Les Statistiques sont-elles la présentation de fausses données sous une forme mathématique correcte ? Sont-elles l'art de faire des calculs exacts sur la base de chiffres erronés ? Sont-elles une forme sophistiquée de mensonges ? Faut-il, en bref, accorder une confiance aveugle et immédiate à toutes ces données chiffrées, ces pourcentages, ces ratios et tous ces chiffres, ces graphes, ces tableaux et ces chartes qui envahissent les présentations économiques et donnent un air de sérieux aux discours des politiques, surtout en période de chasse à la légitimité? La crédibilité des statistiques à l'épreuve de La crise économique Ce sont là autant de questions raisonnables et opportunes, particulièrement lorsque les analyses, les projections, les conclusions des rapports les plus sophistiqués, sont mises à l'épreuve des réalités économiques en période de crise. Le bon sens, qui est la chose commune tant aux grands maitres de ce monde qu'aux poussières que sont pour eux les « hommes d'en bas, » dicterait la simple observation suivante: si vraiment toutes ces données chiffrées reflétaient non seulement la réalité économique et sociale, mais également le niveau de maitrise, par les autorités publiques, des phénomènes économiques, de l'évolution du prix du pétrole à l'inflation, en passant par le taux de croissance des fameux agrégats que sont le Produit Intérieur Brut et le Produit National Brut, sans oublier le taux de chômage et le taux d'inflation, il ne devrait jamais y avoir de crise économique, puisque ces autorités disposeraient, presque en temps réel , de toutes les données leur permettant d'intervenir pour éviter les crises . Il n'y a pas de maladie sans symptômes, et lorsqu'une crise économique se pointe à l'horizon, ses signes avant-coureurs apparaissent dans toutes ces données chiffrées, collectées à grands frais et analysées par de grands esprits spécialement entrainés pour les saisir et lancer l'alarme. Mais, apparemment, ce n'est pas le cas, et chaque crise économique constitue une surprise inattendue pour ceux qui font semblant de tout savoir de ce qui se passe dans le pays. Pourtant, ils peinent à reprendre pieds et à trouver et mettre en œuvre avec la rapidité qu'impliquerait leur omniscience déclarée et perçue, les mesures de remise en état de l'économie nécessaires pour dépasser cette crise avec diligence et de manière ordonnée. Ne pas remettre en cause les outils quantitatifs économiques Brusquement on a l'impression que la tâche ardue de recueil des données et de leur traitement, qui laisse croire qu'il y a une politique économique raisonnée et cohérente, que la maitrise des phénomènes économiques serait assurée, est quelque peu vaine, et que les analystes ratent systématiquement quelque chose de crucial dans leur approche. Il ne s'agit nullement ici de remettre en cause les outils quantitatifs qui ont permis de grandes avancées dans le domaine de l'analyse économique, mais simplement de souligner que la science économique reste une science sociale dans laquelle l'usage des outils statistiques et mathématiques a ses limites, d'autant plus que, souvent, si ce n'est toujours, les décisions économiques sont prises sur la base d'objectifs politiques plus ou moins cachés, et que les présentations sophistiquées ne servent qu'à donner un habillage scientifique et rigoureux à des décisions ressortissant de raisonnements donnant plus de poids à l'intuition politique et aux desseins de pouvoir qu'aux analyses économiques objectives et politiquement neutres. Il faut remarquer que ces observations peuvent s'appliquer aux décisions économiques prises tant dans les pays les moins « civilisés, » que dans les états les plus avancées, quoique de manière moins accentuée. La politique économique est autrement plus politique qu'économique La politique économique n'est jamais neutre et entièrement justifiée par des fondements strictement scientifiques ou tirés des expériences passées dans le domaine ; il y a toujours une part importante, si ce n'est essentielle, ressortissant des jeux de pouvoir qui agitent ceux qui détiennent les rênes de la puissance publique. La prétention à la rigueur n'est rien d'autre que la tentative de dissimuler des motivations qui tiennent du subjectif et de calculs fondés sur des raisonnements de caractère strictement politique ayant trait d'abord et avant tout au maintien du groupe dominant aux rênes du pays. Et la stabilité, tant vantée, devient d'abord et avant tout le maintien du statuquo et la défense acharnée des positions acquises, même si l'essoufflement propre à l'usure du pouvoir apparait avec clarté. L'incapacité de remédier à l'état des choses, transforme alors le souci constant et légitime du maintien de la stabilité en paralysie. Le verbe se substitue à l'action et les mots remplacent les décisions. On assiste au triste spectacle de hauts responsables encore aux rênes du pouvoir, ou « en période de recyclage, » en attente de « reprise de service, » s'égosiller à pratiquer l'art de parler sans agir, et de pédaler dans le vide pour faire croire que la situation est maitrisée et que l'on a pris la mesure de la gravité de cette situation. Un verbiage peu convaincant qui tient de la pusillanimité plus que de la conviction profonde et de la volonté de changer de politique économique Le problème majeur est que ce verbiage n'est pas convainquant, et que les belles paroles, pleines de sagesse, ne sont que brouillard visant à entretenir la confusion et à escamoter les vrais problèmes du jour. Car le système politique n'est pas fondé sur ce minimum de transparence, qui ne peut provenir que du fonctionnement sans heurt d'hiérarchie d'institutions ayant des attributions fonctionnelles, et institutions qui ne sont pas simplement un jeu de « lego » dont les éléments sont mis en mouvement et déplacés au gré des exigences du pouvoir, et changeant avec les circonstances. Une économie virtuelle qui sert de substitut à l'économie réelle Le risque de voir se renforcer une économie virtuelle, fondée sur des statistiques manipulées, si ce n'est fantaisistes, et des projections qui tiennent plus des prédictions que des prévisions solides et fondées sur des analyses profondes, est grand. L'aveuglement auto-entretenu, que ces projections chiffrées dénotent, et qui ne peuvent prétendre à prouver l'existence d'un programme de redressement en rupture avec les politiques suivies, est un danger pour ceux même qui sont « aux affaires. » La construction d'une économie fictive dans laquelle les statistiques qui la représentent ne correspondent pas à une réalité assurée est une tentation à laquelle il est facile de se laisser prendre, d'autant plus qu'elle est rassurante tant pour les tenants du pouvoir, que pour leurs administrés. il n'en demeure pas moins que ce cheminement est plein de risques pour le pays. La réalité économique finira par s'imposer, de Gré ou de force ! On peut falsifier tous les chiffres sensés décrire une économie avec quelques traits de plume ou quelques frappes sur un clavier. On peut masquer l'inflation, le taux de chômage, le taux de croissance de l'économie, inventer des projets d'investissements qui ne pourront jamais se réaliser faute de moyens financiers ou de maitrise technique disponible ou des deux à la fois. On peut présenter des accords internationaux comme des ouvertures vers un taux de croissance plus élevé, alors qu'ils ont abouti à la désertification industrielle. On peut faire croire que la maitrise du tourne-vis, de la clef anglaise et du fer à souder sont des preuves de transfert de haute technologie etc. etc. Mais la réalité économique est têtue, et le déroulement des évènements sur le terrain conduira, de manière plus ou moins rapide, à une détérioration des conditions de vie des citoyens, qui peu à peu démasqueront le caractère mensonger, ou du moins manipulateur, des chiffres et des descriptions optimistes et louangeuses frappées du sceau officiel. Ce n'est pas parce qu'on aura diffusé des chiffres de chômages nettement inférieurs à la réalité vécue que le nombre de « haitistes » se réduira. Présenter des chiffres d'inflation en dessous de l'évolution réelle des prix ne va pas refroidir la flambée des prix dont la ménagère et le père de famille ressentent les effets dévastateurs sur le portefeuille et le niveau de vie de leur famille. On ne réduira pas la part des hydrocarbures dans l'économie du pays en gonflant artificiellement les montants des « exportations hors hydrocarbures, » en y ajoutant des opérations qui ressortissent de la spéculation boursière, et n'ont d'autre but qu'un enrichissement individuel rapide. On ne peut pas masquer longtemps des importations sous le titre « d'investissement direct, » ou faire croire que le partenariat avec l'étranger constitue toujours un gain net pour le pays d'accueil, alors qu'il vise essentiellement à cacher des opérations destinées à légaliser les fuites de capitaux. On n'accroitra pas la production de richesses nationales, telle que calculée à travers le Produit Intérieur Brut, en faisant des projections de taux de croissance irréalistes de cet agrégat parce que ne reflétant pas la réalité du potentiel de production nationale mobilisable dans l'année envisagée. On peut multiplier les exemples de ce vain travers consistant à développer toute une économie virtuelle sans ancrage dans le paysage économique du pays. En conclusion, la perpétuation d'une économie virtuelle est non seulement une perte de temps, mais un exercice futile dont les conséquences pourraient être encore plus dangereuses que la franchise dans la description des dures réalités du moment, comme l'a déjà prouvé la décennie noire, qui s'efface peu à peu de la mémoire et dont les leçons n'ont apparemment pas été suffisamment assimilées. Les autorités publiques ne peuvent pas attendre les recommandations et les conseils des institutions internationales, et remettre à demain les solutions dirimantes qui s'imposent ,et qui ne sauraient commencer que par une profonde réforme monétaire, cassant net la dangereuse tendance inflationniste que connait le pays, réduisant la part de l'informel dans les activités économiques, battant en brèche les tendances spéculatives de l'économie de rente qui barre la voie à toute possibilité de diversifier la production nationale, et brisant enfin le cercle vicieux dans lequel la domination stérilisante des hydrocarbures a emprisonné le pays. Cette réforme est d'autant plus indispensable qu'elle permettra non seulement d'estomper les conséquences terribles de l'ouverture brutale de l'économie du pays à la mondialisation, donc d'allonger la durée de vie des réserves de changes dans un contexte de marché pétrolier ébranlé et incertain, mais également de sauver l'indispensable couverture sociale, déjà entamée tant par l'inflation que par le système de fiscalité fondé sur la prépondérance des impôts sur la consommation. Cette couverture est, dans le contexte économique actuel, une source d'enrichissement sans cause des prédateurs, déguisés en entrepreneurs, car elle subventionne leurs profits. Ceux-ci dominent la scène tant économique que politique du pays, et se sont infiltrés dans tous les rouages du pouvoir, au point où il est difficile de les en distinguer. Et on a la nette impression qu'ils font tout pour maintenir ce statuquo mortel qui leur profite tant, et que le seul enjeu crucial de cette campagne est de leur permettre de renforcer leur légitimité, et de continuer, « avec l'appui du suffrage populaire,» donc « par des voies démocratiques,» à jouir de leurs privilèges et fortunes mal acquises, de consolider leur puissance économique mal acquise et déméritée, et de renforcer leur mainmise sur le système politique régnant, mais essouflé.