«Seule l'attitude pondérée permet au fermier de vendre sa toison de laine», dit la sagesse. Une toute autre nous avertit : «baie suivant une autre baie, se mange la grappe de raisin». Tout voyage utile est à en profiter à satiété, celui inutile à plutôt éviter. Manger utile vous épargne la bouchée de trop. Celle susceptible de vous provoquer le fâcheux hoquet ou la très méchante quinte pour vous contraindre à vomir tout ce que vous avez si vite ingurgité. Arrivé à un certain âge, tout être humain qui se respecte fait son bilan, et entrevoit déjà sa probable chute, son inéluctable fin. Son prochain déclin et son inévitable départ pour l'au-delà. Chez les gens sensés, on s'y prépare ou s'y affaire dès le premier soupçon de la moindre absence du reflexe instantané de nos muscles, désormais considérés comme trop lourds à la détente. Depuis la toute bénigne fuite d'une mémoire désormais peu assidue, trop confuse ou très diffuse, devenue à la longue bien poreuse, vraiment traitre ou tout juste paresseuse. A partir du moment où on n'est plus maitre de ses mouvements et parfois importantes décisions. On cherche donc à définitivement se caser dans ce tout dernier wagon des vieux objets ou très anciens meubles de la masure dont la locomotive le promène dans le seul pourtour de la maison. Tout juste pour leur faire changer d'air, d'image de la vie et de soi, leur montrant l'impact indélébile du temps sur leur santé et la distance qui les sépare du cimetière où ils doivent un jour atterrir. Aussi, afin de nous préoccuper avant tout de notre santé, limite-on au maximum nos mouvements et surveille-t-on de très près notre alimentation et hygiène de vie. Sont donc abolis à jamais de notre programme journalier : le voyage inutile et la bouchée de trop, manière à nous de nous préserver de tout éventuel compromis mettant en danger notre santé. Les plus chanceux parmi ces personnes du troisième âge se consacrent au sport, s'adonnent aux loisirs, s'investissent dans les voyages instructifs ou dans la belle littérature et la magnifique poésie. Tandis que le reste de ce monde, devenu subitement si fragile et inactif, lorgne du côté des jardins publics et des espaces verts ou encore en direction des places mitoyennes des ensembles d'immeubles urbains. A cet âge-là, ils trainent presque tous sur leurs frêles épaules et arqué dos le poids considérable du lourd fardeau de leur vie ou les séquelles d'une grave blessure de la vie ou une endémique maladie. Ils marchent comme s'ils le faisaient sur des œufs et parlent autour d'eux comme s'ils susurraient des mots doux ou demandaient gentiment un précieux concours aux âmes charitables de leur pourtour immédiat. Faute de repères sérieux et d'occupation durable, nombreux parmi eux ont le regard hagard, perdu dans les décors ou accroché à des horizons bouchés pour ne vraiment bien se retrouver que dans des souvenirs qui ne leur renvoient que les images des beaux moments de leur tendre jeunesse dont ils nous semblent ne pas avoir suffisamment su en profiter. Ceux qui ont encore l'ouïe fine et les pupilles toujours si utiles jouissent de beaucoup de privilèges, comparés à leurs semblables qui en sont plutôt démunis et qui éprouvent, eux, toutes ces pires difficultés et peines du monde à se frayer du chemin ou autres contraintes à reconnaitre des voix pourtant très familières, en l'absence d'un quelconque guide improvisé ou d'un interprète volontaire et commis d'office ou même un drogman commis à titre gratuit. Toutefois, de ces voyages plus haut cités et de ces nourritures-là, faisant intentionnellement dans l'excès, il existe manifestement ceux qui exigent des personnes âgées de tenter encore d'autres aventures comme s'ils croquaient encore la vie à pleines dents ou qu'ils jouissaient toujours de leur force physique et mentale d'antan. C'est donc à un exercice des plus ardus et des plus fastidieux ou périlleux qu'ils seront soumis et tout le temps mis à l'épreuve dans leur devoir de vaquer sans bien souvent réussir- à leurs toutes nouvelles occupations. Au manque de reflexe utile plus que flagrant s'ajoutera cette très difficile faculté à toujours se projeter vers l'avant, gymnastique qui les hante si souvent, car tous persuadés que l'effort à entreprendre n'est plus dans leurs cordes ou à leur portée. Le risque à encourir dans cette aventure est vraiment très grand ! Quels qu'en soient par ailleurs les calculs préalables ou les projections faites, bien avant même de se porter candidat à cette véritable expédition. Quant à le faire pour gérer tout un peuple et une situation jugée alors par trop compliquée ou des plus inextricables, sinon des plus explosives pour un pays qui peut (laisse-on entendre çà et là) basculer dans l'inconnu, la dose de courage extraordinaire comme la prétention exagérée ajoutées à l'égo démesuré sont seules à même de le persuader de marquer le pas ou encore le décider à augmenter la cadence. Ce préambule nous renvoie à la fin des années quatre-vingt-dix du siècle dernier. L'Algérie venait de renouer avec un semblant de « légalité institutionnelle » pour sauver cet apparat du pouvoir de l'époque, voulant plus que jamais, rapidement s'écarter du « cliché dictatorial » qu'il trainait comme un vrai boulet depuis un certain temps déjà. En dépit des soupçons qui pesaient si lourdement sur l'élection de Liamine Zeroual à la présidence de la république, on ne lui contestait paradoxalement tout de même pas ce quitus à gérer avec le pays, étant probablement l'une des rares voies à pouvoir nous éloigner définitivement du spectre de la grave situation de trouble qui l'avait précédé. Avec ce retour à une présidence à tête unique qui remet au placard et à l'histoire celle dite collective (le HCE*), tout le monde pensait que l'Algérie avait enfin quitté cette zone dangereuse de turbulences et abandonné à jamais ce sombre tunnel où elle avait sombré plus d'une décennie durant. Avec Liamine Zeroual à la tête de l'Etat Algérien -faute de mieux, sinon avec une bien réelle conviction chez certains opportunistes nouveaux du moins-, quelque chose nous dictait ou signifiait que le pays revenait de si loin à un bien meilleur niveau, pour tenter ensuite de faire ce saut impératif qui le fera basculer dans le bastion de la véritable démocratie, en guise de recoller les morceaux d'une fin de tragédie qui avait si longtemps duré. On en était encore là, presque tous accrochés à cet espoir fou de voir l'Algérie de nouveau regagner sa place de choix qu'elle n'aurait jamais dû quitter parmi ce peloton des pays du monde qui aspiraient au progrès de leur peuple et à un meilleur avenir de leur Nation. On sentait déjà les plaies de la grave crise se cicatriser, les tensions s'atténuer, les tendances se rapprocher, les différents s'amenuiser, l'humeur belliqueuse s'estomper, de nouveaux horizons se dégager, de véritables lueurs d'espoir venir très tôt nous réveiller au pied du lit Bref, une nouvelle page de notre Histoire s'écrire avec les meilleures plumes et érudits esprits des enfants les plus doués et les mieux engagés du peuple Algérien. Tout cet esprit-là agissait dans une batterie d'ondulations de sons d'un même accordéon qui livrait, en fait, en public une seule et unique musique, celle de la concorde et de la réconciliation des citoyens Algériens entre eux et avec leur Nation et culture ancestrale. On manquait vraiment de sous mais pas de cette bien réelle volonté et surtout d'arguments à faire valoir en vue de faire arrimer le navire Algérien à bon port, afin de lui faire éviter les reflux de ces hautes vagues, nées d'une tempête quelque peu imprévue et dévastatrice. Nous étions au mois de septembre, et il faisait encore beau en ce début de l'automne de l'année 1998. Le sang des Algériens commençait à être épargné. En dépit des caisses du trésor public plutôt vides, l'Algérie semblait se remettre petit à petit de sa tragédie. Le calme et la tranquillité revenaient au pays après une terrible décennie qui devait enfanter la bête immonde. Le pays respirait l'air pur à pleins poumons, enfin. Le citoyen refusait de céder à cette fatalité de voir le pays sombrer dans le chaos. Jour après jour, l'Algérie relevait la tête de l'eau. Tout laissait pourtant entrevoir que la solution envisagée était celle sui correspondait le mieux à l'éradication d'un mal qui avait trop duré. On vivait donc sur ce nuage-là, symbole de notre quiétude du moment. Mais telle une véritable apocalypse, une autre tempête (simulée celle-là) nous secoua très fortement ! A coup de grandes manchettes et autres sulfureux commentaires à l'appui, une dépêche de l'inamovible APS (Agence de Presse officielle) nous annonçait brusquement la démission-surprise du Président Liamine Zeroual, suivie de l'organisation d'élections présidentielles anticipées dans les six mois à venir. Ce fut donc assez suffisant pour expliquer les différents et autres remous intervenus en haut lieu de la sphère du pouvoir de l'été finissant. Connaissant le régime et ses pratiques saugrenues, le plus lambda des citoyens était convaincu que cette démission était provoquée. Car rien ne pouvait présager d'un tel scénario tant que le terrain de vérité lui-même ne pouvait en renvoyer le moindre écho. Ainsi donc la « boite noire » livrait au peuple Algérien le produit de sa « nouvelle invention » de la veille et toute récente création, longtemps testée au sein de « ses plus sophistiqués laboratoires ». Il ne leur manquait plus que l'appât approprié à trouver en vue d'embobiner le tout et de « peaufiner la stratégie de la sémantique à adopter » en vue d'entrainer le peuple dans ce jeu de dupes qui consiste à démontrer sous le voile d'élections truquées « une toute autre pratique démocratique » du pouvoir qui portrait sur le podium leur poulain préféré. Celui si minutieusement choisi, pensant avec berner à la fois et le peuple Algérien et les candidats à la magistrature suprême de la trempe d'un aussi grand calibre que furent les Ait Ahmed, Mouloud Hamrouche et leurs semblables. La recette du pouvoir de l'ombre était plutôt prête à l'emploi et depuis longtemps déjà. Seule la façon d'administrer la pilule posait encore problème quant à sa graduelle programmation dans l'espace et dans le temps. Que cherchait-on au juste ? Que reprochait-on vraiment à Liamine Zeroual ? Et qu'a-t-on trouvé de si particulier chez son potentiel successeur ? Ou encore, dans quel but faire démissionner Zeroual et pourquoi donc lui substituer un candidat qui avait déjà quatre ans auparavant refusé cette même proposition ? Tous les tenants et les aboutissants de la problématique du départ précipité de Liamine Zeroual et de l'arrivée impromptue de son remplaçant découlent de source des réponses en série à donner à ces questions qui s'enchevêtrent, s'entrecoupent, s'entrechoquent, s'entremêlent, mais qui se tiennent, se maintiennent, se soutiennent très fermement et se complètent finalement entre elles, forcément, pour dessiner le même tracé à emprunter et tendre vers le même raisonnement et finalité. Celles colportées, non sans aucun intérêt très particulier, comme celles juste insinuées sans être complètement dénuées de sens et surtout visées dans les discours de la haute cour, ou encore celles à moitié tues sans en être pourtant librement révélées dans cette autre moitié avouée ou livrée au public, les résument toutes à deux raisons-clefs : - Le soutien inconditionnel (surtout extra-muros) à apporter au régime en place, - L'usage du verbe « très diplomatique » qui aide à rapidement dépasser la crise qui s'installait dans la durée. Réunir ces deux si indispensables qualités ne semblait pas au sein de ces cercles influents du pouvoir qui géraient dans l'ombre le pays- vraiment à la portée de celui qui était pourtant « élu par le peuple » à cette haute fonction étatique. Dans les coulisses des salons feutrés, on lui préfèrera donc celui qui s'est débiné sur le champ ou qui s'en est détourné des années plus tôt. Sans doute charmés par son verbe osé ou encore vraiment séduits par ses fines analyses, en dehors de l'essaimage important des relations qu'il a tissées à travers tous les coins du monde durant son très long bail diplomatique, l'homme providentiel leur semblait tomber du ciel. Un véritable Don du Ciel ! On pensait tenir en lui ce « sauveur d'une République » qui partait tout droit à la dérive. Avec l'interruption du processus électoral, conjuguée à l'assassinat du Président Mohamed Boudiaf auquel venait s'ajouter ce spectre du « Qui tue qui ?!» insistant des organisations des droits de l'homme, la situation il est vrai- était des plus tendues mais très complexe aussi. Mais pas au point de complètement chambouler l'ordre des choses, plutôt très difficilement abouti. Le risque à prendre était bien grand. Et sur tous les plans ! Le virage à faire, des plus dangereux ! Mais pour un pays qui se nourrit paradoxalement de ses propres contradictions pour pouvoir survivre, la chose paraissait le plus logiquement du monde s'inscrire dans un vieil agenda où tout mouvement est circonscrit à la source bien avant même de se propager en système de revendication, et que tout se décide si honteusement dans le dos du peuple sans jamais pour autant l'associer à ce qui se fait en son nom. Pour ne pas avoir à subir l'évènement politique susceptible de l'exclure hors des cercles du pouvoir, cette « boite noire » qui dirige de derrière le rideau les affaires du pays fait de son mieux pour toujours elle-même le provoquer. Elle-même l'expérimenter dans son labo, bien avant de le tester à travers des ballons de sonde et ensuite le lancer en public et dans les faits. En tant que véritable locomotive invisible, elle s'assure à tout moment de la consistance de son long attelage, vérifiant à tout instant le nombre de ses wagons, leur disposition, leur synchronisation, l'identité de leurs nombreux occupants et tout sages voyageurs, leur état de santé, d'anxiété, d'inquiétude, d'aptitude, de suspicion, de soumission, de résignation, d'appréhension, d'appréciation C'est dans cet esprit que le scénario fut alors engagé. Mais vingt ans plus tard, ce même régime, avec à sa tête pratiquement les mêmes hommes ou dirigeants d'hier et d''autrefois peine énormément à trouver la bonne formule qui le met à l'abri d'une nouvelle imprévue et méchante secousse ou une vraiment très dangereuse tempête. Qu'y a-t-il de changé pour que ce statu quo ne puisse être dépassé par ceux-là même qui dictaient au peuple son Quotidien et lui traçaient son Avenir ?