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Réflexions sur l'urbanisme
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 15 - 11 - 2018

Si on commençait par dire que l'urbanisme est plus authentique que l'architecture ! Cela irriterait plus d'un parmi ceux qui se persuadent que l'urbanisme est inutile. Pourtant ils vivent et trouvent leur compte en ville, et pour le dire autrement, il n'y a pas plus concret aujourd'hui que l'urbanisme.
Comme Louis Kahn je dis que l'urbanisme est ce que nous offrons en offrandes à la ville qui est un esprit. Comme Louis Kahn, encore une fois, qui est architecte mais aussi urbaniste!, je dis que : « Je ne mets pas en cause l'existence de la ville, non seulement parce qu'elle est là, mais aussi parce qu'elle est inévitable. Elle répond à une aspiration primordiale : celle de se rencontrer »1.
Un bref aperçu de l'urbanisme depuis la préhistoire
Depuis la préhistoire, l'urbanisme a exprimé le façonnement mental des individus ayant choisi de vivre en groupes2, d'abord dans l'urgence d'y trouver la sécurité; un peu comme les Ibadites l'ont fait, bien sûr, dans d'autres conditions dans la région du Mzab.
Au début, les agriculteurs peu éleveurs ont appris à se protéger des cueilleurs chasseurs (ou cueilleurs pilleurs !) livrés aux vicissitudes de l'existence cosmique. Comme le relève Paul Blanquart, par la symbolique du cercle, elle-même chargée d'une trifonctionnalité religieuse d'essence (à consulter les travaux de Georges Dumézil, mais réfléchir aussi sur le passage de la trifonctionnalité de la symbolique religieuse au triumvirat politique plutôt moderne !), ils disposaient concentriquement des greniers autour du centre ( Pour Paul Blanquart « le centre est une invention de l'esprit religieux ») qu'occupait (pas toujours !), d'une sorte de poto-mitan ou cimetière (espace des morts qui assurent le lien entre les profondeurs de la terre et le ciel), suivis du cercle de huttes elles-mêmes circulaires, qu'entourait une palissade de protection, elle-même entourée de champs, ensuite de pacage. Plus l'organisation à l'intérieur était performée, plus la protection, contre l'extérieur, avait des chances de réussir.
Le centre a marqué tous les urbanismes qui ont suivi. Le même esprit du centre a régi le proto-urbanisme à l'urbanisme. À ce titre nous trouvons tout à fait logique que Paul Blanquart en arrive à penser que « face aux difficultés présentes, on pourrait en effet être tenté de restaurer d'anciennes figures urbaines, de dire par exemple : il faut un centre pour faire une ville. Est-ce si sûr, quand on sait de quoi les centres (religieux et politiques) étaient, socialement et intellectuellement, chargés ?».
Plus proche de nous et nous étant familière, l'industrialisation à laquelle nous faisons porter des tas d'accusations n'a pas beaucoup écarté l'organisation des villes des schémas ancestraux (C'est le passage du centre à la centralité qui doit nous donner à réfléchir). La recherche du centre obsède les esprits, entraînant toujours le développement d'une périphérie, si bien que l'épisode Haussmann semble plus, que jamais, faire l'exception dans l'histoire de la modification de la croissance urbaine. Haussmann œuvrait sous le contrôle vigilant de Napoléon trois à faire de Paris le centre du monde !
Ceci étant dit, le grand coup de grâce de l'urbanisme moderne c'est d'avoir entre aperçu la capacité de régler les relations humaines et matérielles et de se distinguer de l'architecture qui se limite à une affaire juteuse de corporation mono spécialisée. Ce n'est qu'en prenant en compte ces éléments (et bien d'autres!) qu'on peut saisir que l'architecture sert d'appoint à l'urbanisme qui est plus holistique qu'une question d'œuvre individuelle. Dans la dimension holistique de l'urbanisme, la centralité ne peut être que l'œuvre des gens, d'un groupe, d'une société même porteuse d'un projet marginal par rapport aux institutions du pouvoir (c'est le cas un peu partout en Algérie), et non pas d'une personne. Et d'une décision politique (considérons le terme politique dans son sens étymologique très large).
L'urbanisme se révèle en tant que de l'architecture d'une échelle différente. Dessiner jusqu'à aménager une surface de 50 par 50 mètres est une architecture qui exige beaucoup de soin, une attention particulière au mouvement de la société et celui du sol en devenir.
À croire ce qui s'est écrit à propos de la ville historique, la ville se portait beaucoup mieux sans les architectes. L'architecte est un intrus, de ce fait qu'il est depuis longtemps éloigné des contraintes du vécu. L'architecte veut changer la société sans la comprendre, par mépris.
Réflexion à partir du cas d'Oran
Les gens vivent plus dans leurs têtes que dans la réalité. Celle-ci est plus mentale qu'autre chose. Les enseignes des magasins pour ne citer que cet exemple, montrent assez bien le fantasme du déracinement positif, c'est-à-dire qu'il ne faut pas voir ce déracinement comme étant négatif, et que la projection de l'étant est plus dans l'ailleurs, dans le territoire de l'autre perçu par hypocrisie comme étant hérétique, que dans un ici méphitique.
La ville algérienne connaît une refiguration culturelle, une tendance que les traditions et religions immergées dans l'ignorance favorisant la négation de soi veulent stopper, et tente une énième relation avec l'autre. Espérer l'ouverture sillonne les esprits et impose son émersion partout.
La construction de l'espace de l'Algérien connaît une véritable crise de reterritorialisation mentale par absence d'ancrage au sol (est-il nécessaire ?). En fait, tout est hors-sol, encore plus depuis l'affirmation accentuée des moyens de communication fictifs. Rien n'échappe à l'emprunt, aussi bien l'idée formulée, le concept que la manière de se coiffer.
Les Algériens subissent une quantité de traumatismes culturels mais aussi cultuels (ruptures d'anciennes traditions religieuses malgré leur récupération par le pouvoir politique (ex: la zaouïa) qui a accentué la méfiance des Algériens) et identitaires. La surdose de l'aller-au-monde a provoqué une vague violente de confusion de références et a éloigné la plupart de l'essentialité de l'environnement habité. Autrement dit les gens n'habitent plus vraiment aucun espace et sont ballotés par la force de l'inconsistance des références. Malgré la quantité culturelle envahissante, sa faible densité ne permet pas l'intégration. Les individus comme les groupes désunis sont plus que jamais étrangers à eux-mêmes. La référence très forte, ayant brûlé les frontières géopolitiques, et perdu de vue la consistance du substrat culturel traditionnel, se traduit par le recours à des tas d'images apatrides, qui in signifient la force du lieu et relativisent le rapport au changement jusqu'à le faire admettre et déclasser le conservatisme des élites. L'imaginaire d'essence linguistique, comme syntaxique, s'avère insuffisant pour exprimer le passage à une nouvelle conception de l'espace, en partie considérée jusque là comme étant inadmissible.
Giancarlo de Carlo est celui qui exprime le mieux cette dilution des sens longuement consolidés. « Que veut dire se libérer du poids des infrastructures, par exemple ? Ou plus compliqué encore: quelle est l'identité d'un lieu ? Peut-être qu'il n'y a pas de solution, qu'il nous faut apprendre à vivre dans des lieux sans identité spécifique pour nous. Peut-être faut-il apprendre à vivre dans le changement, l'instabilité, l'éphémère, dans des lieux dont le sens se modifie rapidement, dans lequel les repères se brouillent sans nous affecter. Chaque identité correspond alors à une certaine combinaison de circonstances. L'architecture dans ce cas de figure doit participer à l'émergence de ces identités circonstancielles et mortelles, qui peuvent être interprétées différemment. L'architecture doit alors parler plusieurs langages selon les combinaisons de circonstances». La crise de l'architecture est provoquée par des architectes (et d'autres spécialistes bien sûr) qui n'ont pas vu venir et n'ont pas accepté le changement de la nature de la communauté humaine et lui ont opposé leur isolement élitiste renfrogné ne serait-ce que pour exprimer leur refus du système mondial, son caractère systèmicide par rapport à l'économie planétaire et sa boulimie consommatrice. Est-il possible de faire marche arrière ?
Les gens se partagent sans le dire et ouvertement le désir de quitter leur territoire propre qui les fige et ne leur donne pas l'occasion de le transformer de l'intérieur.
Dans le cas de l'Algérien, l'externalisation de la projection et projetions de soi le renvoie à une identité non assumée, au nom d'une religion archaïsée par ignorance et une nation réduite à une identité limitée à un passeport de l'incarcération.
Le flux des images a certainement exercé son influence sur l'urbanisme et donne du fil à retordre aux autorités ayant déjà mené une action ratée contre l'appropriation des usagers de l'espace public (cas de Akid Lotfi à Oran).
La centralité que caractérise le jeu des images de certains périmètres urbains, suscite des interrogations, certes, mais n'est pas suffisante pour le moment, pour permettre de comprendre que la ville n'est plus qu'architecture au sens classique et traditionnaliste du terme.
* Architecte et docteur en urbanisme (IUP)
1 - John W. Cook et Heinrich Klotz, Questions aux architectes, P. Mardaga éditeur, 1974, p. 316.
2 - Lire à ce sujet :Paul Blanquart, Une histoire de la ville - Pour repenser la société, Editions la Découverte et Syros, 1997.


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