«Tout homme est imprégné de l'erreur et de la bêtise. Les imbéciles en font une pratique courante tout en excellant dans la seconde» Citation anonyme Et, bien encadrés par ces deux «prouesses», le dévoiement, l'escobarderie, la corruption, la violence, l'absurdité... se normalisent au grand dam du bon sens et du droit. Ahurissant, diriez-vous. Je vous l'accorde. Exagéré ; je n'en suis pas si sûr. On dit que le diable enlève la raison à ceux qu'il veut précipiter dans le désastre. Pour ne pas succomber à la résignation mortifère, il est des phases de la vie dont la gravité invite le devoir de vérité à se placer au dessus du devoir de réserve et la raison d'état à céder face à la raison de l'histoire. Car lorsque le bateau coule, même les gens de la première classe se noient. Tout rat venant peut alors s'autoproclamer capitaine. L'histoire sait parfaitement reconnaître les coupables et ne tergiverse pas dans ses jugements, toujours sans appel. Se taire devient de ce fait un acte de forfaiture à l'endroit de notre pays, dangereusement en perte de repères. Autrement, si l'on n'est pas en état comateux permanent ou perclus d'insensibilité, d'insouciance, extrême, il faut user d'une très forte dose d'humour et de dérision, voire de magie, pour arriver un tant soit peu à conjurer cette invraisemblable déroute. Il ne s'agit pas ici de soumettre le panorama sociopolitique au seul regard critique ou à la vindicte populaire. L'enjeu réel et décisif pour notre avenir est la question du devoir moral qui devrait indéniablement interpeller chacun de nous. En clair, nous sommes mis en demeure de nous demander jusqu'à quand doit-on encore obéir à nos déraisons, ingurgiter l'irrationnel indigeste et nous exonérer de l'exercice civique. Aux exceptions près, les hommes politiques d'une manière générale, vassaux des baronnies, affidés ou chefs de file, se plaisent à s'entendre parler, aiment surfer sur les non-dits, affectionnent par obligation partisane ou clanique, par illettrisme ou par indolence, les phrases populistes, démagogiques, toutes prêtes à l'emploi et auxquelles ils croient peu ou prou, souvent pas du tout. Ah ! si vous entendiez ce beau monde papoter en aparté, une fois débarrassés de l'habit protocolaire. Sidérante comédie se joue loin des feux de la rampe. Pour s'approprier ou défendre des privilèges, d'aucuns, au demeurant nombreux, sont toujours prompts à opposer au débat sérieux la forfanterie et ''la stérilité utile'' du propos, joliment enveloppée de laïus creux, doré de fil phraséologique soigneusement tressé dans les antichambres de l'incantation, sous l'œil vigilant du suzerain. Ce dernier n'a d'ailleurs pas besoin de trop se creuser les méninges ou déployer des efforts particuliers en pédagogie pour coopter la courtisanerie flagorneuse, prédisposée, bien plus que de mesure, à assurer le service. Dans une sorte de course effrénée à la bénédiction, c'est à qui mieux plaira au parrain. Vautrés dans un populisme outrageant, professionnels de l'illusion, ils font preuve d'une dextérité remarquable pour encenser «l'opinion acquise» et au besoin enfumer le reste. De vrais pontes de l'embrouille et du brouillage cérébral auquel ils sont eux-mêmes soumis. Casuistes de circonstance, usant d'une prose préconçue, artificiellement convaincante, ils servent des tartinades à consommer sans voire, même, et c'est souvent le cas, si la date de péremption est largement dépassée. Entre ceux qui versent dans le satisfecit rituel et la suffisance et ceux qui prêchent la sinistrose, la plèbe est déboussolée. Au mieux, elle vibre au rythme des tirades et discours d'experts qui se construisent et se déconstruisent au gré des conjectures, des conjonctures, des injonctions, des orientations La culture approximative, si ce n'est l'inculture, la médiocrité intellectuelle et scientifique exubérante et le déficit de formation de qualité qui caractérisent une certaine frange de la coterie ont produit un syncrétisme chaotique. L'érosion des consciences a fait le lit de l'imposture et l'avilissement, érigés en mode de pensée. Lorsque la prétention est portée par l'ignorance et l'incompétence, la finalité ne peut être que dérision, imprécation et désastre. A parier que pousser l'outrecuidance jusqu'à confier à un vieil ânier le domptage d'une meute de lions sauvages ne surprendrait pas, ne choquerait point. Heureusement que le ridicule ne tue pas. Au quel cas, nombreux parmi nous auraient trépassé depuis belles lurettes. Au pandémonium nous aurions élu domicile en raison de nos lâchetés, de nos égoïsmes et nos perversions. En disgrâce, supplées par la ruse et l'intrigue, sous-tendues par la servilité et les allégeances interchangeables, l'effort, le mérite, l'honnêteté, l'abnégation, la droiture, le nationalisme désintéressé et autres valeurs du même registre, poussées jusqu'à leurs derniers retranchements, se cachent pudiquement. Est candidat à la marginalisation, à l'inquisition et l'excommunication, traité en paria, qui fait montre de sérieux, de rigueur et de peu de docilité. Pour notre malheur, la médiocrité pensante, naturellement misogyne à l'égard de l'intelligence et la moralité, s'est assurée un bel avenir. Mais alors prenons garde ! Le répit n'est qu'éphémère. L'effet boomerang des dévoiements de l'aréopage de ''boulitiques'' et ses appendices risque d'être terrible, tel un ressac chargé de lames tranchantes qu'on reçoit en pleine figure. Qui sème le vent récolte la tempête. Sérieusement tout de même, peut-on imaginer qu'on puisse avancer sans questions bien posées appelant réponses bien pensées. Ne dit-on pas un problème bien posé est à moitié résolu. Quant aux bons questionnements, ils ne peuvent émaner que des esprits savants, éveillés, équilibrés et sincères. Idem pour les solutions. Dieu nous en préserve, dès lors que la bêtise, avocassière de la médiocrité, se met à réfléchir, bonjour les dégâts. En règle universelle, si un pouvoir s'entête à exercer son autorité en marge de la raison, au détriment de la liberté des citoyens, de leur sécurité et de leur bien être, et si une opposition oriente l'essentiel de son activité vers la fustigation des gouvernants, c'est qu'il y'a un sérieux déficit de sagesse, de vision et de culture de l'état et de la nation. La force réelle d'un politique ou d'un chef réside dans sa propre sagesse, dans son intelligence, dans sa clairvoyance, dans son sens du devoir, dans ses capacités d'écoute et d'analyse et dans son respect des lois. C'est en produisant des lois censées et performantes, en veillant à leur application et en leur laissant le libre arbitre dans la conduite de leur empire qu'il assiérait son autorité tout en inspirant le respect, s'assurant naturellement l'adhésion des citoyens. Est-il besoin de rappeler que les lois fixent les devoirs et les droits de chacun mais ne prescrivent ni prodigalité ni magnificence à quiconque. Si en revanche la chefferie s'exprime par la seule sévérité et autoritarisme, elle déborde forcément vers le despotisme et la tyrannie. Une telle posture, outre les malheurs qu'elle charrie, pousse les hommes à commettre plus de fautes, plus de sottises. Le comble de l'ignominie c'est lorsqu'un environnement sociopolitique est sous l'emprise de l'incompétence, du mensonge, de l'intrigue et des faussetés, le tout porté par un sophisme délétère qui vous donne l'impression d'un environnement sain au premier égard mais vicieux, pernicieux, au second. La voie est alors grande ouverte à toutes les formes de perversion et conduira tôt ou tard à la destruction de la société. J.J.Rousseau disait : ''un peuple ne serait jamais que ce que la nature de son gouvernement le ferait être''. Très juste. Il convient cependant de signaler que dans les républiques de nos jours, les détenteurs du pouvoir ne sont pas le seul élément façonneur de la société, bien qu'ils en soient les artisans principaux. L'opposition a aussi sa part de responsabilité et un rôle important à jouer. Il importe alors de noter que les responsabilités politiques, gouvernementales, partisanes, administratives, exécutives , prestent à hauteur de ce que valent les hommes et les femmes qu'on aura formé dans les écoles et dans les institutions politiques. Fanatiques, ils produiront des radicaux prédisposés à la violence et au terrorisme. Belliqueux, ils feront des guerriers. Egoïstes, ineptes, mal préparés et peu soucieux de la morale, ils propageront au sein de la société le vice, la corruption et bien plus. Sages, Illuminés, cultivés, probes et respectueux de la science et des hommes de savoir, ils porteront tout haut le peuple et l'inscriront dans le concert des nations civilisées. Les erreurs à répétition et les errements dont fait preuve un certain personnel par excès de zèle intéressé ou sous le poids de la filiation partisane ou clanique sera le bourreau qui sacrifiera le pays sur l'autel des intérêts mesquins. Tenter de justifier, perfidement, l'incongruité des faits et actes par la discipline, par la fidélité ou par l'allégeance relève de l'irresponsabilité et constitue une violence faite à la conscience. C'est pourtant avec cette même conscience qu'on finit toutes nos journées et aussi notre vie. N'est-ce pas à elle qu'on doit d'abord égards et fidélité ? Il n'y a aucune honte à confesser ses échecs. Il s'agit même d'une forme de vertu. L'absurdité malveillante, destructive, réside justement dans le fait de demeurer arc-bouté obstinément sur des approches qui ont suffisamment prouvé leurs incohérences et qui ont largement épuisé leurs limites. En réminiscence, il me vient à l'esprit une citation : «Tout homme est imprégné de l'erreur et de la bêtise. Les imbéciles en font une pratique courante tout en excellant dans la seconde». Se peut-il faire enfin, par la bénédiction d'un salvateur sursaut patriotique ou un heureux éveil de conscience, que les préceptes de la raison reprennent leurs droits pour amener les uns et les autres à agir selon les maximes de l'analyse et du jugement rationnels. J'ose l'espérer pour finir avec une touche d'optimisme. * Professeur à l'ENST Alger