Le service des urgences est la vitrine même de chaque structure hospitalière si ce n'est du système sanitaire lui-même. C'est souvent le premier contact entre le malade et l'hôpital ; et de cette première impression se construit souvent et parfois définitivement l'image de la santé d'un pays. L'organisation du service des urgences dans l'organigramme de la politique de santé doit être une priorité absolue ; elle répond à des normes internationales mais doit aussi prendre en compte certaines spécificités socioculturelles très ancrées. On distingue de façon simplifiée les urgences médicales, les urgences chirurgicales et traumatologiques, les urgences gynécologiques et accessoirement pédiatriques. Chacun de ces groupes doit répondre à des sollicitations bien précises ; en plus de la dimension médicale la dimension humaine prend une place capitale. Dans notre pays Il existe une grande disparité entre les urgences d'une ville à une autre et d'un hôpital à un autre, en fonction de la densité de la population, de l'importance de la wilaya et surtout des compétences humaines disponibles. Des difficultés sont communes à tous les services des urgences : afflux à des heures de pointe difficile à gérer, accueil des malades et de leur famille ne répondant pas aux inquiétudes, cellule d'écoute et d'orientation souvent absente, agencement inadéquat, intimité non respectée, sécurité du personnel insuffisante. - D'autres difficultés sont spécifiques à des régions : nombre insuffisant par rapport au développement de la ville (certains centres urbains ne disposent que d'un seul point qui répond au minimum) les autres ne sont présents que de nom ; ils sont de ce fait boudés par la population. -Le plus difficile à gérer est sans équivoque le déficit en compétences médicales et paramédicales et dans d'autres cas des explorations indispensables à la prise en charge de l'urgence (ex : le scanner). Il en résulte donc une différence dans la qualité de prise en charge et surtout une inégalité des chances (parfois de survie) selon le lieu où l'on réside. Un malade à proximité d'un CHU à plus de chances de s'en sortir qu'un autre issu d'une ville en manque de cadres médicaux et paramédicaux. Il n'y a pas photo. Ceci est donc perçu comme une injustice et c'en est une ! Il est vrai qu'on ne peut édifier un CHU à chaque coin de rue, mais il est du ressort de l'Etat de mettre tout en œuvre pour garantir une prise en charge optimale et équitable à chacun de ses citoyens où qu'il soit ; il existe par contre des alternatives pour optimiser au maximum les soins urgents et offrir les mêmes chances aux malades. Avant d'aborder le volet médical des urgences elles-mêmes, il convient d'aborder l'environnement, facteur tout aussi important qui peut même conditionner l'efficacité des prestations. . Un point crucial est l'affluence dont l'impact sur l'accueil et la prise en charge rapide des urgences vitales est déterminant ; aux urgences, le principe du premier venu premier servi n'est pas applicable ; ce message doit être véhiculé et rappelé à chaque occasion ; on ne s'intéresse pas de la même façon à une rage de dent qu'à un infarctus du myocarde (crise cardiaque) ; la solution est d'instaurer un service de tri, car souvent plus de 70% des personnes se présentant aux urgences relèvent de la simple consultation médicale et de plus en plus psychologique l'absence de tri use le personnel et dilapide le temps et les moyens ; certains malades dont l'état nécessite la conjonction de tous les efforts possibles peuvent voir leur état s'aggraver alors qu'on pouvait faire quelque chose à temps faute d'attention à leur égard, le personnel étant harcelé par des parents ou patients dont l'état, même s'il engendre des inquiétudes ou quelques souffrances, est loin d'être critique. La presse rapporte souvent des faits de bagarres et d'agression du personnel ; les malades ou leurs familles s'estimant délaissés ou défavorisés. Le tri ne requiert pas nécessairement une compétence médicale, l'expérience est déjà mise en œuvre en Europe et cela marche très bien, un personnel infirmier formé peut s'atteler à cette tâche. Il peut même commencer les soins et les examens de routine facilitant ainsi la prise en charge ultérieure et permettant un gain de temps. La hiérarchisation des soins est obligatoire afin d'épargner au maximum les ressources humaines et matérielles et répondre aux mieux aux doléances légitimes des patients. L'absence de point de garde assurant des consultations à ces heures de pointe aggrave l'encombrement des urgences. Une unité de consultation proche ne sera que bénéfique. Des permanences assurant la consultation aux heures d'affluence (de 17 à 20 h généralement) ne peuvent que soulager les urgences de la pression subie. . Les urgences médicales vitales peuvent se résumer en deux grands chapitres :les urgences cardiovasculaires (les infarctus=crises cardiaques) et les urgences neurologiques (les accidents vasculaires cérébraux) ces pathologies sont les grands pourvoyeurs de décès aux urgences ; une stratégie pour y faire face s'avère indispensable ; elle doit reposer en premier lieu sur une formation de qualité du personnel médical et paramédical qui doivent savoir interpréter un ECG (électrocardiogramme) et dominer les protocoles thérapeutiques ; des stages pratiques dans les CHU et des séminaires théoriques doivent leur être dispensés par des spécialistes ; cette formation doit être régulière et obligatoire. - le personnel affecté, en premier lieu les médecins généralistes (principalement dans les hôpitaux de villes dites de « l'intérieur »), doivent jouir d'un minimum d' expérience ; le service des urgences ne doit pas être un purgatoire où l'on affecte par mesure disciplinaire ni un passage obligé pour les pré-emploi ; le personnel doit être stable et bénéficier de motivations conséquentes ; les primes de garde doivent être en rapport avec la responsabilité et la charge de travail, les chambres de garde doivent répondre à un maximum de confort ainsi que la restauration, la sécurité doit être assurée, enfin la reconnaissance de leur statut d'urgentiste doit être établie. - L'architecture doit répondre à des impératifs de fonctionnalité, les urgentistes doivent pouvoir travailler dans la sérénité loin de la pression des parents et proches ; l'intimité des malades doit être respectée. - Les médications d'urgence tel les thrombolytiques (médicaments visant à dissoudre les caillots de sang qui bloquent la circulation au niveau du cœur) doivent être disponibles dans tous les services malgré leur coût rien n'est trop cher pour sauver une vie humaine ou éviter un lourd handicap pour la patient et sa famille et grever davantage les caisses de sécurité sociale, les médecins (généralistes) doivent être entraînés à les utiliser ; dans les lieux où il n'existe pas de service doté, les moyens d'évacuation doivent être disponibles et équipés. -Le même raisonnement s'applique aux urgences neurologiques à l'origine de nombreux décès et de souffrances pour les survivants, le personnel doit savoir faire un examen neurologique complet et entamer sans délais le traitement en cas d'accident vasculaire ; la proximité d'un scanner est fort utile ; des partenariats avec des privés peuvent être conclus avec les hôpitaux qui n'en disposent pas. -Un autre point aussi important est à évoquer et qui concerne la maternité : tout d'abord une maternité sans gynécologue, sans réanimateur ne devrait pas assurer les accouchements. Il doit y avoir impérativement une couverture médicale. L'apport des obstétriciens libéraux serait une aide précieuse. À condition de rémunérer leur actes à leur juste valeur sans se contenter de les obliger à accepter à coup de réquisitions une indemnité humiliante devenue dans certains établissements une solution de facilité pour fuir les responsabilités. Les conventions datant de plus d'une décennie doivent être revues et actualisées. -Le transfert des mères ou des nouveaux-nés souvent ne répond pas aux normes de sécurité. Faute de moyens, il faut avantager le transfert in utero ; en termes simples, adresser la maman dont la grossesse est à risque (pour elle ou son bébé à temps) et avant qu'elle n' accouche en catastrophe dans un service adapté (apte à prendre en charge la mère et son bébé ). Le fait d'attendre l'accouchement pour agir complique la situation et impose une logistique lourde humainement et financièrement pour répondre à une double urgence maternelle et néonatale ; le nouveau-né, en absence d'un service équipé, devra pouvoir être transféré dans le respect des règles : dans une couveuse de transport autonome, assurant un apport en oxygène, une assistance respiratoire, une température adéquate et un isolement vis-à-vis des germes pouvant provoquer une infection, ces conditions sont loin d'être assurées dans la plupart des cas, ce qui grève la morbimortalité néonatale. Dans les situations d'urgence, un diagnostic et donc un traitement efficace sont tributaires d'une mise en route rapide ; il va falloir alors agir en amont en pensant sérieusement à créer des SAMU (services d'aide médicale urgente), présents malheureusement à l'échelle embryonnaire que dans quelques grandes villes. Dans les autres villes, un SAMU peut intégrer plusieurs communes en fonction de la densité de la population ; les services des urgences hospitalières pourront alors se décharger de l'énorme poids qu'ils subissent. Il sera alors possible d'agir à temps quand la survie des patients peut se jouer à quelques heures ou minutes près. Certes, cela engagera des coûts additionnels, mais permettra de sauver des vies et d'éviter les graves conséquences sanitaires et même financières qu'engendrera une intervention tardive. En conclusion : le chantier des réformes sanitaires est gigantesque ; il est quasi impossible de parer à tout en même temps, mais il faut agir là où les problèmes sont criards et où les bénéfices sont palpables, dans l'immédiat dès que la bonne volonté se met en route.