Ce n'est pas le choléra qui a été réintroduit chez nous, mais c'est le pourrissement de l'état d'hygiène dans nos villes et dans nos campagnes qui a fait réémerger cette maladie des temps anciens. Par cet article, nous voulons réagir par rapport à l'épidémie du choléra qui a brutalement touché certaines wilayates du pays. Nous voulons réagir aussi par rapport aux médias, qui, il me semble, se trompent de cible, et portent souvent la responsabilité de l'amplification de l'épidémie de choléra aux structures de soins et au Ministère de la santé. Sans vouloir prendre partie pour un Ministère et un Système de santé qui est moribond à mon sens, je voudrais rappeler que l'apparition du choléra est une conséquence directe d'une gestion catastrophique de l'assainissement, et une traduction inéluctable des conditions déplorables de l'hygiène et de la salubrité publique dans nos villes, et dans nos campagnes. La responsabilité de cette situation doit être recherchée à deux niveaux à mon sens : - Dans les communes, les services techniques responsables de l'hygiène et de la salubrité publique ont presque disparu, et les Bureaux d'hygiène communaux crées avec beaucoup d'effort en 1985, n'existent, ou ne fonctionnent presque plus, comme par exemple à Oran. - Dans notre société actuelle, le choléra est une résultante de l'archaïsme et de l'inculture scientifique prônée dans les écoles de l'ancien ministre Benbouzid, où l'on a produit une société insensible à l'hygiène, et à la propreté de son environnement. Le choléra, de quoi s'agitil concrètement ? Contrairement aux autres maladies tout aussi graves et désastreuses, comme la peste ou le typhus, le choléra survient progressivement (sauf pour certaines contaminations particulières), c'est un aboutissement biologique d'un état de dégradation d'un écosystème naturel, et c'est une résultante d'une situation alarmante des conditions d'hygiène et de promiscuité de la population. Sur le plan épidémiologique, le choléra se situe au sommet de l'iceberg que constituent les maladies à transmission hydriques. C'est-à-dire, que le choléra, survient nécessairement quand les autres maladies de la saleté sont omniprésentes, sur une longue durée, comme par exemple : la typhoïde, les intoxications alimentaires, les dysenteries, les diarrhées etc. Par ailleurs, étant un pays endémique de ces maladies appelées aussi maladies des mains sales, toute détérioration des conditions d'hygiène fait resurgir automatiquement ces pathologies, dont les germes ou les virus en causes pullulent plus particulièrement durant les périodes chaudes, et dans toutes les régions de notre pays. L'épidémie de choléra et ses conséquences Les conséquences directes de cette épidémie sont nombreuses, avec un impact négatif pour notre pays sur plusieurs plans. Sur le plan épidémiologique, la maladie va persister, au moins quelques années, durant les saisons estivales, sauf si la situation de l'hygiène publique s'améliore nettement, ce qui n'est pas chose aisée dans les conditions actuelles. Sur le plan sanitaire, la surveillance de la maladie nécessitera une mobilisation accrue et permanente de moyens sanitaires (des laboratoires spécifiques que n'ont plus nos structures de santé), et des compétences humaines qui existent de moins en moins (la couverture sanitaire en spécialistes en épidémiologie est l'une des plus faibles dans le pays). Sur le plan économique, l'épidémie de choléra a toujours des conséquences néfastes, car le choléra est une maladie sous haute surveillance internationale, elle est soumise à un Règlement sanitaire international et donc tout pays infecté est mis en quarantaine pour les exportations de ses denrées alimentaires. Ce sont les mêmes conséquences également pour les Agences de voyages internationaux qui ne recommandent plus à leurs touristes le pays infecté. Par ailleurs, le niveau sanitaire du pays infecté est automatiquement déclassé, et tous les indicateurs sanitaires sont réexaminés par l'Organisation mondiale de la santé. Pourquoi une épidémie de choléra en aout 2018 ? Il s'agit certainement du résultat actuel d'une situation épidémiologique gravissime en termes de maladies à transmission hydrique. Le nombre élevé de cas de diarrhées et d'intoxication recensé dans le pays était annonciateur de cette situation épidémique. Les épidémies de diarrhées font toujours le lit du choléra. Elles n'ont pas été prises en considération. Ainsi, nous allons assister à une propagation de proche en proche, de la maladie, d'une wilaya à une autre. Ce fléau de l'antiquité, se propage aisément et cela malgré tous les moyens et les compétences dont dispose notre pays en 2018. Il est vrai que la situation climatique excessivement chaude a été très favorable, le tourisme national et la fréquentation des plages dans le pays a atteint un record cette année, atteignant souvent les limites de la promiscuité. La mauvaise gestion récurrente de l'eau, et aussi l'absence d'information sanitaire des populations, ont certainement contribué aussi à la résurgence de cette grave maladie à transmission hydrique. La propagation d'une épidémie de choléra dans notre pays est liée aussi à un mal profond dans notre société. En effet, notre population n'à point de repère et elle n'observe aucune limite concernant l'insalubrité et la malpropreté des espaces qu'elle souille sans réserve (voir la célébration de l'Aïd El Adha qui est transformé en une véritable orgie de l'insalubrité dans nos rues). Egalement, nos gestionnaires des villes et des campagnes, ils ont une lourde part de responsabilité dans l'éclosion de cette épidémie, ils sont plus préoccupés dans les affaires, et ont systémiquement délaissé la gestion de l'hygiène publique de leurs communes, depuis de nombreuses années, mais ils ne sont point les seuls responsables, car d'autres fléaux, comme la prédation, et l'incompétence, sont devenues des règles immuables à tous les niveaux de gestion de notre malheureux pays. *Professeur en Epidémiologiste - Faculté de médecine d'Oran