Le président de la République a mis fin hier aux fonctions du chef du renseignement et de la sécurité, le général de corps d'armée Mohamed Mediene et l'a remplacé par le général major Athmane Tartag. « Conformément aux dispositions des articles 77 (alinéas 1 et 8) et 78 (alinéa 2) de la Constitution, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ministre de la Défense, a mis fin aux fonctions de chef du département du renseignement et de la sécurité (DRS) exercées par le général de corps d'armée Mohamed Mediene, admis à la retraite. Le président de la République a nommé Athmane Tartag chef du département du renseignement et de la sécurité. Athmane Tartag, général major à la retraite, était jusqu'à ce jour conseiller auprès du président de la République. Auparavant, il avait assumé plusieurs hautes responsabilités au sein des services de renseignement et de sécurité. » C'est ce qui a été annoncé hier dans un communiqué de la présidence de la République. La nouvelle ne doit, en principe, étonner personne puisque l'ensemble des changements opérés depuis quelques mois au sein du DRS portaient inévitablement à croire que « la mise à la retraite » du DRS ne devait pas tarder. L'arrivée de Abdelaziz Bouteflika aux commandes du pays en avril 1999 devait incontestablement changer l'ordre établi depuis que l'Algérie a arraché son indépendance à la France coloniale. Un ordre tracé conformément à un partage de pouvoirs qui a eu lieu avant, durant la préparation et pendant la guerre de libération nationale par les soins de ceux qui se sont autoproclamés «chefs historiques et politiques» sans aucun aval populaire ni autre civil. Il était évident que le maintien d'un cap précis à cette période ne pouvait se faire autrement puisque aucune instance « légitime » n'était en place, le pays étant sous le joug d'une colonisation d'âge millénaire. L'histoire nationale ne semble pas avoir pris une ride depuis cet ordre «établi». L'Algérie du système fonctionne à ce jour sous l'influence des wilayas historiques. LE POUVOIR AU NOM DES WILAYAS HISTORIQUES Après la petite parenthèse du bref règne de Ben Bella, issu de la wilaya historique V, c'est la wilaya historique 1 (les Aurès-N'Memcha) qui a accaparé les pouvoirs militaires et parrainé ceux civils et en introduisant la wilaya 3 (la Kabylie) dans ses rouages les plus exclusifs. C'était le deal conclu entre les chefs des deux wilayas et qui a été gardé jalousement par les détenteurs des pouvoirs jusqu'à ce que la déferlante islamiste fasse son apparition avec tous les dangers qu'elle a provoqués pour faire basculer le pays dans le chaos. « Le cabinet noir » de l'époque composé essentiellement de généraux avait décidé de faire valoir la force militaire contre ceux des islamistes qui se sont mis dans la tête qu'en égorgeant des « civils », ils pouvaient accéder au pouvoir sans difficulté. Les élections de 1991 sont venues démontrer au pouvoir militaire des années 90 qu'il avait «permis» à une bête immonde de grandir et de prendre le pays et le peuple en otages. Les généraux ont pensé prendre les devants en déclarant en janvier 1992 le processus électoral « nul et non avenu ». Décidé en janvier 1992, l'arrêt du processus électoral est inscrit dans les annales de l'histoire sous l'acte «des Janviéristes». C'était le début d'un génocide sans précédent. Bien qu'il ait été un membre influent du fameux Conseil de la Révolution installé et dirigé par le président Houari Boumediene après qu'il ait mené en 1965 un coup d'Etat contre Ahmed Ben Bella, premier président de l'Algérie indépendante, Bouteflika avait vécu de belles années au sein du pouvoir. La disparition de Boumediene l'avait précipité dans un engrenage infernal de règlement de comptes. Accusé par les services de la Cour des comptes d'avoir détourné des deniers publics, Bouteflika avait été poussé à vivre une traversée du désert pendant plus de vingt ans. LES TEMPS DES REVANCHES Ce n'est qu'en 98 qu'on entendra parler de lui pour un retour devant être «plébiscité» par les animateurs de la Conférence nationale tenue la même année par les détenteurs des pouvoirs militaires sous couvert de civils. Ce qu'il refusa catégoriquement pour ne pas être « ce trois quarts de président » qui l'a toujours hanté. Il reviendra en 99 grâce à l'insistance de Larbi Belkheir pour tenter de sauver de qui pouvait l'être après une décennie de terrorisme qui a mis l'Algérie à genoux. Il devait surtout convaincre l'opinion internationale que l'option « qui tue qui » n'avait pas de mise en Algérie et que l'armée avait mené une lutte sans merci contre le terrorisme. Les généraux avaient alors accepté sa venue sans rouspéter. Pour la première fois, ils remettaient en question « le deal des chefs historiques et politiques ». Bouteflika a été ramené aux commandes du pouvoir au nom de la wilaya V sous le sceau « du clan d'Oujda ». Il est revenu mais certainement avec en tête de mettre au pas ceux qui ne l'ont pas défendu quand il a été poussé dans une descente aux enfers. Selon nos sources, il jurera de décapiter le système en place et de mettre fin aux fonctions des hommes qui l'ont incarné depuis toujours. Le départ inattendu de Larbi Belkheir de son poste de directeur de cabinet à la présidence de la République, pourtant « faiseur de rois (présidents) », en était un signe indéniable. Le reste a suivi sans problème. Bouteflika était revenu au pouvoir pour prendre ses revanches sur l'histoire et sur beaucoup d'hommes. Mohamed Mediene, dit Toufik, en fait partie. C'est le dernier des Janviéristes «qui tombe». Connu aussi sous le substantif de «Rab el bled », Toufik n'a pas « d'image » dans la société. Le peuple ne lui connaît pas de traits physiques. Samedi, Ahmed Ouyahia disait qu'une loi dans un certain pays pénalise celui qui donne le nom du chef des services secrets. En Algérie, il faut compter sans les débâcles qui peuvent être programmées un jour ou l'autre par les centres de pouvoirs pour démystifier un mythe et ce quelle que soit son « aura ». Nous publions le 2 août dernier (en page 2) dans ces mêmes colonnes que « l'histoire a bien retenu que le patron des services des renseignements dont le visage reste pratiquement inconnu par le commun des mortels, a été accusé de faute grave par l'inculte secrétaire général actuel du FLN sans que celui-ci ne soit banni des rangs du parti comme l'a été son prédécesseur Belkhadem pour on ne sait quoi. C'était quand même le premier signe fort de la débâcle du DRS. » LE DERNIER DES JANVIERISTES Nous écrivions aussi dans le même article que « beaucoup de responsables rappellent les dispositions de la Constitution pour démontrer que le chef de l'Etat a des pouvoirs sans limites pour nommer et limoger qui il veut sans en préciser les motifs. « Il est le chef suprême des forces armées de la République, responsable de la défense nationale, ( )arrête et conduit la politique extérieur de la Nation, ( ) nomme le 1er ministre et met fin à ses fonctions, dispose du droit de grâce, de remise ou de commutation de peine,( ) nomme aux emplois civils et militaires de l'Etat, ( ) les responsables des organes de sécurité( ) », stipulent les articles 77 et 78 de la Constitution. » C'est ce qui a été avancé dans le communiqué de la présidence de la République rendu public hier pour soutenir l'annonce de la mise à la retraite du général de corps d'armée, Mohamed Mediene. Autres précisions dans le même papier où nous faisons part de rumeurs sur une éventuelle tentative d'assassinat de Saïd Bouteflika en juillet dernier, la veille de l'Aïd El Fitr. « Hallucinations, bavardages de cafés, illusion collective, il est évident que la réponse n'est à portée d'aucune main ». « Seul Dieu et les Bouteflika le savent et encore ! », s'est exclamé un haut fonctionnaire. Des voix ont susurré que les Bouteflika ont monté un scénario pour procéder aux changements dans les plus hautes instances des services de sécurité. « Ceux qui le pensent n'ont rien compris au fonctionnement et à l'exercice du pouvoir notamment depuis 2004 », nous disait jeudi dernier un haut gradé. Toufik a pourtant toujours était décrit comme étant « un idéaliste prêt à défendre la République et ce, quel que ce soit le président qui la dirige ». Hier, de hauts responsables disaient déjà de lui qu' « il représente l'aile sage du DRS. Il prône toujours le calme et la sagesse pour la gestion et le dénouement de toute situation. » Ce qui suppose que le DRS est partagé en deux, « l'aile sage » et « l'aile méchante ». Le pacte qui l'a lié à Bouteflika pendant plus de quinze ans a été rompu hier. L'on dit que les Janviéristes encore en vie ne lui ont jamais pardonné d'avoir accepté d'être aux côtés du président toutes ces années. QUADRILLAGE D'EL MOURADIA ET L'APRES-BOUTEFLIKA Dès la publication du communiqué de la présidence la République mettant fin aux fonctions du chef du DRS, le siège de la première institution du pays a été totalement quadrillé par les forces de sécurité. Toutes les issues menant au siège de la présidence de la République ont été bouclées. Le quartier d'El Mouradia était difficile d'accès. L'avenue remontant du lycée Bouâamama (ex-Descartes) et menant vers le rond-point d'El Mouradia a été interdite à la circulation. Il en a été de même pour celle menant vers Bir Mourad Raïs ou vers Riadh El Feth et autres ruelles avoisinantes. L'affaire du général Hassan, ex-chef de la lutte antiterroriste, dont le sort dépend de la justice, selon Ouyahia, directeur de cabinet de la présidence de la République, semble être inscrite sur les mêmes tablettes que le démantèlement du DRS et la mise de fin de fonction de Toufik. «Il est certain que les conséquences d'un tel processus de désagrégation, et elles doivent bien exister, ne peuvent être ni signées, ni précisées encore moins assumées publiquement par ceux qui le subissent. Par contre, ils savent que ceux qui l'ont programmé ont toute latitude de l'achever », écrivions-nous encore le 2 août dernier. La nouvelle de la mise à la retraite du chef du DRS s'est très vite répandue hier dans tout le pays. «Allah youstor ou yahfadh el bled (Dieu préserve et protège le pays)», disaient de nombreux responsables. La longue sortie médiatique de Ouyahia lundi pour insister sur son soutien à Sellal et au gouvernement n'avait rien de fortuit. Il a voulu montrer, malgré lui, que Sellal avait le vent en poupe, peut-être l'homme de la conjoncture. Sellal incarne bien la wilaya historique 2 (le Nord-Constantinois). L'on ne sait si le pouvoir devra changer de main ou pas dans peu de temps. L'après-Bouteflika n'est en tout cas pas loin même si son clan avec à sa tête son frère Saïd détient tous les pouvoirs. Il semble que d'autres changements vont intervenir incessamment. «On donne un mois à Sellal», nous disait hier un analyste politique. L'on dit que Saïd s'était querellé avec Toufik de ce qui sera fait l'après-Bouteflika. L'on s'interroge déjà si « le frère » pense-t-il en tirer les plus gros dividendes pour rester maître des lieux. L'on ne saura encore rien. Pour toujours gagner du temps, les tablettes du pouvoir de l'heure sont de tout temps réajustées en dernière minute.