LA DERNIERE NUIT DU RAIS. Roman de Yasmina Khadra. Casbah Editions, Alger 2015, 207 pages, 850 dinars. Il méprisait Saddam Hussein pris, caché dans un puits. Il s'est fait prendre, lui, Mouammar Kadhafi, du clan des Ghous, maîtres du Fezzan, terré au fond d'une canalisation agricole, lors de sa fuite. Hussein a fini pendu. Lui s'est fait lapider par son peuple. Vie et mort d'un dictateur sanguinaire et mégalomane... qui, enfermé durant de longues années dans l'exercice d'un pouvoir sans limites, une dictature, a formé un peuple qui, élevé dans une atmosphère de haine, de vengeance et de sang, lui a rendu la (grosse ) monnaie de sa pièce. Mais l'auteur ne raconte pas que ça ! Il va plus loin et, à travers le personnage du Guide, du Raïs, à travers sa «résistance» pathétique et sa fuite éperdue, il décortique les ressorts du «Pouvoir» : Au départ, de «bonnes» intentions ; en cours de route de multiples déviations ; à la fin, la dictature mégalo-maniaque avec ses abus et ses crimes. De la démocratie populaire et/ou populiste et presque bon enfant à la dictature sanguinaire, le pas est vite franchi. On ne s'en aperçoit même pas. On ne veut pas «lâcher prise». On croit tout savoir, tout pouvoir, sans devoir. La rancune, la vengeance dopées qui plus, sont des plats qui se mangent tout chauds. L'officier qui l'avait traité de «bâtard» ( car, paraît-il, fils d'un soldat italien en fuite recueilli par la tribu durant la 2è Guerre mondiale ) et freiné sa promotion. Celui qui lui avait refusé la main de sa fille, le laissant seul, comme un c , avec une boîte de gâteau sur le pas de la porte. Ils le paieront tous (parents et alliés y compris) cher, très cher avec, comme dessert la fille, devenue bonne mère de famille. N'empêche Mais, plus dure est la chute. Les exemples dans le monde et surtout dans «notre» monde en développement, ne manquent pas. Le Rais finira donc seul, tout seul, seul au monde : «Abandonné par ses anges gardiens et par les marabouts» qui lui «prédisaient mille victoires pour quelques zéros de plus sur leur chèque». L'auteur : Yasmina Khadra, vous connaissez ? Oui, donc, on vous fera l'économie d'une présentation. Et, pour ceux qui ne l'aiment pas, on signalera seulement que la plupart de ses romans sont traduits dans près de cinquante pays, qu'il a obtenu plusieurs prix en Algérie et à l'étranger et que certaines de ses œuvres ( L'Attentat, Ce que le jour doit à la nuit... ) ont été portés à l'écran. Qui dit mieux en Algérie ? Voilà un «compliment » qui va grandement flatter son ego et qui ne va pas plaire à certains. Avis : Un livre plus que réussi ! Tous les détails, ou presque tous, mais aussi de l'histoire et de la psycho-sociologie, sur la fin peu glorieuse, d'un dictateur arabo-islamo-«marxiste »-internationaliste «révolutionnaire»... qui se prenait pour, sinon un prophète, du moins un Guide invincible. Du «syncréti (n)isme politique» comme on en a peu vu. Et, qui a préparé le lit à l'interventionnisme (ceux-là mêmes qu'il a humiliés ou qu'il a cru avoir «achetés»), à l'anarchie, à l'extrêmisme et au banditisme. A quand des romans sur Sadam Hussein sur Ben Ali et Bachar El Assad ( ?) ... sur... ? Une longue liste. Une liste ouverte ! Citations : «Un Guide n'a pas d'humour. Ses allusions sont des consignes, ses anecdotes des mises en garde» (p 31) «Il n'y a aucune différence entre celui qui se livre et celui qui refuse de se battre.( ). Le premier a le courage de sa lâcheté, le second en est totalement dépourvu» (p 48), «Le pouvoir étant hallucinogène, on n'est jamais à l'abri des rêveries meurtrières. De la garnison au palais présidentiel, il n'y a qu'un pas, et l'ambition démesurée prime le risque »(p 74), «Dieu n'est avec personne. N'a-t-il pas laissé mourir son propre fils sur la croix «(p 139), «Ce qui n'a pas de fin use et ennuie» (p 147), «Etrange comme les hommes espèrent accéder dans la mort à ce qu'ils n'ont pas acquis pendant leur vie» ( 154), «Le pouvoir est une méprise : on croit savoir et l'on s'aperçoit qu'on a tout faux. Au lieu de revoir sa copie, on s'entête à voir les choses telles qu'on voudrait qu'elles soient. On gère l'inconcevable du mieux que l'on peut et on s'accroche à ses lubies, persuadé que si on lâchait prise, ce serait la descente aux enfers «(p 193) L'ALGERIE DE L'ESPOIR. Essai de Ahmed Benbitour. Editions Dar El Khaldounia, Alger 2015 , 127 pages, 250 dinars. Trop intello, Benbitour ? Au minimum, professoral avec un souci évident (forcé ?) de pédagogie. C'est la première impression retirée de la lecture de son «petit» livre qui ressemble bien plus à un constat et à un programme dressés bien plus par l'universitaire et (ancien) grand commis de l'Etat que par l'homme politique. D'habitude, les hommes politiques algériens vont droit au but, descendant (dénonçant) en flammes ce qui existe chez les autres (le pouvoir) et énonçant des solutions pour la plupart généralistes. Chez notre homme, il y a une entrée en matière qui se veut (et qui est) rigoureuse, mais qui pèche par des raccourcis, surtout ayant trait aux faits ou propos historiques dont certains sont présentés rapidement et hors contexte (exemple concernant l'immense Ferhat Abbas, ce qui a entraîné une série de protestations et de rectifications). D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi nos politiciens, anciens ou nouveaux, passent leur temps, s'escriment, quand ils écrivent (si, si, ça arrive !), à raconter l'histoire du pays, à remonter son cours -au lieu de se fixer uniquement ( ou, surtout, sur le présent et l'avenir)- avec le grand risque, en tant que non-historiens validés, de raconter ou de rapporter des «bêtises» et d'ajouter de l'ombre à la confusion intellectuelle déjà existante ou entretenue par une certaine rancune, dans une ambiance de «règlement de comptes». Ceci dit, le reste est totalement dans ses cordes. D'abord, description d'un pays en «transition permanente» : à savoir, ni système politique autoritariste organisé, ni démocratie et ni économie administrée correctement planifiée ni économie de marché. Ensuite, analyse du système de gouvernance avec un Etat qui se caractérise par l'autoritarisme, le paternalisme et le patrimonialisme dans l'exercice du pouvoir et par la rente et par la prédation dans l'allocation des ressources : Un système «kleptocratique». Après, et cela coule de source, la grande question : quelle stratégie pour la transition démocratique ? Beaucoup (trop) de questions et de comparaisons. Enfin, le programme pour construire une Algérie de paix, de justice et de prospérité : avec des tâches proritaires, autour de la refondation de l'Etat et de la refondation de l'économie. L'espoir fait vivre ! L'auteur : Universitaire de qualité (licence ès-sciences mathématiques, DEA en calcul des probabilités et statistiques de l'Université d'Alger, et PhD en sciences économiques de l'Université de Montréal), plusieurs fois ministre (dans cinq gouvernements successifs : Finances, Energie), sénateur, consultant international il est sorti du lot lorsque, chef de gouvernement avec A. Bouteflika, il avait démissionné. Il avait «osé» et ce n'était pas peu. Le reste est un long parcours d'opposant politique critique Avis : Du déjà dit ou publié (dans la presse) mais qui a l'avantage d'être rassemblé et actualisé. Au niveau du programme, une priorité aurait dû être mise en évidence et non diluée dans la refondation de l'école : la refondation du citoyen afin d'améliorer, sinon de changer, ses comportements individuels et collectifs, actuellement «bouffés» par le fatalisme et l'indifférence, par l'absence de morale collective, par la violence et la corruption. Citations : «Face à une crise grave, la solution ne peut venir que d'innovations et de nouveaux paris» (p 23), «En l'absence du minimum de rerspect des règles de bonne gouvernance, ce sont les individus qui prennent les décisions au lieu et place des institutions habilitées. C'est alors la non gouvernance» (p 41), «L'Etat en Algérie se caractérise par l'autoritarisme, le paternalisme et le patrimonialisme dans l'exercice du pouvoir et par la rente et la prédation dans l'allocation des ressources» (p 61), «Lorsque nous parlons d'élites, nous parlons de groupe de gens, pas d'individus dispersés ; de société, pas d'un désert ; de puissance et d'influence, pas de gens marginalisés ; de richesses et de savoir, pas d'individus dépourvus de moyens intellectuels et matériels» (p 97), «Un système qui n'est pas disposé à apprendre, qui n'est pas juste, qui ne sert pas les intérêts de l'ensemble de la société, qui est construit sur la rente et la prédation, est appelé fatalement à disparaître. Le régime totalitaire court à son effonderment et son autodestruction» (p 101). L'ETOILE D'ALGER. Roman de Aziz Chouaki. Chihab Editions, Alger 2015, 233 pages, 650 dinars. Voilà donc un ouvrage publié, aussi, en Allemagne, aux USA et en Italie (avec un Prix à la clé, en 2004), porté à l'écran et sur scène en chorégraphie hip-hop. Un livre qui nous replonge dans l'univers algérois du tout début des années 90. Avec une société, surtout celle des quartiers populaires et populeux, de plus en plus à l'étroit dans des logements plus proches des dortoirs et des taudis, qui se prépare à exploser face aux inégalités socio-économiques, au chômage, à la vie chère, à la misère rampante et à la crasse des idées, avec, en face, des couches de nouveaux riches de plus en plus arrogants. Tout un système qui ne voulait pas changer mais qu'il fallait faire péter. Notre héros, c'est Moussa qui cherche à réussir dans la chanson kabyle moderne. Il vit encore, à plus de trente ans avec sa famille. Ils sont 14 dans un trois pièces. Dehors, les barbus, anciens et nouveaux, commencent à occuper le terrain et à imposer leurs règles de vie. Il voulait être chanteur. Il est en passe de réussir. Hélas, les idées passéistes, renforcées par une «victoire» des islamistes aux premières élections municipales «libres», ferment le champ des loisirs tout en l'ouvrant aux «beggarines» et aux affairistes plus que douteux. C'est la descente aux enfers. Plus de lieux de détente acceptables. Plus de public connaisseur. Pas de visa. Pas de logement. Pas de mariage (une fiancée obligée d'épouser un «cadre») Ne reste plus que le «zambretto» et la drogue .avec, au bout, le crime et la prison. La suite est une autre histoire, celle de la découverte d'un autre monde, celui des religieux fanatiques. Le grand terrorisme et la décennie rouge va commencer. Le chanteur devient un «émir» sanguinaire ! La descente aux enfers d'un jeune homme, mais aussi celle de tout un pays qui ne s'est pas encore relevé. L'auteur : Musicien, romancier, dramaturge (son théâtre est fréquemment monté .à l'étranger), né en 51 à Tizi Rached. Il a été, aussi, journaliste (Nouvel Hebdo) et il avait été obligé de s'exiler pour échapper aux terrorisme islamiste. Avis : Publié pour la première fois en 1997. Une écriture rapide, comme des rafales de mitraillette (à la mode dans le milieu journalistique francophone, à la fin des années 70 et durant les années 80). Une forme romanesque ultra-moderne et si originale non encore retrouvée chez ceux qui ont suivi et, parfois «perçé». Citations : «C'est comme ça que tu tombes islamiste, c'est quand tu fatigues. De rêver, d'aimer, de vivre. ( ) .A force de fatiguer, tu peux plus rien voir venir» (p 51), «L'Algérie, c'est une immense poubelle sur un baril de poudre, voilà l'affiche du film, aujourd'hui» (p 80), «Tu n'humilies pas comme ça un Algérien longtemps, il t'explose le cul de ton âme, rebelle et féroce »( p 80), «Les femmes, tu sais jamais où elles sont dans ce qu'elles disent» (p 110).