Nos jeunes veulent partir pour échapper à l'injustice, au mal social, surmonter toutes ces impossibilités du quotidien qui les astreignent à la marge de la société, s'arracher à l'austérité, la misère et la résignation. Ils veulent partir parce que rien ne fait écran au risque d'anéantissement de leur volonté, parce que l'espérance est devenue lettre morte sous le toit de cette Algérie corrompue et irrécupérable alors que leur vie n'a pas encore démarré. Nos jeunes veulent s'exiler parce qu'ils se sentent comme endettés à vie au nom d'un nationalisme d'un autre âge, étriqué, boiteux et hypocrite envers une patrie qui les aurait tous abandonnés sur le trottoir du non-droit, la déchéance. L'exil naît, écrit l'anthropologue Michel Agier, chaque fois que »manque une place dans un monde commun.» Et quand le sujet ne trouve plus sa place là où il vit, il perd sa relation aux autres, il se précarise, se délite, s'efface. Ce qui entraîne inéluctablement la perte de son moi personnel, la dissolution de sa citoyenneté et sa mort symbolique. C'est un scandale que d'être privé de ses droits, un atroce déchirement que de devoir quitter son foyer pour exister, ou acculé à jouer éternellement «le rôle de l'absent» dans les deux sens pour relayer ici l'expression du sociologue A. Sayad, c'est-à-dire absent dans la société d'origine, et peut-être même aussi dans celle d'accueil en proie au racisme et aux discriminations. En clair, il y a un seuil d'incompréhension, de souffrance et d'épuisement à partir duquel toute capacité de résistance, aussi forte soit-elle, peut cesser d'être possible. L'exil est un départ qui signifie pour cette jeunesse un refus et une rupture avec tout ce qui la tire vers le bas et l'empêche de s'accomplir. Dans un système verrouillé comme le nôtre où la rationalité et l'éthique n'ont pas droit de cité, la destruction de ce qui donne un sens à un trajet d'existence et «la mélancolisation du lien social» pour reprendre le terme de A. Giovanni deviennent automatiques. En conséquence, nos jeunes en perte de repères se découvrent affreusement déroutés, les grands perdants dans la machinerie politique, d'où l'importance de les écouter, aller à leur rencontre, les approcher, les entretenir, les soulager, etc. Puis un trajet d'existence brisé devient la plupart des fois un exil intérieur irrespirable où le citoyen se déplace dans l'espace mais ne possède plus de source ni de bord, il navigue à vue, sans espoir. Il est hors-champs, hors-lieu, hors-vie ! Il sent déjà la vieillesse l'entamer avant terme. Bref, il est dans la case de l'exclu permanent prêt à tout pour s'en sortir, quitte à être un Harrag. Voilà le malheur !