La situation du pays au double plan économique et social, déjà propice à la contestation est partie pour l'être davantage à présent que sont entrées en application les mesures d'austérité édictées par la loi de finance 2018. Ce constat partagé bien évidemment par tous les observateurs de la vie publique, a été établi par un chroniqueur qui rappelle que les autorités, encore sous le coup du syndrome des émeutes de janvier 2011 qui ont surpris par la soudaineté de leur propagation, ont usé de la répression contre les médecins résidents grévistes, pour rappeler à ceux qui seraient tentés de « battre le pavé » dans la capitale, que la cité est interdite aux manifestations depuis 17 ans ! Que reste-t-il à faire à ces étudiants en médecine, jeunes en majorité, pour faire entendre leur voix et pour le moins, faire aboutir leurs doléances ? Ils ne contestent pas le service civil, disent-ils ? Encore moins la rémunération qui leur est allouée, quoique ! Ils veulent que les autorités publiques qui décident de leur affectation mettent à leur disposition les moyens adéquats pour qu'ils puissent, serment d'Hippocrate oblige, prendre en charge dans les règles de l'art les populations du Sud et des hauts plateaux et ainsi exercer convenablement leur métier dans les déserts médicaux : un plateau technique et un logement ! Au lieu d'ouvrir un dialogue avec eux, on a recouru à la force, vient d'alerter fort à propos l'occupant du « banc public » (*) ; qu'on ne se plaigne pas, poursuit-il, s'ils décident de quitter en masse le pays ; ils vont partir, de plus en plus nombreux, en masse, en sang, en chaloupe ; la matraque, le mandarinat des rentiers de la santé, la primauté de l'administration sur la compétence vont les pousser à s'en aller. Qui en payera le prix s'interroge ce journaliste ? Vont-ils se résigner, rentrer dans les rangs à l'approche des examens et se taire, peut-être bien ? Ou continuer à s'indigner, à défaut de pouvoir défiler de « Bastille à Nation », dès lors que c'est interdit et que cela risque, c'est vrai, de dégénérer ? Bien évidemment, ils doivent placer leur combat dans un esprit démocratique et civilisationnel loin de toute forme d'anarchie dont certains veulent affubler leur démarche. Mais sinon, leur indignation participe de la salubrité publique, car souvent, beaucoup de questions sont traitées dans notre pays en vase clos ; ce qui oblige tous ceux qui ont quelque chose à porter leurs doléances, via les réseaux sociaux, la radio, la télé et les journaux indépendants, même si cela est vrai aussi, dans notre pays, on n'arrive pas encore à débattre entre personnes civilisées, tolérantes, sachant s'écouter et accepter l'avis de l'autre ! Il faut le dire aussi, s'exprimer ainsi et en ces lieux et pourquoi pas s'indigner en conséquence, ne participe ni de l'anarchie, ni du trouble à l'ordre public. L'objectif étant de faire avancer les choses et le pays avec, en mettant de côté les égoïsmes des uns ou des autres et les formulations éculées de type « y'a qu'à » ou « il faut que ». Ou botter en touche, en affirmant que « cela ne relève pas de mon secteur », comme vient de l'affirmer le ministre de la santé. Il faut s'indigner, tout comme les jeunes de Nabni malgré l'absence d'intérêt porté à leurs propositions. Vont-ils se résigner pour autant ? Ou se taire ? Ne dit-on pas que le silence est la vertu des sots ? A moins d'être fortement imprégné de l'esprit de Tahar Djaout et de s'approprier sa citation : « Le silence c'est la mort. Et toi, si tu parles tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, parles et meurs ! ». Rappelons-nous aussi des années 1990 ou ceux qui par ignorance des enjeux politiques de l'époque, ont failli nous précipiter dans les abysses. Ce sont tous les abstentionnistes, « je m'en foutistes, » ! Ou encore les «bof istes » et autres fatalistes de tout bord, qui n'ont eu de cesse de geindre, croyant alors que les élections étaient gagnées d'avance, comme à la belle époque du parti unique. Et la suite on l'a payée cher : 200 000 morts ! Aujourd'hui, le pays va-t-il se faire avec ou sans les jeunes même si un certain nombre d'entre eux commence à s'imposer dans les sphères économiques, culturelles, sportives et même politiques. Pourront-ils pour autant recadrer, poliment peut-être, mais avec beaucoup de détermination, ceux qui ne veulent pas passer le témoin, depuis notamment le fameux discours, de référence, de Sétif : « Tab djenana », avec lequel ils ont pris date ? Pour l'heure, ils sont nombreux à espérer et à s'indigner quand ceux d'en haut feignent de ne pas entendre le bruit sourd de ceux d'en bas. Ils sont aussi légion ceux qui ne veulent plus du pays malgré « l'insistance des aînés ». Ce sont les « harragas » ! L'Etat ne peut raisonnablement les retenir en dépit de la loi qui pénalise leur acte ! L'Etat ne peut pas également donner un local commercial à tous ces jeunes en errance, les redéployer dans les marchés ou les recruter en qualité de veilleurs de nuit ou d'agents de sécurité ! Fatalement, ils continueront donc à tenter le diable ! Ils joueront, intrépides ou insouciants qu'ils sont, leur vie en solo dans des barques désuètes, à moins que les pouvoirs publics ne leur trouvent des destinations d'immigration du style Australie ou Canada. Tous ces «desperados », faut-il le dire, ne veulent plus du pays ! Et même ceux qui sont porteurs de titres et diplômes supérieurs, pensent qu'après les études, leur salut est ailleurs ! Non pas dans la fuite, mais en vue de se désaltérer, de souffler et de se réinventer pour revenir riches d'expériences nouvelles, imprégnées de la créativité et de l'enthousiasme qui fleurissent aujourd'hui aux coins du monde, disent-ils ! Sans langue de bois, une fois n'est pas coutume et parfois de manière triviale, en tous les cas, juste assez pour choquer les biens pensants, interpeller les consciences et casser quelques tabous : Partez alors si vous voulez, revenez, repartez encore, revenez de nouveau ! C'est ce que préconise les auteurs du livre «Barrez-vous » et qu'on peut encore paraphraser pour dire à nos jeunes, ceux qui piaffent d'envie de partir : « L'Algérie ce n'est pas uniquement votre pays de naissance, qui est vôtre, mais le monde entier ; faites-vous violence si nécessaire, mais emparez-vous-en ! N'hésitez plus, choisissez une destination où le monde est en train de se faire, là, tout de suite, que ce soit Tbilisi, où la Ministre de l'économie, la patronne de la police nationale et le seul conseiller du président sont tout juste trentenaires, ou Shanghai, Mexico ou Santiago ». Mais, qu'on se mette d'accord, il ne s'agit pas ici de faire l'éloge de la fuite de nos jeunes qui condamnerait notre pays à terme, mais les encourager à partir explorer le monde, à faire des rencontres qui changeront leurs vies, et après, d'en faire profiter leur pays, l'Algérie ! (*) Kamel Daoud