La (re) montée au front des syndicats n'est pas fortuite. Encore moins une quelconque volonté des syndicalistes de montrer leurs muscles et de chercher la bagarre à tout prix avec le gouvernement, occupé à recoller les morceaux d'une économie qui part en vrille. Et qui reste sourd aux revendications du front social. Mais, cette colère des syndicats a pris une tournure dangereuse et qui risque de laisser des séquelles profondes sur le front social, si le gouvernement ne parvient pas à prendre la mesure de ces appels d'air. En écartant le dramatique bras de fer entre le ministère de l'Education nationale et le Cnapeste, il y avait hier une grève nationale des fonctionnaires à l'appel de l'intersyndicale. Un cri de désarroi qui rappelle au gouvernement que les conditions de vie, le pouvoir d'achat et l'accès à certains services publics et sociaux ont changé depuis la promulgation de la loi de finances 2018 qui a introduit des hausses fiscales synonymes de détérioration du pouvoir d'achat des travailleurs. Le gouvernement Ouyahia ne voit pas venir cette tempête sociale qui pointe à l'horizon, avec cette situation de quasi-blocage dans le secteur de l'Education nationale, un marasme jamais enregistré jusque-là, le blocage des hôpitaux par une grève dure du personnel de médecins résidents, et maintenant la montée au front de l'ensemble des fonctionnaires pour dénoncer leurs déplorables conditions de vie. Aujourd'hui, des pans entiers de la société algérienne sont concernés par ces débrayages en série contre la détérioration du pouvoir d'achat. Ce sont là des facteurs qui, collés les uns aux autres, feront que le climat social est entré en pleine crise structurelle et que le gouvernement doit prendre en compte pour éviter qu'elle ne le déborde. L'entêtement des parties dans le conflit de l'Education nationale, la quasi-fermeture des hôpitaux par une grève de médecins résidents qui tarde à être résolue, va fatalement y greffer d'autres revendications d'autres corporations et, surtout, un pourrissement généralisé de la situation sociale et économique du pays, pratiquement à une année de la présidentielle de 2019. Or, si le gouvernement reste en retrait de cette agitation sociale et s'illustre par un long silence, sa posture n'aide pas à régler cette crise sociale. Bien au contraire, elle ne s'explique pas, vu l'urgence de calmer le front social. D'autant que sur le plan financier le gouvernement n'a certes aucune marge de manœuvre et ne peut satisfaire les exigences syndicales, notamment celles relatives à des revalorisations salariales. Avec un budget de 4.585 milliards de dinars pour les dépenses de fonctionnement, l'Etat n'a budgétisé que 2.743 milliards de dinars pour les salaires dans la fonction publique (Education, Santé, Administration...), soit la moitié des dépenses publiques de fonctionnement. En fait, il serait difficile au gouvernement de satisfaire les revendications salariales des syndicats, puisque la brusque hausse des liquidités bancaires n'est qu'un artifice né du subterfuge du financement non conventionnel ou tout simplement la planche à billets. Au final, tout le monde est prisonnier d'une situation kafkaïenne. Pour autant, la montée des tensions sociales est gérable, les différents conflits sociaux peuvent trouver des solutions et des issues honorables, dignes, pour peu que toutes les parties manifestent une réelle volonté de dialogue, de partage des décisions difficiles, au lieu de cette posture de l'autruche qui n'est à l'avantage d'aucune partie. Par contre, la fuite en avant des uns et des autres, quels qu'en soient les motifs, est dommageable pour la société, pour le pays, où les forces sociales et politiques n'arrivent pas à s'entendre sur une démarche commune ouvrant la voie à une rapide sortie de crise.