« Le plus noir des crimes est celui qui consiste à obscurcir la conscience politique et d'égarer tout un peuple » (Emile Zola). Le Ramadan censé être le mois de la mesure, n'est-il pas devenu qu'un rituel de la démesure par ses excès, alimentaires, comportementaux et même spirituels à telle enseigne que les grands fondements de l'Islam ne sont lisibles que pendant ce mois sacré. Le champ médiatique, libéré du diktat de « l'unique » s'est ouvert brutalement et donne des sueurs froides quant à ses contenus et ses prises de position jadis châtiées par la défunte Cour de sureté de l'Etat. Le verbiage et l'excès langagier utilisés par la quasi-totalité des chaines satellitaires « nationales » off shore, dépassent parfois et de loin l'arrogance de « Al Djazeera ». La réaction qui devait être salvatrice, en l'occurrence le rassemblement devant les locaux de la ARAV (Agence de régulation de l'audiovisuel) en soutien à Rachid Boudjedra, malmené dans le chenil d'une de ces enclaves télévisuelles, n'a été en fin de compte qu'un flop eu égard à la centaine de participants venus presque par devoir que par conviction. L'impromptue présence d'une personnalité du sérail a ajouté à la confusion un zeste de suspicion vis-à-vis de cette élite taxée de gauchisante. L'opposition dite verte, ne s'est pas fait prier pour réagir. Pour revenir à « l'ignominie » subie par l'illustre écrivain, on semble oublier que celui-ci a déjà eu droit à son baptême de feu lors d'une précédente émission d'une chaine du même acabit et dans l'objet consistait à passer devant un « tribunal » après avoir prêté serment de ne dire que la vérité. Et c'est à cette occasion justement que l'illustre écrivain, sous la domination de l'animatrice-inquisitrice, qu'il déclara son apostasie pour ne pas dire son athéisme. Après la vive polémique qu'il suscita auprès de l'opinion publique qui est, en majorité, réfractaire à toute remise en cause du précepte religieux dut faire machine arrière pour s'amender quelque peu. Malheureusement, tel un cristal fêlé, cette image le poursuivra et pour longtemps. Etre pris pour une première fois dans un chausse- trappe, peut être compréhensible et pardonnable, mais céder aux champs des sirènes d'une caméra archi connue pour ses frasques relève non pas de la naïveté, mais de l'inconscience tout comme celle d'un enfant qui taquinerait un reptile mortellement venimeux. Il est pour le moins curieux, cette propension de certains de nos intellectuels qui dès leur passage de l'anonymat à la notoriété, se complaisent à étaler leur conviction idéologique ou religieuse sans prendre garde aux sensibilités qui caractérisent leur lectorat. Le lectorat algérien, plus que tout autre du monde dit arabe, n'admet pas que l'on nuise, impunément, au fait religieux. L'imaginaire populaire n'admet pas jusqu'à l'heure actuelle que l'on soit arabe et chrétien en même temps ou encore moins apostat. S'il est vrai que dans l'écriture, la fiction est là pour escamoter ce que l'âme de l'auteur a de rugueux, la déclaration publique est, par contre, le meilleur moyen de le montrer dans toute sa nudité intellectuelle. Le défunt Président Boumédiene, s'adressant à un proche de Kateb Yacine qu'il connaissait sûrement pour l'avoir lu, lui dit : « Dites à Kateb d'écrire, mais de se taire ! ». Au vu des intégrismes de tout bord et dans la propagation par les multimédias se fait en temps réel, cette déclaration qui subodorait de l'autoritarisme, prend tout son sens. Concomitamment à ce qu'on pourrait appeler désormais « Affaire Boudjedra 2 », une autre non moins préoccupante se déroulait dans un faubourg banlieusard d'Alger lors des prières surérogatoires (taraouih) du 2 juin en cours. Une vidéo de deux ou trois minutes, diffusée par un journal électronique, montrait une foule compacte au sortir de la mosquée entourant précautionneusement le « Cheikh » ex. no 2 du parti dissous. Une véritable haie d'honneur était dressée en vénération à l'illustre personnage, on l'accompagnait vers son véhicule qui trouvait des difficultés pour se frayer un chemin dans la masse humaine. D'une voix, quelque peu érayée par l'âge, le personnage assurément encore adulé déclarait qu'il est privé depuis plus de deux décennies de ses droits civiques et qu'il s'en remettait à la volonté divine. Entonnant le chant de « Alayha nahia oua alia namout » par une multitude de voix, les clameurs n'étaient pas sans rappeler celles qui fusaient du stade du 5 juillet ou du boulevard Lotfi de Bab-el-Oued. L'observateur que nous sommes, se demande dans son for intérieur, comment cette immense majorité de jeunes qui était, probablement, dans les langes à cette funeste époque, peut elle encore croire en un idéal qui a été battu en brèche par ses dérives guerrières là où il a élu domicile sous la harangue de mortifères prêcheurs ? Niais, nous sommes, sans nul doute, comme celui qui regarde le doigt montrant la lune.