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Quid de l'enseignement de la psychologie dans les universités algériennes ? (Suite et fin)
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 08 - 08 - 2017

Pour ne pas heurter la sensibilité des puristes de la pédagogie, je dois juste ajouter que même si nous nous situons dans une approche par objectifs, nous tenons également compte du fait que ce qui est visé par la formation doit être le développement de compétences chez l'apprenant le rendant ainsi capable de s'insérer professionnellement. De ce fait, notre approche se situe beaucoup plus au confluent de l'approche par objectif et de l'approche par compétence. D'après un article mis en ligne par Nico Hirtt le 25 janvier 2011, l'approche par compétences est née de la rencontre d'une double attente du monde de l'entreprise -disposer d'une main-d'œuvre adéquatement formée et rationaliser ses coûts de formation- et de conceptions pédagogiques axées sur le résultat individuel plutôt que sur les savoirs -la pédagogie par objectifs inspirée du behaviorisme anglo-saxon et le cognitivisme (www.skolo.org, site de l'appel pour une école démocratique).
Pour l'auteur de cet article, il y était question d' «amener tous les apprenants à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place dans la vie économique, sociale et culturelle». C'est ainsi, selon l'auteur, qu'on trouve associé officiellement, et pour la première fois, deux idées : celle de viser le développement de «compétences» et celle d'utiliser plus efficacement l'enseignement obligatoire au service de la «vie économique».
A la différence de la pédagogie par objectifs, ce qui caractérise l'approche par compétences, c'est que les objectifs d'enseignement n'y sont plus de l'ordre de contenus à transférer mais plutôt d'une capacité d'action à atteindre par l'apprenant. Une compétence ne se réduit ni à des savoirs ni à des savoir-faire ou des comportements. Ceux-ci ne sont que des «ressources» que l'élève ne doit d'ailleurs pas forcément «posséder», mais qu'il doit être capable de «mobiliser» d'une façon ou d'une autre, en vue de la réalisation d'une tâche particulière. Une compétence, dit l'un des promoteurs de cette approche, est «une réponse originale et efficace face à une situation ou une catégorie de situations, nécessitant la mobilisation, l'intégration d'un ensemble de savoirs, savoir-faire, savoir-être...» (Bosman et al. 2000, cité par Nico Hirtt, ibid)
Je ne vais pas faire ici un cours sur la pédagogie par objectifs et de la pédagogie par compétences, mon propos est juste de dire qu'aucune offre de formation viable ne peut faire l'économie de la définition des objectifs d'un enseignement et de ce qui est attendu de cet enseignement, c'est-à-dire ce que l'apprenant est censé pouvoir faire au terme de sa formation. Ceci pour dire également que tout auteur d'une offre de formation doit d'abord être un bon pédagogue, mais il doit aussi maîtriser le domaine de compétences de sa spécialité. S'agissant plus spécifiquement de la psychologie clinique où il est question de la formation de psychologues qui vont être appelés à travailler auprès de personnes qui ont besoin d'aide et de soutien, tout auteur doit, en plus d'une stature pédagogique avérée, fruit de l'expérience et d'un solide curriculum vitæ qui atteste de ses capacités scientifiques, en plus de ce pré-requis, il doit pouvoir être capable de savoir exactement ce dont à besoin un psychologue, quels savoirs il lui faut et pour quelles compétences ?
En fait, l'idéal serait de pouvoir proposer une formation qui tienne compte des trois «savoir» : savoir, savoir-faire et savoir-être. Ce qui revient à dire que le psychologue qui sort de l'université doit nécessairement être possesseur d'un savoir, mais également d'un savoir-faire et d'un savoir-être. Dans l'offre de formation qui vient d'être abandonnée, nous avons essayé de tenir compte, autant que faire se peut, des lacunes de l'ancienne formation en essayant de proposer une formation plus qualifiante. Pour ce faire, nous avons été voir ce qui est enseigné ailleurs dans les autres universités en Europe et en Amérique du Nord. Après avoir pris connaissance des différentes offres de formation LMD existantes de par le monde, la première chose à laquelle nous avons justement réfléchi, c'est la question des objectifs de cette formation. Comme nous ne formons pas de psychologues praticiens, il était essentiel pour nous que notre offre de formation réponde au moins à deux exigences : former des psychologues cliniciens capables de faire du soutien psychologique. Mais avant d'arriver au soutien, il faut que ces psychologues soient capables de faire un diagnostic. Le psychologue clinicien doit donc pouvoir au terme de sa formation au moins être capable de connaître le fonctionnement psychique normal et pathologique, les différentes pathologies et toutes les théories explicatives, les thérapies les plus couramment utilisées, les différents outils de dépistage (tests de personnalité et d'intelligence), ce qui relève du domaine des savoirs. En outre, il doit savoir conduire un entretien clinique et pouvoir faire une évaluation psychologique et proposer un diagnostic (savoir-faire) enfin, il doit savoir écouter (savoir-être).
Pour réhabiliter la place de la professionnalisation dans les missions de l'université, il faut aller vers une formation de type Dpsy, tel qu'il est en vigueur dans les universités d'Amérique du Nord et plus précisément le Québec où il faut pas moins de quatre années pour former des psychologues cliniciens et ce dans le cadre d'un doctorat professionnel avec trois années de théorie au cours desquelles l'étudiant est formé, entre autres, à une psychothérapie, et une année d'internat dans une clinique au sein même de l'université ouverte au public. Qui nous empêche d'opter pour cette formule ? Quand on a à cœur la formation de nos futurs psychologues, on ne lésine pas sur les moyens, parce que ces derniers vont être appelés à travailler dans le domaine de la santé publique. Il se peut même que demain se sera nos enfants ou nos petits enfants qui vont se retrouver face à eux. Doit-on, pour je ne sais quelle raison, confier la santé et le bien-être de nos enfants et petits-enfants à des «apprentis sorciers» qui n'ont rein à donner ? Cela me pousse à revenir à la formation des psychologues praticiens telle qu'elle est en vigueur dans les universités canadiennes. Le Dpsy est un diplôme très convoité, il permet à son détenteur de se hisser au même niveau que le médecin et c'est la raison pour laquelle les places pour une formation en Dpsy sont très convoitées. Cette année par exemple pour la rentrée de septembre et si je ne me trompe pas, il y avait à l'université Laval pas moins de 150 postulants pour à peine 15 postes, de même pour l'université de Trois Rivières : 200 postulants pour 15 places.
On peut s'inscrire plus facilement en doctorat recherche qu'en doctorat intervention ou Dpsy. Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas faire la même chose en Algérie au lieu de ce bricolage qui ne mène nulle part ? L'Algérie a les infrastructures nécessaires, la ville universitaire de Constantine est sous-exploitée.
Pourquoi ne pas faire en sorte que l'université algérienne se transforme en modèle de formation pour toute l'Afrique et drainer ainsi des étudiants de tout le contient africain. Sur le plan économique, c'est une formidable bouffée d'oxygène et sur le plan de la qualité de la formation, on n'aura plus rien à envier au reste du monde développé. Il suffit de le vouloir et d'y mettre les moyens humains. L'Algérie est un véritable vivier de cadres de haut niveau qui ne demandent rien d'autre que de démontrer ce dont ils sont capables. Cependant, ce n'est pas par la cooptation qu'on va y arriver. Il faut à ce niveau montrer patte blanche. Pour pouvoir participer à cette belle aventure, il faut avoir un véritable CV. Ce n'est pas en marginalisant les vraies compétences qu'on arrivera à construire une université où le savoir, les capacités, le professionnalisme et la SCIENCE priment. Malheureusement, nos décideurs n'ont pas d'ambition pour l'université algérienne et le programme qui vient d'être proposé pour l'enseignement de la psychologie est là pour l'attester. En effet, même si je me répète, je ne peux que souligner cette aberration qui consiste à passer d'une licence en quatre années à une licence en trois années dans le cadre du système LMD, ensuite une licence en deux années suite à l'introduction du socle commun (j'aimerais bien rencontrer le génie qui a eu cette idée de socle commun pour qu'il m'explique le pourquoi de cette réforme) pour finir avec une licence en une année compte tenu du tronc commun aux sciences humaines et aux sciences sociales. Yarham Babakoum, est-ce réaliste de préparer une licence en une année ? Comment peut-on condenser des savoirs qui étaient enseignés en quatre années de licence en une seule ? C'est plus qu'une régression, car avec ces nouveaux programmes, nous sommes plus en présence d'un « psychologisme » réductionniste et dangereux que face à un enseignement sérieux et rigoureux. C'est tout simplement la mise à mort de l'enseignement de la psychologie dans les universités algériennes.
Quand je compare notre offre de formation à ce qui vient d'être proposé, que ce soit en licence ou en master, je constate qu'il n'y a pas photo. Je ne prétends pas que cette offre de formation soit parfaite, loin s'en faut, mais elle avait au moins le mérite d'être cohérente dans la mesure où notre souci était de préserver les équilibres entre savoir, savoir-faire et savoir-être. Nous avons veillé, dans cette offre de formation LMD à donner à l'étudiant une base cohérente en psychologie et psychopathologie, en psychothérapie, en testologie, en méthodologie de la recherche en statistique et en biologie, et ce dès la licence. En master, nous avons fait en sorte que les étudiants qui se destinent à la recherche puissent bénéficier de tous les outils méthodologiques qui leurs permettent d'aborder la rédaction d'une thèse.
Pour ceux qui se destinent à la pratique, nous avons essayé de leur donner les savoirs et les outils de base nécessaires à toute pratique psychologique et d'aborder ainsi avec confiance et assurance la réalité clinique et ses exigences. Comment voulez-vous que nous abandonnons une formation de ce niveau pour ce nouveau programme d'enseignement de la psychologie ? Il faut vraiment ne pas aimer son pays pour l'enfoncer dans ce non-sens, cette non-science. Tout ce qu'on a fait c'est «vider le vide» comme me l'a si bien fait remarquer un collègue aussi scandalisé que moi par cette légèreté avec laquelle on s'est attelé à démanteler l'université algérienne, à la vider de toute substance. Par cette métaphore, le collègue en question a voulu souligner le niveau alarmant de la formation depuis l'introduction du socle commun qui l'a amputée d'une année donnant ainsi le coup de grâce à une cette formation déjà sérieusement malmenée. Avec cette nouvelle réforme concoctée par des génies de la pédagogie, nous sommes passés d'un enseignement qui avait au moins le mérite de la cohérence et de l'exhaustivité, à un enseignement pour le moins hétéroclite, sans finalité.
Bientôt, les génies de la pédagogie, du ministère de l'Enseignement supérieur, ces dieux qui n'ont pas besoin des conseils de simples mortels comme nous, vont peut-être descendre de leur Olympe et venir se tenir face aux nouveaux bacheliers pour leur dire qu'en définitive ils n'ont plus besoin de faire d'études universitaires. En effet, de par leur science infuse, ils n'auront plus qu'à toucher le front de chaque nouvel étudiant de leurs baguettes magiques, trempées préalablement dans les potions qu'ils concoctent dans leurs laboratoires abscons pour que chaque nouveau bachelier puisse acquérir la science infuse que ces dieux détiennent. Ainsi, on n'aura plus besoin d'universités. Les nouveaux bacheliers n'ont qu'à décider de ce qu'ils veulent faire et les dieux de l'Olympe universitaire, en apposant leurs baguettes magiques sur leur front, leur infuseront le savoir et le savoir-faire dont ils ont besoin.
Références
- Desfarges, P. (1982), La formation des psychologues à l'université de Constantine, Thèse de doctorat du 3e cycle, Nice.
- L'approche par compétences : ( une mystification pédagogique
Un article de www.skolo.org, site de l'appel pour une école démocratique (01/10/2009). Mis en ligne le mardi 25 janvier 2011, par Nico Hirtt
- Zannier, F. (2010). Eclectisme et Intégration en Psychothérapie : l'activité du psychologue clinicien. https://www.psycho-ressources.com/bibli/psychologue-clinicien.html
* Pr. - Université Constantine2


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