Au moment où le gouvernement prêche l'austérité et la réduction de la facture d'importation, une instruction urgente du ministère du Commerce portant le numéro 244 est tombée comme un couperet pour les importateurs et les prestataires du commerce extérieur : la dérogation sur l'étiquetage en arabe des produits importés dans des zones sous-douane en Algérie décidée par l'ex-ministre du Commerce Amara Benyounès en 2015 est désormais annulée. La nouvelle instruction controversée a été prise par le ministère du Commerce sans aucun sursis d'application et sans aviser au préalable les opérateurs du commerce extérieur qui se trouvent du jour au lendemain obligés de s'acquitter d'amendes faramineuses jusqu'à 40 millions de cts pour chaque container sous le motif de non-conformité liée à l'absence d'étiquetage en arabe. Dans le seul port d'Oran, c'est près de 200 containers qui seraient désormais bloqués et les services du commerce exigent le payement d'amendes estimées à près de huit milliards de cts pour libérer la marchandise, confie un importateur de pièces détachées. Cette annulation brusque de la dérogation portant étiquetage des produits importés sonne le glas des sociétés locales de marquage, codage et étiquetage industriel, qui ont été créées il y a seulement quelques mois par des investisseurs algériens. «Il existe entre cinq à sept sociétés spécialisées en solutions et systèmes de marquage, traçabilité et identification des produits importés. Ces sociétés ont été créées après l'annonce du ministère du Commerce que l'étiquetage obligatoire en langue arabe des produits importés pouvait se faire en Algérie afin de débloquer plus rapidement les conteneurs en souffrance pour raison d'étiquetage. Nous avons fait confiance à notre administration et des sommes colossales ont été investies pour l'acquisition des équipements nécessaires et l'installation des dépôts et autres structures de stockage. Nous employons des jeunes Algériens qui sont déclarés auprès de la CNAS et nous sommes en règle avec le fisc. Et le plus important est que nous permettons au pays de faire des économies en devises vu que l'étiquetage réalisé en Algérie coûte quatre fois moins cher qu'à l'étranger. Depuis le lancement de nos sociétés, nous avons réduit le coût de l'étiquette à seulement 3,5 dinars contre plus de 12 dinars pour la même étiquette en Europe qui est en plus soumise à tous les droits et taxes (TVA, droits de douane ). Il faut savoir que l'étiquetage d'un seul container en Europe coûte en moyenne entre 1.800 à 3.000 euros. L'étiquetage d'un container de pièces détachées, à titre d'exemple, revient en France à 23 millions de cts (imposables) contre 4 à 6 millions de cts en Algérie, soit une différence nette de près 19 millions de cts. Il s'agit de coûts supplémentaires qui seront supportés par le consommateur final. Ces coûts supplémentaires peuvent atteindre 12 dinars, voire jusqu'à 50 dinars pour chaque unité. Payer 50 dinars de plus pour une brosse à dent ou un autre produit importé est injustifiable», regrette le patron de la société CLEM (Consignation, logistique, étiquetage, marquage) implantée dans la zone de Hassi Ameur dans la périphérie d'Oran et qui emploie 35 travailleurs. Et d'ajouter : «Il faut savoir que l'étiquetage réalisé à l'étranger est souvent bâclé causant ainsi des pertes financières pour les importateurs qui sont souvent contraints de payer des surestaries pour renvoyer la marchandise à l'expéditeur. L'étiquetage en Algérie, par contre, offre des garanties et des avantages pour les services de contrôle vu que l'importateur doit déposer un engagement écrit à la direction régionale du Commerce et les brigades de contrôle peuvent facilement procéder à une visite intégrale de la marchandise dans les dépôts, ce qui ne se fait pas dans nos ports. Un rapport détaillé est ensuite transmis aux services concernés pour établir la mainlevée et autoriser la commercialisation du produit sur le marché local». Revenant à la décision controversée du ministère du Commerce, notre source estime que le ministre aurait été induit en erreur par «des rapports comportant des informations infondées». «Le créneau de l'étiquetage et du marquage des produits importés est un business florissant en Europe. Il y a des velléités outre-mer et essentiellement en France pour étouffer les nouvelles sociétés algériennes qui se sont lancées dans ce créneau». La note du ministère du Commerce précise que les instructions 428 et 1088 datées respectivement du 18 novembre 2014 et du 25 mars 2015 relatives à l'étiquetage, à la garantie et à la notice d'emploi en langue arabe des produits importés sont abrogées. Dans cette note, le ministre justifie sa décision par le «non-respect par certains opérateurs économiques de leurs engagements à rajouter les mentions obligatoires en langue arabe avant la mise sur le marché des marchandises ainsi que les disparités relevées dans l'application de la dérogation entre les différentes régions du pays». Selon le ministère, «ces mesures exceptionnelles tendent à privilégier les importateurs par rapport aux fabricants locaux créant ainsi des situations discriminatoires». Et de préciser : «Toutefois, il demeure entendu que ces mesures qui s'inscrivent dans le cadre de facilités accordées aux opérateurs économiques sont en contradiction avec la législation et la réglementation en vigueur, notamment le décret exécutif n°05-467 du 10 décembre 2005 fixant les conditions et les modalités de contrôle aux frontières de la conformité des produits importés ainsi que le décret exécutif n°13-378 du 09 novembre 2013 fixant les conditions et les modalités relatives à l'information du consommateur. Aussi, en vue d'uniformiser les traitements réservés aux produits présentant une non-conformité en matière d'information du consommateur et afin de réserver un traitement équitable entre les différents opérateurs économiques, les instructions sus-citées sont abrogées». Les justifications du ministère du Commerce sont battues en brèche par les opérateurs économiques du commerce extérieur qui s'interrogent sur les motivations exactes qui ont poussé le département ministériel à prendre une telle décision. «Le ministère veut protéger les fabricants locaux en parlant de situations discriminatoires. D'accord ! Si le ministère avait suspendu toutes les importations au motif de protéger le produit local on pouvait comprendre, mais on ne voit pas comment l'interdiction de l'étiquetage en Algérie va favoriser les fabricants locaux?» s'interroge cet importateur. Et d'enchaîner : « Cette mesure va profiter uniquement aux sociétés étrangères de marquage et d'étiquetage. Concernant le non-respect par certains opérateurs de leurs engagements, je peux vous assurer que la marchandise non conforme n'est pas sortie des dépôts des sociétés locales, mais elle a été libérée directement des ports». Du côté des consommateurs, une étiquette importée ou «made in bladi», c'est du pareil au même vu que les prix des produits importés n'ont pas baissé d'un centime ni en 2015 ni en ce début 2016 et en dépit des facilitations accordées, les prix ne cessent de flamber sur le marché local.