Livres Djebel Tafat. Bougaâ de 1830 à 1962. Histoire et légendes. Récit de Saâd Taklit. Editions Dahlab, Alger 2012, 1 200 dinars, 509 pages. Une ville, un douar, une région, une famille sous la protection de Ma Tafat, la sainte patronne de Bougaâ, une sainte femme enterrée à 1613 m d'altitude sur le lieu même de sa retraite où elle y a médité jusqu'à sa mort. L'histoire, entre autres, de la famille Taklit... recueillie par l'auteur auprès de l'arrière-grand-père (décédé en 1981 à l'âge de cent ans). La vie rurale, de 1830 jusqu'au déclenchement de la guerre de libétarion nationale, du village de Bougaâ (Lafayette de 1893 à 1962). Lui-même (le grand papy) tenait une partie du récit de son père, né vers 1830. Une époque où tout se transmettait par voie orale. Une tradition si expérimentée, tout du moins au niveau des familles et des tribus, qu'il y a une grosse part de véracité, tant l'esprit clanique dominait. Certes, on enjolivait un peu mais la substance restait là. Pour la péroiode de guerre, jusqu'en 62, c'est l'auteur lui-même qui rapporte les faits. Certes encore jeune : 6 ans en 54 et 13 en 62 mais à ces âges de l'enfance et de l'adolescence, et à cette époque, on est déjà adulte à 8-10 ans, sinon moins... et la vie, bien pénible, créée par les conditions coloniales, était vécue «en direct» et les faits enregistrés sans peine ( !). Le reste a été affaire de témoignages recueillis ça et là auprès d'acteurs directs ou indirects d'évènements. On a, donc, l'histoire de Khali Ahmed «au temps de la pénétration française». C'est l'arrière-arrière-grand-père. Hammam Guergour, à l'époque, n'était qu'une bourgade d'une centaine d'âmes, en partie des agriculteurs et des éleveurs ( Karl Marx s'y est rendu pour une cure thermale). Mais, une bourgade qui était une étape presque obligatoire sur la route de Sétif. C'était, d'ailleurs, l'itinéraire préféré, car plus sécurisé, des romains de l'antique Sitifis. 1840 : les premières incursions de soldats français et l'occupation restreinte... Les paysans commencent à être dépossédés de leurs terres les plus fertiles et refoulés vers les terrains incultes, caillouteux, en pente et à faible rendement. Premier village construit autour de Sétif : Ain Arnat en 1853. C'est l'opération de cantonnement. Ensuite, c'est Ami Lakhdar «au temps de la pleine colonisation». C'est, aussi, le temps glorieux ( !) du Caïd... représentant de França, la «bienfaitrice», de son Chaouch, et du colon tout-puissant. C'est le temps de la «participation» à la guerre, en 1870, entre la France et la Prusse. Près de 14 000 musulmans d'Algérie y participèrent, presque tous «enrôlés» de force...Une calamité. Dans la contrée, seuls deux des engagés volontaires sont revenus vivants (dont Ali lemtoké) mais mutilés... Ajoutez-y la famine, les maladies, l'exploitation en tant que travailleur agricole ou khammès, les multiples interdictions de tous genres (dès 1874, une liste de 27 infractions spéciales est dressée spécifiquement à destination des indigènes), la séchersse, les sauterelles, l'injustice, le racisme, la répression pour n'importe quoi... et la superstition avec ses histoires de voyantes, de djinns... Puis, c'est Da Amar «au temps du code de l'Indigénat». 1881 : l'époque où la population européenne commence à progresser. Plus par les naissances que par les arrivées de colons sur le territoire algérien. Sur le plan social, le régime de l'indivision a brisé les liens traditionnels de la solidarité tribale... et l'instauration de la propriété individuelle aura également des répercussions sur les successions, dont les colons et les spéculateurs profiteront largement. Les premières émigrations (130 000 Algériens entre 1914 et 1918) pour travailler comme ouvriers dans les usines d'armement. Le temps de «la fin des illusions» est venu... La guerre 39-45 (134 000 Algériens y ont participé)... Le marché noir, la spéculation caïdale et administrative, un hiver 45 très rude, la famine, le règne de la «kahoua»... le 8 mai 45 et les massacres de Sétif, de Kherrata et de Guelma et la «chasse» au «bougnoule»... partout... par les milices de colons, des soldats sénégalais... Enfin, «les années de braise : Said se souvient» : La guerre de libération nationale commence. Racontée par l'auteur lui-même, avec des yeux d'enfant mais avec une conscience en éveil de l'importance des événements en cours. Une guerre avec ses héros et ses actes d'héroïsme, ses lâches et ses traîtres, ses exécutions sommaires, ses engagements clairs et ses hésitations. Avec, aussi, des «retournements de veste» inattendus, ses moudjahidine et ses harkis, ses soldats de l'armée coloniale sanguinaires et des Européens pleins d'humanité comme Berbis, l'instituteur, «un homme juste» (et dont l'épouse collectionnait alors tout ce qui s'écrivait sur Kateb Yacine), très fier des résultats de l'examen d'admission en classe de 6ème, en juin 1961, de ses petits élèves musulmans... Avec, aussi, ses «marsiens» et ses harkis «repentis»... soit pardonnés, soit exécutés. Bougaâ... une ville au pied du Djebel Tafat, construite là où, il y a bien longtemps, il y avait un immense champ de mûriers ! Un dernier attentat perpétré contre un Européen, fin novembre 1961. Soixante-dix neuf de ses fils qui se sont sacrifiés pour l'Algérie indépendante... durant la seule guerre de libération nationale. L'Auteur : Né à Bougaâ (wilaya de Sétif) en avril 1948. Lycée Mohamed Kerouani de Sétif, études universitaires à la faculté de Droit et des Sciences économiques d'Alger. Premier livre. Extraits : «La mise sous surveillance permanente de la population a déjà commencé ; elle va durer plus d'un siècle» (p 103), «La tournée du Caid obéit à des règles protocolaires précises. L'improvisation n'est pas de mise. Ce serviteur zélé du pouvoir colonial est un personnage puissant et influent. Son pouvoir est très étendu. Les habitants doivent lui réserver un accueil digne de son rang ; aucune négligenece n'est tolérée. Les femmes sont invitées à lancer des «you-you» dès qu'il aura franchi l'entrée du douar. Quant au festin qui doit être servi, il est déjà prêt» (p 107), «Malgré sa nudité, la statue (de Ain Fouara, à Sétif) ne choque pas. Oui, c'est une nudité candide, innocente, dont seuls les grands artistes possèdent le secret» (p 188), «En guise de remerciements pour leur dévouement à la patrie (lors de la Grande Guerre avec 173 000 militaires «indigènes» dont 85 000 engagés... et 25 000 tombés à Verdun), les autorités françaises poursuivent une politique de discrimination à leur égard. Le sacrifice est le même mais la reconnaissance, la récompense, est différente» (p 213), «Le 8 mai 1945 a montré, dans le sang et les larmes, qu'il n'y aura aucune possiblité de solution pacifique au problème algérien» (p 320), «Ceux qui décident de rester aux côtés de l' armée coloniale, l'ont décidé en toute liberté. Ils ont fait leur choix en leur âme et conscience... Les plaies ne seront plus jamais refermées» (p 347). Avis : Agréable et très facile à lire. Style clair et simple... et, une fois n'étant pas coutume, aucune «coquille». De plus une histoire, basée sur des faits réels, celle d'une famille et d'une région, et, aussi, un peu de l'Histoire nationale, qui défile, de manière chronologique mais prenante, parfois passionnante. On se sent tous concernés. Ouvrage un peu trop épais... ce qui pourrait décourager les lecteurs, surtout les non-natifs de Bougaâ. Citations : «Les colons ne veulent rien lâcher, pas même un brin de leurs minces privilèges. Ils ne voient dans l'indigène qu'un ennemi à qui il faut disputer la terre. Instinctivement, ils le haïssent, le poursuivent sans cesse, le dépouillant quand ils le peuvent. Pour le colon, l'arabe indigène est d'une race abâtardie, immorale ; il doit être chassé, impitoyablement» (p 110), «Le caïd est le maître, il fait ce qui lui plaît ! Il règne en véritable seigneur... Il pénètre directement dans l'escroquerie en dépouillant ses compatriotes de ce qu'ils ont de plus précieux, la terre» (p 133), «Vers la fin des années trente, le jeune Algérien n'a ni passé ni avenir. Il a faim» (p 276), «A leur tour, elles (les cellules de l'oragnisation civile du Fln) seront décapitées mais, aussitôt celles-ci détruites, d'autres naîtront pour prendre le relais. C'est comme un arbre ; vous avez beau scier le tronc, d'autres branches repoussent... et le cycle continuera, jusqu'à l'indépendance» (p 357). Le naufrage de la Lune. Roman de Amira-Géhanne Khalfallah. Editions Barzakh, Alger 2018, 800 dinars, 215 pages Un roman d'aventures et d'amour sur fond d'Histoire. Tout se déroule à la fin du 17e siècle : En Algérie. En France. A Versailles alors en construction, d'abord. Versailles, avec un jeune roi qui dépense sans compter pour le théâtre, la musique, la danse... la bonne «bouffe» et les jeunes et belles maîtresses... et la préparation de l'invasion de l'Algérie avec un débarquement-surprise, en 1664. Jean-François est un médecin en attente de reprendre la mer... Grand amoureux des Indes qu'il a visité, de Marie-Hélène - une comédienne qu'il aime mais qui n'aime que le théâtre (mysogyne) de Molière-... et des compositions musicales de Lully. De l'autre côté de la Grande bleue, il y a Gigéri (Jijel), petit port de pêche vivant paisiblement, presque hors du monde, mais heureux malgré tout. Il y a, aussi, vivant à la campagne sous la protection de sa vieille tante, Neffa, la jeune, la belle, la rebelle... et célibataire (car trop instruite pour tous les prétendants, car elle sait lire et écrire et parler plusieurs langues grâce à son père, un célèbre marabout ) : Thiziri. 22 juillet 1664. La petite ville pacifique est pilonnée jusque tard dans l'après-midi. La ville est prise, mais la résistance ne cesse pas. L'Ordre de Malte s'en ira accrocher une croix en haut du minaret de la mosquée (Note : «Sous le règne de Louis XIV, son ministre, le Cardinal Mazarin, revient au projet d'occupation de l'Afrique du Nord. Parmi les ports de débarquement suggérés par l'espionnage militaire : Bûna-Annaba est retenu ainsi que Stora (Skikda) et Bidjâya. Finalement, la tentative a lieu sur Djidal. L'expédition est commandée par le Duc de Beaufort, de juillet à octobre 1664 ; c'est l'échec» (Said Dahmani, 2001). Il est fait appel aux Turcs de la Régence d'Alger... avec, bien entendu, le gros risque de les voir s'installer définitivement après leur victoire sur les occupants français. Et, c'est ce qui se passa : «Les Gigériens accueillent les janissaires d'Alger dans un mélange de tristesse et de soulagement, mais ne cachent plus leur inquiétude car cette alliance leur coûte leur liberté. Tout le monde sait que les Turcs ne repartiront plus». Un envahisseur a pourtant échappé à la déroute des envahisseurs et à la chasse à l'homme qui a suivi. Blessé, Jean-François, le médecin, est recueilli par la famille de Thiziri. Soigné, adopté... il ne tarde pas à épouser cette dernière. «Converti» publiquement (par la vieille Neffa qui le protégeait des janissaires à la recherche de soldats français rescapés, d'autant qu'il avait été dénoncé par un «renégat»), il s'appelle désormais Raïss Mahmoud... un pêcheur respectable et respecté... un taiseux ; aucun mot sur sa vie d'avant ne le trahissant,... et amoureux fou de Thiziri à qui il a fait plusieurs beaux enfants... mais arrivant difficilement à oublier les fastes de Versailles et, surtout, la musique de Lully... : «La culture, c'est ce qui nous reste après avoir tout oublié», n'est-ce pas ? L'Auteure : Née en Algérie. Vit au Maroc depuis 2007. Diplômée de biologie... et journaliste. Premier roman. Extraits : «A Versailles, on ne mange pas parce qu'on a faim. On joue à manger. Tout est jeu, divertissement et plaisir. Les services (de la cuisine) se suivent, ne se comptent même plus» (p 38). Avis : Un livre parcouru de «tableaux». On comprend mieux le style lorsqu'on sait qu'elle a déjà écrit pour le théâtre et la marionnette... Un roman (le premier) qui leur emprunte les techniques. Citations : «La bouche n'est jamais fatiguée, la bouche, elle, ment tout le temps» (p 30), «Le plus important n'est pas ce que l'on voit mais ce que l'on ne voit pas»(p 100) PS : 1/ La langue française est-elle en recul en Algérie ? Pas vraiment à en croire les chiffres révélés par l'Organisation internationale de la francophonie selon laquelle 33% des Algériens utilisent quotidiennement la langue française (OIF). Selon le dernier rapport de l'OIF, les pourcentages de ceux qui utilisent quotidiennement la langue française est de 13% au Niger, 17% au Mali comme au Tchad, 26% au Sénégal, 33% en Côte d'Ivoire, 51% en République démocratique du Congo (RDC) et même 59% au Congo-Brazzaville. Au Maghreb, le français est utilisé quotidiennement par 52% des Tunisiens, mais seulement par 35% des Marocains et 33% des Algériens. Rien nest cependant dit sur le niveau de maîtrise de la langue. Le français est aujourd'hui la cinquième langue dans le monde, avec 300 millions de locuteurs, après le chinois, l'anglais, l'espagnol et l'arabe, selon les chiffres révélés lors de l'ouverture du 17e sommet à Erevan, jeudi 11 octobre. Il y a quatre ans, le français était en sixième position. 2/ Un projet de loi contre le crime électronique a été élaboré par le ministère de la Justice, annonce-t-on. Ce texte s'inscrit dans «la volonté du gouvernement de renforcer le système législatif relatif à la lutte contre la cybercriminalité qualifiée de «dangereuse», parfois à l'origine de la «dislocation de familles entières», a affirmé le ministre de la Justice, garde des Sceaux. Ce dernier a appelé à l'«activation systématique» de l'action publique dès la réception d'une plainte pour harcèlement sur les réseaux sociaux, réitérant, à l'occasion, son appel aux parquets généraux et aux services de la police judiciaire, en vue de veiller à l'application de la loi. «L'action publique doit réagir automatiquement en cas d'une atteinte à la dignité des personnes sur des réseaux sociaux», a-t-il ainsi expliqué, précisant que des «agressions» sur les réseaux sociaux «commencent à prendre des proportions inquiétantes en Algérie». L'intention est globalement bonne... mais, dans la réalité, malgré les plaintes et les interventions, l'affaire ne sera point aisée... le virus ayant «rongé» la cervelle et les doitgs de bien des citoyens dans une jungle nationale de près de 30 millions d'internautes dont 19 à 20 millions de facebookers et, l'Algérie se trouvant «au centre du monde... méditerranéen, africain et sud-européen », ne peut pas se permettre, à moyen et long termes, des sanctions trop rigoureuses. On retrouve d'ailleurs les dérives de notre univers numérique dans le monde de la circulation routière et de l'utilisation du téléphone portable malgré tous les risques bien souvent mortels... et dans le monde de la télévision avec un «ciel» national envahi par des chaînes «algériennes off-shore» travaillant souvent, certaines manipulées par..., sans respect des règles minimales universelles de l'éthique et de la déontologie journalistique... et sans tenir compte des dégâts causés... et, bien d'entre-elles, «ménagées», malgré les dépassements, en raison de leur «force de frappe». Il est vrai que, juridiquement, elles sont... étrangères.