On ne peut s'empêcher d'éprouver un sentiment diffus à la lecture quotidienne des journaux ou lors d'un échange avec des amis. Il s'agit d'un sentiment de déjà vu ou déjà entendu. Les mêmes mots, les mêmes intonations reviennent en boucle. Bégaiement ? Mais qui bégaie ? Est-ce nous ou est-ce l'Histoire ? Sans doute, ne faisons-nous que nous conformer à l'absence d'imagination de notre destin qui nous confronte chaque jour aux mêmes paysages, aux mêmes gestes, répétés, attendus. Il n'est pas aisé d'habiller chaque jour d'un discours différent un état immuable des choses Alors, nous nous adonnons sans plaisir à un éternel ressassement, ressassement qui participe lui-même du maintien de la pose figée du pays, de la société... Nous nous complaisons du reste dans la jouissance morbide de la répétition. Nous rivalisons d'imagination pour dire combien la situation est désespérée, qu'il est inutile de chercher une issue et qu'il faut nous laisser porter vers le terme fatal de la course à l'abîme en utilisant le temps qui reste à demander grâce à Dieu en multipliant, en exacerbant les marques d'une dévotion démonstrative. Il y a toutefois un frémissement, qui se traduit notamment par le débat qui court sur la ou les langues qui doivent être enseignées à l'école. Au milieu des inévitables vociférations des habituels gardiens des temples, on distingue les voix mesurées d'intellectuels qui, bien que prônant des approches contradictoires, arrivent à débattre sans s'étriper, sans sortir les couteaux. Je suis de ceux qui appellent à rendre toute sa place à l'arabe de nos aïeux, langue de la science, de la philosophie, langue dans laquelle ont été écrits, s'écrivent encore, les plus sublimes des poèmes, les plus beaux des romans. Il faut, dans le même mouvement, étendre l'apprentissage de tamazight, langue-mère, à l'ensemble des Algériens. Cette langue est une part de notre patrimoine commun. Qu'elle soit ignorée de la majorité de la population est une anomalie qui doit cesser. Certains appellent à instituer de jure une situation qui existe de facto. Il s'agit du français, dont l'utilisation est encore très large en Algérie. Il ne faut certes pas interdire cette langue. Dans un souci purement pragmatique, il faut lui permettre de continuer d'exister là où elle nous est encore nécessaire. Pour autant, il ne faut lui donner aucun caractère institutionnel. Sa présence sur notre sol est le résultat d'un viol, ne l'oublions jamais. Je sais, ces lignes sont écrites en français. Je fais partie des 16 % d'Algériens «alphabétisés» que comptait l'Algérie au moment de son indépendance. Comme beaucoup d'entre eux sans doute, j'ai été tenté d'endosser le costume du francophone francophile, dédaigneux d'un héritage dont ma mémoire n'avait gardé que les petits matins poussiéreux des écoles coraniques. J'ai préféré me souvenir de la splendeur des poèmes du Parnasse et du cinéma de Carné-Prévert. Et puis m'est revenu, du fin fond de ma mémoire, le souvenir de morts sans sépulture, de visages d'enfants grimaçants dans l'enfer d'une grotte enfumée Ce souvenir avait été occulté par celui du lait vénéneux que j'avais tété au sein abondant de la France coloniale. Alors, un statut de langue officielle pour le français, non, de grâce ! En ce qui concerne le débat entre langue savante et deridja, je ne voudrais pas revenir sur des positions que j'ai déjà exprimées dans ces colonnes mais juste faire un petit rappel. La France coloniale avait tenté de promouvoir cette dernière en finançant de nombreux ouvrages et en en faisant une des matières pour certains examens. La langue savante n'avait pas bénéficié de la même faveur. Elle était enseignée comme une langue étrangère, à raison d'une heure hebdomadaire à l'école, deux heures au lycée. Cela ne l'avait pas fait disparaître. Voudrait-on aujourd'hui réaliser le projet que la France coloniale a échoué à faire aboutir ?