Beaucoup de scientifiques et notamment de penseurs perdent un peu la boussole devant l'extraordinaire phénomène migratoire des pays du Sud vers les pays du Nord. Phénomène pas nouveau du tout puisque dans les années 30 après la deuxième guerre mondiale, l'Europe et notamment la France avaient besoin de gros bras pour se reconstruire. Les pays décolonisés s'étaient ruée vers l'Europe, il y avait en ce temps là une raison essentielle : prtir pour gagner sa vie. Au 21ème siècle, les choses sont tout à fait différentes Nos jeunes comme ceux du tinent ont une vie exaltée des pays du Nord, ils font tout pour s'en approcher au péril de leur vie. Pour comprendre ce phénomène des chercheurs algériens et étrangers s'y étaient penchés lors d'une conférence à Oran. Tout de suite, les conférenciers avaient convenu à l'unanimité de la nécessité de valoriser l'œuvre d'Abdelmalek Sayad (1933-1998) pour mieux comprendre les mécanismes du phénomène migratoire auxquels se consacra durant toute sa vie ce fondateur de la sociologie de "l'émigration-immigration". De plus, un projet visant, dans ce contexte, à mieux faire connaître en Algérie le patrimoine archivistique légué par le penseur algérien hors pair que fut Sayad a été annoncé par les participants à une table ronde initiée par le Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle d'Oran (CRASC) en partenariat avec le Centre culturel français (CCF). L'initiative en question ambitionne notamment la mise sur pied d'un programme d'échanges de chercheurs des deux pays dans le domaine ciblé, la mise à disposition des travaux de Sayad pour les universités algériennes ainsi que leur traduction en langue arabe. Ont été également suggérées la création d'un lexique ou répertoire usuel de citations de Sayad au profit des étudiants et l'organisation d'un colloque thématique international en Algérie. Cette rencontre qui se veut, selon les organisateurs, la première d'un cycle de rendez-vous trimestriels à Oran autour du fonds Sayad, a permis aux animateurs de mettre l'accent sur la dimension de cette personnalité incontournable dans la communauté scientifique. Ont pris part à la table ronde Tassadit Yacine, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, France), Yves Jammet, directeur de formation professionnelle au sein d'une association française pour l'insertion des jeunes en difficulté et Claudine Chaulet, professeur associé au Département de sociologie de la Faculté des sciences humaines et sociales d'Alger. Leurs communications ont éclairé une nombreuse assistance majoritairement composée d'étudiants et d'enseignants qui ont pris connaissance, entre autres, de la consistance des archives léguées par Sayad, lesquelles sont conservées à la médiathèque inaugurée à son nom en mars 2009 à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI, France). Selon Yves Jammet qui a dirigé la formation des jeunes archivistes ayant procédé à l'inventaire du fonds Sayad, l'œuvre du sociologue algérien est de nature fragmentée, comportant 90 articles regroupés dans cinq livres et de nombreux documents évalués à 420 boîtes d'archives, des manuscrits pour la plupart mais également des photos et des enregistrements audio réalisés pour les besoins de ses recherches. Tassadit Yacine a, quant à elle, rappelé que l'homme avait entamé ses travaux en France dans les années 1960, à une époque où la question de l'immigration était totalement absente du débat public dans ce pays. Elle a aussi insisté sur le fait que la tâche ne fut guère facile pour Sayad qui a vécu dans la précarité tant sur le plan matériel que médical pour avoir subi 14 opérations chirurgicales et 40 hospitalisations. "Abdelmalek Sayad a évolué dans des conditions qui l'ont placé à la fois comme sujet et objet, il n'a jamais eu de travail à plein temps, sauf de petites vacations à l'EHESS et quelques missions auprès de l'UNESCO", a fait savoir Mme Yacine. Claudine Chaulet, pour sa part, a indiqué que les travaux de Sayad doivent être exploités et complétés par d'autres études pour une bonne compréhension du phénomène tel qu'il est vécu de nos jours à travers les migrants illégaux dits "harragas". Qui est Abdelmalek Sayad ? Né en 1933 à Sidi-Aïch en Kabylie et décédé en 1998 en France, le sociologue au long cours cultivait la discrétion. La Double absence est un ensemble de textes déjà publiés ou inédits du chercheur dont le travail a permis, depuis un quart de siècle, de lever "le voile d'illusions qui dissimulait la condition des "immigrés" et révoque le mythe rassurant du travailleur importé qui, une fois nanti d'un pécule, repartirait au pays pour laisser la place à un autre". Pour Pierre Bourdieu, l'ami de toujours rencontré à la faculté d'Alger à la fin des années cinquante, qui a mis la dernière main à la confection de l'ouvrage, "... en regardant de près les détails les plus infimes et les plus intimes de la condition des "immigrés", en nous introduisant au cœur des contradictions constitutives d'une vie impossible et inévitable au travers d'une évocation des mensonges innocents par qui se reproduisent les illusions à propos de la terre d'exil, il dessine à petites touches un portrait saisissant de ces "personnes déplacées", dépourvues de place appropriée dans l'espace social et de lieu assigné dans les classements sociaux". La Double absence était au cœur de l'expérience personnelle du sociologue qui a quitté l'Algérie pour la France en 1962. Le titre de l'ouvrage renvoie à l'aventure de l'émigration, à la station de l'émigré dans cet "entre deux" marqué par l'absence "au lieu d'origine et au lieu d'arrivée". "... il est clair, ajoute Pierre Bourdieu, qu'Abdelmalek Sayad avait mille raisons de voir d'emblée ce qui, avant lui échappait à tous les observateurs : abordant l'"immigration" -le mot le dit- du point de vue de la société d'accueil qui ne se pose le problème des "immigrés" que pour autant que les immigrés lui "posent des problèmes", les analystes omettaient en effet de s'interroger sur la diversité des causes et des raisons qui avaient pu déterminer les départs et orienter la diversité des trajectoires".