Avec le cataclysme de l'élection de Donald Trump à l'élection présidentielle, les instituts de sondage sont embarrassés, une grande partie des citoyens est effondrée et les marchés financiers mondiaux ont vacillé. La ferveur populaire, l'analyse des «experts» et une certaine pensée unique ont délibérément ignoré le mode électoral et la base doctrinale de la constitution américaine. Cette très vieille dame de plus de deux siècles vient de rappeler avec fracas son existence et son fondement. Les Etats-Unis et le monde viennent de se réveiller avec une lourde gueule de bois. Ils ont joué à se faire peur pendant des mois mais, au fond d'eux-mêmes, ils étaient certains que l'impossible n'allait pas survenir. Cette élection a crée le spectacle, a diverti autant qu'elle a exaspéré mais en prenant soin de toujours rappeler l'avance d'Hillary Clinton. Comme un film d'épouvante où l'enfant montre sa crainte, mais en même temps, en frissonne de tout son plaisir car il sait que la fin sera heureuse. L'Amérique vient de se raconter une histoire en prenant bien soin de préserver dans son esprit tous les garde-fous qu'elle avait à sa disposition pour se rassurer. Mais petit à petit, tous les scénarios de l'opinion, soit disant «éclairée», se sont inversés. C'est un milliardaire, il ne connaît rien à la politique disaient-on. Il s'est révélé être un redoutable candidat avec un talent oratoire extraordinaire pour galvaniser le camp de ses soutiens. Il est lâché par les grands barons du parti républicain a-t-on ajouté, effrayés par l'éloignement de la doctrine de la droite classique américaine. Rien n'y a fait et la marche en avant du soutien populaire ne s'est jamais démentie. Dès les premiers instants de sa campagne, apparaissent la vulgarité, le sexisme, le racisme et toutes les grossières manifestations de cet image mythique de l'américain «plouc», sans instruction véritable ni éducation fine, riche et aussi rustre qu'un charretier du dix-neuvième siècle. L'Amérique se persuade de nouveau avec l'argument de l'impossible, une simple fièvre qui allait décliner et tout rentrerait dans l'ordre. Les semaines et les mois passent et tous les excès de langage, les dérapages et les scandales n'ont arrêté la forte détermination de ce buffle politique a qui avancé autant que son électorat le soutenait de plus en plus fermement. Et enfin, notre principal argument dans cette analyse, on disait que sa force résidait exclusivement dans les territoires intérieurs des Etats-Unis, ceux dans lesquels les «blancs déclassés», qui avaient subi lourdement la crise économique, avaient nourri une haine féroce envers l'Etat, la mondialisation et l'immigration. Ils ne pouvaient contrebalancer les gros flots de population des Etats principalement ancrés sur les deux côtes américaines. Rien n'a été aussi faux puisque la Floride fut le premier coup de tonnerre dans le ciel de cette journée où les Etats clés dans lesquels l'issue électorale était incertaine, basculèrent au fil des minutes et des heures pour le triomphe de Donald Trump. Le mode électoral américain venait de rendre sa décision, aussi intraitable que la racine doctrinale de la constitution américaine. Le monde avait mésestimé la rage féroce d'une partie de l'électorat américain mais, surtout, les Américains eux-même ont ignoré la force irrésistible du mécanisme électoral américain que les fondateurs ont souhaité. Nous commencerons par ce point précis de l'analyse pour en arriver aux dérives de la pensée véhiculée par les nouveaux maîtres du monde, les experts médiatiques et politiques. Le lecteur doit prendre garde de ne pas associer l'analyse présente comme une adhésion de l'auteur à la position du nouvel élu. Il est aussi éloigné d'un Donald Trump que l'humanité ne l'est envers le régime militaire ou la barbarie du code de la famille algérien. Cependant, il a souvent fustigé les analyses de ceux qui s'exprimaient en se présentant avec une signature trois fois plus longue que le bras, multipliant les adjectifs d'expertise et de références. Lui-même s'est trompé dans un article publié dans un autre quotidien où il doutait des chances de Donald Trump pour sa grossièreté et son ignorance. Mais le doute portait uniquement sur ce point et pas sur les autres. Reprenons, avec sérénité et la distance nécessaire, deux arguments qui semblent avoir été piétinés dans cette histoire américaine de l'élection de JR de Dallas à la tête de l'Etat le plus puissant du monde. Certes, cela est dit et rappelé à chaque fois, il n'y a aucun doute sur ce point. Mais l'élection à la présidence des Etats-Unis focalise tout de même un peu trop l'attention du monde et des américains eux-mêmes. Il est vrai que l'homme est puissant ainsi que sa capacité militaire et financière. Premier rappel : les Etats-Unis sont un Etat fédéral Cependant, il n'y a vraiment que les étudiants en sciences politiques ou en droit, ainsi que leurs professeurs qui semblent être vigilants sur la spécificité des institutions américaines. Les fondateurs de la constitution américaine avaient voulu rompre avec l'ancien pouvoir absolu du roi d'Angleterre dont il étaient inféodés par le statut colonial. Ils ont ainsi institué une rigoureuse séparation des pouvoirs avec des possibilités de blocage réciproque. Même Donald Trump, pourtant républicain, n'est pas sûr de l'adhésion du Congrès à ses projets farfelus puisque les grands représentants de son parti ont déclaré leur opposition, nous l'avons déjà dit. Sans eux, il n'est pas grand chose et restera paralysé tout au long de son mandat. Mais le point crucial qui nous intéresse dans notre analyse, d'ailleurs corollaire au point précédent, est l'affirmation d'un contre-pouvoir exercé par les Etats, particulièrement au niveau du Sénat où ils sont représentés à égalité quelle que soit la population du territoire de chacun. Les premiers Etats américains, dont les représentants furent justement partie prenante dans la rédaction de la constitution, ne voulaient absolument pas d'une tutelle politique exercée par l'autorité de Washington. Les différents Etats étaient si éloignés et ressentaient un tel esprit d'indépendance qu'ils étaient favorables à une Union fédérale et non à une fusion dans un Etat centralisé. Ce fut le choix historique des fondateurs et rien ne peut se comprendre si on ne revient pas à ce point fondamental des Etats-Unis. La vison générale de la démocratie que nous retenons habituellement est celle de la majorité des suffrages exprimés. C'est bien entendu la même chose aux Etats-Unis sauf qu'il existe une particularité qui explique techniquement pourquoi Donald Trump a gagné si aisément contrairement à toute attente. Reprenons l'explication que beaucoup de lecteurs connaissent mais que l'opinion générale et médiatique semble avoir sous-estimé. L'élection américaine à la présidence des Etats-Unis n'est pas un suffrage direct car les électeurs se prononcent, dans chaque Etat séparément, pour la désignation de «grands électeurs». Le principe de la démocratie restant le pilier de la doctrine, il y a une logique d'attribution d'un plus grand nombre d'électeurs dans les Etats les plus peuplés. Les grands électeurs désignent à leur tour le Président des Etats-Unis qui devait obtenir au moins 270 grands électeurs. Donald Trump en a obtenu 279 contre 218 à sa concurrente, soit une victoire écrasante. Mais alors, puisque ces grands électeurs se reportent sans surprise sur le résultat du candidat, où est la différence ? Elle est de taille par la règle du «winner takes all» qui s'impose, c'est à dire que la majorité qui s'est exprimée dans un Etat remporte tous les sièges de l'Etat. C'est pourquoi la Floride, un «swing state» (c'est à dire susceptible de basculer d'un côté ou de l'autre), doté d'une représentation de 29 délégués, fait à chaque fois l'objet de tant d'attention car la majorité n'y est jamais claire et massive. Donald Trump a été bénéficiaire de la forte «prime majoritaire» de cet Etat comme il l'a été dans certains autres swing states importants. Ce qui pourrait choquer les citoyens de la plupart des autres pays démocratiques du monde n'est pourtant qu'une application normale du principe du fédéralisme américain. L'image serait la suivante, prenons une assemblée où l'on réunirait les cinquante Etats (plus le district de Columbia où se trouve la capitale). Chacun des représentants de l'Etat vote pour l'élection du Président mais comme chaque Etat n'est pas égal en population, les plus gros auront un pouvoir proportionnel plus fort en nombre de délégués. Lorsque les représentants de l'Etat de Floride se lèvent pour voter, il s'expriment au nom de l'Etat et diront «l'Etat de Floride s'est prononcé pour Donald Trump». C'est la raison pour laquelle les 29 voix se réunissent en une seule. C'est tout à fait logique du point de vue fédéral, l'Etat de Floride s'est bien prononcé majoritairement pour Trump. On ne trouve rien à redire lorsqu'une majorité, parfois très relative, et même minoritaire dans certains pays, remporte l'élection. On ne regarde pas le pourcentage de ceux qui ont voté autrement, c'est la règle même de la démocratie. Les Etats américains se prononcent de la même manière, ni plus ni moins sauf que chacun recense son résultat comme s'il était un Etat indépendant. On peut être pour ou contre mais le fédéralisme n'aurait aucune raison d'être s'il en était autrement. Second rappel : ce qui compte est le vote De nouveau, il faut que le lecteur fasse bien la part des choses entre la critique légitime du populisme, dénoncée constamment dans les colonnes des journaux par l'auteur, et sa critique envers la mainmise de la pensée unique, véhiculée par ceux qui pensent détenir une vérité «experte», générale et incontournable. Certes, le discours de Donald Trump est populiste jusqu'à en représenter une caricature extrême. Mais pour autant, devrait-on mépriser la parole de tous les blancs déclassés de l'Amérique profonde (au sens figuré comme au sens géographique) ? Elle a été pulvérisée par tous les mouvements économiques récents et surtout par la nouvelle redistribution mondiale des centre de production. Elle est restée à la traîne des évolutions technologiques dont les revenus proviennent de la mondialisation, limités essentiellement aux territoires côtiers. Elle n'a plus accès à l'éducation ni à aucune possibilité de relance d'une vie qui semble irrémédiablement se paupériser. Hier, dominante et fière, la voilà humiliée et appauvrie. C'est en effet la proie la plus facile à la tentation populiste contre les élites corrompues de tous bords et à ce qu'elle estime être une invasion d'immigrés illégaux. Et, cerise sur le gâteau, la voilà face à un radicalisme religieux qui la menace jusque sur son territoire. Mais pire encore, on lui vole son bulletin de vote car on parle à sa place. Les experts squattent les médias et distillent une vérité qui n'est absolument pas celle de leur ressenti quotidien. On choisi le candidat respectable, on le garantit de la victoire, avant même que les citoyens se soient réellement prononcés par leur bulletin de vote. C'est une tendance mondiale que celle de la pensée unique et de la tyrannie des experts hautains qui, de plus, ne cessent de se tromper. Dénoncer le populisme et l'aveuglement des peuples en se prononçant pour la démocratie indirecte et éclairée comme le fait l'auteur dans de nombreux articles n'est pas écarter la voix du peuple d'un revers de la main. S'il existe dans la société une infime part de vrais racistes et de fascistes, profondément dangereux, humilier ceux qui sont effrayés n'est pas la solution pour les éloigner du message populiste. Ils finissent par y adhérer afin d'exulter leurs frustrations et leur rage. Persévérer à leur dire qu'il n'y a pas de problème avec l'immigration les rend encore plus rigides. Continuer à leur affirmer que la mondialisation est un bienfait les confortent dans leur radicalisation de repli et dans la nécessite de fermeture des frontières. Aussi bien que s'aveugler à leur opposer qu'il n'y a pas de problème avec la religion musulmane, c'est tout simplement les transformer en bêtes enragées. Le phénomène est général dans le monde occidental. La démocratie n'est pas un exercice facile, surtout pour le pays qui en a fait un étendard national pour sa communication mondiale. L'élite américaine, comme beaucoup d'autres, a trop facilement considéré la mondialisation et la liberté des flux migratoires comme une chance d'avenir, ce qui est vrai mais ne tient pas compte du travail pédagogique et d'accompagnement qu'il faut mettre en place. Six millions d'américains «mexicanos» ont voté pour Donald Trump, c'est dire qu'eux-mêmes se sentent menacés par un afflux de population qu'ils pensent ne plus être contrôlé. Il va falloir trouver cet équilibre entre le populisme et l'ouverture béante, sans règles, qui menace en priorité les classes moyennes inférieures qui ne comprennent pas ce qu'il leur arrive. Surtout qu'ils vivent une menace quotidienne pour leur niveau de vie et, au-delà de tout, pour leur mode de vie. C'est en refusant une pédagogie de la mondialisation que la pensée unique agace et plonge les peuples dans un repli dangereux. Ce bouleversement des règles mondiales, il faut l'accompagner, le contrôler et l'expliquer. Les classes moyennes voient bien que les partisans américains de la mondialisation se sont gavés de milliards dans les secteurs de la nouvelle économie et de la finance, souvent à leur détriment. Leur colère les rend aveugles car ils ne se rendent même pas compte que celui qui les berce d'illusions est un milliardaire qui a profité des spéculations mobilières et financières, souvent en relation avec la main d'œuvre étrangère et les circuits financiers mondialisés. En conclusion, il ne faut pas avoir peur de cette élection et cela pour plusieurs raisons. La première est qu'un Président américain est entièrement ligoté par le Congrès, pourtant républicain en majorité, qui lui a déjà clairement fait savoir qu'il ne le suivrait pas sur le chemin du bouleversement radical et brutal. L'autre raison est que les milieux d'affaires se sont massivement exprimés sur le rejet du plan proposé par Donald Trump. Les entreprises de ce dernier sont elles mêmes sujettes à un risque de déflagration. L'homme est tout sauf un dément lorsqu'il s'agit de ses intérêts. Là-haut, les Pères fondateurs de la constitution américaine, dont Benjamin Franklin, doivent se dire qu'ils ont vu juste en proclament une constitution qui n'accorde pas la suprématie d'un homme sur l'ensemble des Etats libres. La doctrine des «checks and balances» (contrôle et contrepouvoir) de la constitution américaine nous épargnera un programme électoral qui a fait frémir le monde. Nul doute que Donald Trump va sauver la face en adoptant quelques mesures spectaculaires, mais au fond, avec un Congrès et une Cour de cassation qui vont très rapidement le rappeler à l'ordre. Déjà, dès sa première apparition qui fit suite à son élection, le ton était sage, la mine sérieuse et le discours posé, conciliant et raisonnable. Il en appelle à l'unité du pays et à dépasser les clivages entre les républicains et les démocrates. «Il est temps», a-t-il affirmé, que les esprits se calment et que le peuple américain, uni de nouveau, recommence à rêver. Trump était docile et calme, oui c'était bien lui qui a prononcé ce discours. En homme d'affaires avisé, il fera ce qui est dans son ADN, n'attaquer que si les forces disponibles en sa faveur sont en nombre. Pour le moment, il sait que la constitution américaine et l'histoire sont plus fortes que lui. Elles lui ont permis de gagner une élection improbable, nul doute qu'elles n'hésiteront pas de le rappeler à l'ordre comme elles l'ont fait pour ses adversaires et pour le monde entier. *Enseignant