans la conscience nationale de leurs pays respectifs étaient profondément Maghrébins. Le drapeau conçu par Messali Hadj n'était-il pas initialement prévu comme emblème pour l'ensemble du Maghreb ? Aujourd'hui, ce pays n'a d'autres choix historiquement, politiquement que d'être de nouveau au cœur de ce projet. L'expression d'une volonté doit normalement se traduire dans la réalité avec la création de chaînes sous-jacentes des affaires du Maghreb impliquant les universités dans la recherche, la réalisation d'autoroutes Est-Ouest et Nord-Sud, en vue de l'intégration et de la croissance, enfin du centre d'études et de documentation à l'initiative de l'élite moderne inspirée par un profond désir de connaissance des influx du passé qui doit éclairer son destin et faire épanouir la culture riche de noms prestigieux de la pensée: Saint Augustin, Apulée, Saint Cyprien, Ibn Hazm, Ibn Arabi, Ibn Khaldoun, l'émir Abdelkader d'une pulsion maghrébine à part. La maghrébinité est un approfondissement dans le passé et aussi une perspective universelle. A cette démarche, répond l'implication des politiques mais aussi les intellectuels dont la tâche est d'accompagner les pas de cette construction par l'organisation de colloques, de tables rondes privilégiant des débats sur les enjeux futurs, les choix communautaires dégageant lignes de force en matière de coopération pour une dynamique permanente de dialogue fructueux, de travail, de production, d'innovation et cela dans la complémentarité. La construction du Maghreb est un mouvement irréversible et c'est pour cela qu'il faut casser les préjugés qui demeurent avec des a prioris fondés sur la méconnaissance de l'histoire de cette région qui, depuis longtemps déjà, ne produit plus d'Histoire. Avec les changements démocratiques, plus de place aussi à la démission et le vide laissé par les élites qui portent la conscience de ce Maghreb, négligeant leur rôle essentiel dans le chemin à faire, face aux défis de l'avenir d'où le besoin aujourd'hui d'animer un réseau Maghreb, à commencer d'abord par une opération de catharsis pour retrouver la confiance. Aussi, l'avenir du Maghreb dépend de la manière dont sera pensée la paix et la liberté, dans le respect des droits fondamentaux des peuples et de tous les facteurs pouvant entraîner encore sa fragilisation. Des problèmes de droits politiques pèsent négativement sur cette construction avec des rideaux de fer, terrestres et maritimes dans cette région qui, en même temps, traverse une période d'adaptation à l'évolution politique moderne. Sans doute aussi que le Maghreb n'a jamais été historiquement d'une homogénéité parfaite sur toutes les questions, sans jamais mettre pour autant en péril son unité. L'histoire nous rappelle que c'est le contrôle de la route de l'or avec les grandes voies sillonnant l'Afrique du Sud vers le Nord et vice-versa d'où la prospérité du Maghreb du temps des grandes dynasties subsahariennes sous notamment les Almoravides enfin Almohades qui ont unifié le Maghreb de l'océan Atlantique aux golfes des syrtes, jusqu'en Andalousie. Cette prospérité était due essentiellement au commerce transafricain où, bravant le désert, des marchands se sont impliqués, créant des circuits serrés d'échanges à l'origine aussi des brassages de populations d'où l'origine subsaharienne de plus de la moitié des habitants du Maghreb. Dans ce commerce, se sont illustrées plusieurs lignées de familles maghrébines de marchands et d'entrepositaires, à l'instar de la grande famille des «Maqqari» à la tête d'une des plus grandes compagnies de commerce transafricain, installant des prévôts, sécurisant les routes, creusant les points d'eau, établissant des comptoirs Les pouvoirs politiques y tiraient de grands profits de ses échanges qui, à l'époque médiévale, s'étendaient à l'Europe, l'Orient et l'Afrique, à travers le grand Soudan. Si le Maghreb fut fécond, c'est en raison de l'énergie de ses habitants mêlés, de toutes ses régions. LA MAGHREBINITE, UN APPROFONDISSEMENT DANS LE PASSE, UNE PERSPECTIVE UNIVERSELLE Le Maghreb aujourd'hui, dans sa perspective, ne doit pas se passer de renouer avec la même stratégie de l'espace, de l'économie et de la culture de son brillant héritage. Les espaces hier difficiles, malgré leur étendue et leur dureté, offraient l'image analogue d'un océan de sable où étaient en constante navigation les grandes tribus sahariennes: Messoufa, Sanhadja, Lemtouna Ces dernières eurent à jouer en profondeur, au-delà du Sahara jusqu'à sa grande façade maritime au nord, un rôle dans l'histoire politique et économique du Maghreb dont les peuples aujourd'hui ont grandement besoin d'une coopération stratégique. La décadence économique du Maghreb a commencé dès lors qu'il a perdu, dès le XVe siècle, le contrôle des voies de commerce avec l'Afrique et la Méditerranée avec les routes transafricaines de rapprochement et d'accès aux immenses ressources sahariennes et subsahariennes, un enjeu géostratégique, aujourd'hui, pour l'Occident. Les «Zenata» originaires du Maghreb central, actuelle Algérie, ont constitué pendant plusieurs siècles le socle inébranlable des grandes dynasties maghrébines. Avec l'émiettement de l'empire almohade au XIIIe siècle, le Maghreb, en quête aujourd'hui à se construire, est entré en décadence. L'effondrement de l'empire donna en conséquence lieu à la création des quatre Etats: les Nasrides à Grenade, les Mérinides à Fès, les Hafsides à Tunis, enfin les Zianides à Tlemcen. Ces dynasties, qui font toutes partie de la même couche géologique «imazighan», les Berbères-zénata. L'âme maghrébine trouve sans doute appui sur la culture dont le Maghreb avec y compris l'Andalousie a séduit depuis les temps produisant des figures arrimées aujourd'hui à la culture universelle: Saint Augustin, Apulée, Ibn Khaldoun, Ibn Rochd (Averroès), Ibn Tofail, Ibn Arabi, Abdelkader Ibn Mahieddine Une chaîne solide d'écoles, de médersas constituèrent au moyen âge arabe ses principaux relais de transmission de la science et de la culture du nord au sud à Tlemcen, Béjaïa, Tunis, Agadès, Kano... Ces relais forts de la pensée et de l'esprit sous la vêture de l'Islam étaient conduits par de grands maîtres d'écoles: Al-Abili, les frères Issa et Moussa al-Imam, Al-Hafidh ibn Marzouk Lissan eddine Ibn Khatib (m. en 1374 à Fès), double ministre (Dhû-l-wizaratayn) des rois Nasrides de l'Alhambra très critique en tant à la fois homme politique et de science, parlant d'Islam et de sa civilisation, accordait, certes, un sens élargi à la notion de refondation du Maghreb dans son «Ihâta fi akhbar Gharnata», évoquant aussi la fécondité et la contribution intellectuelle des savants de l'Andalousie et du Maghreb. Les grandes figures de l'âge d'or de la civilisation sont des Maghrébins natifs tantôt de Béjaïa, de Tlemcen, de Fès, de Tombouctou qui ont connu une brillante civilisation citadine et d'autres centres, ayant vécu dans un Maghreb sans frontières à Fès ou à Grenade, morts à Kairouan ces vieilles cités de rayonnement de la culture. Le célèbre roi zianide Abou Hammou Moussa II était natif de Grenade ayant grandi à Tunis et que son aîné Abou Saïd Othman s'était allié au Hafsides de Tunis épousant une de leurs princesses Les alliances, les va-et-vient incessants entre le Maghreb et l'Andalouse, à l'époque ont forgé l'esprit maghrébin d'entente et d'ouverture, dans cette aire historique. L'ère coloniale a accentué la dégénérescence du Maghreb au moment des revendications nationalistes. Le terme Maghreb a «une signification historique et dynamique», écrit l'historien Abdellah Laroui. Il y a aussi ces grands noms de savants fondateurs de cette maghrébinité millénaire qui ont légué à l'humanité un sublime héritage de traditions en liaison avec la médecine, l'astronomie, la musique, l'architecture L'héritage des savants maghrébins: Abou Madyan né à Cantillana (1127-1197), Ibn Rochd (Averroès) (1126-1198), Mahieddine Ibn Arabi (1165-1240), Es-Shusturi (né en 1212), Daoudi ben N'çar (m en 1011), Cheikh Ben Youssef es-Sanoussi (1424-1485), Abi Abdillah Charif (1310-1389), At-tanessi (né vers 1240), Abdelkrim Al-Maghili(1417-1503) et tant d'autres savants de la pensée mystique qui y ont laissé une forte empreinte de leur pensée sur l'Islam dans le Maghreb avec y compris l'Andalousie, fut un grand moment universel. A suivre * Journaliste-écrivain. Ancien rédacteur en chef régional de l'APS