Les participants de «La rencontre d'Alger», invités à s'exprimer sur «l'urbanisme et la ville » et sur le projet «Djisr El-Djazair» qui a eu lieu , avant-hier, au Musée d'art moderne d'Alger «Le Mama», n'ont pas exclus du débat, ni la polémique sur la revitalisation de la Casbah, ni celle relative à la création d'un pont sur la Baie d'Alger. Pourquoi on parle de polémique alors que le projet de «Djisr El Djazair» est encore au stade d'idée ou plutôt d'un concept en voie de maturation ? Parce que, tout simplement, « les puristes » si on ose dire, ont déjà créé une page Facebook pour s'opposer d'ores est déjà, au projet de «Djisr El Djazair». Avec un titre : « Non à un projet qui gâche la baie d'Alger » et « Préservons la baie d'Alger contre les ponts de Djisr el Djazair' ». Ce projet d'envergure porte sur la réalisation d'un pont avec trois pénétrantes, sous forme d'Y, avec deux bras (un bras qui fait 10 km et un autre de 7 km). Ce « Djisr » disposera de trois points focaux, El Marsa (Tamentfoust), El Kettani (Bab el Oued) et le Jardin d'Essais (par la voie des Annassers). Avec un quatrième point d'ancrage sur mer, une île artificielle flottante qui est le pivot central du projet. Il y aura, en outre, d'autres stations modernes avec des connexions maritimes tissant des liens entre l'est et l'ouest d'Alger. Les deux initiateurs du projet, un couple d'architectes, Sihem et Nacym Baghli, soutenus par les autorités de la wilaya d'Alger et qui s'autoproclament, eux aussi, des puristes d'Alger, ont précisé lors d'une conférence de presse, tenue en marge de cette rencontre, que le pont ne gâcherait nullement la baie d'Alger. M. Baghli affirme que la préservation de la baie d'Alger « est une chose à laquelle on tient vraiment ». Au contraire, précise-t-il, « selon des océanologues, les risques sur la Baie sont pesants, et justement pour préserver cette baie, il faut l'occuper, il faut faire d'elle un territoire ». Et de préciser qu'on ne doit pas rester dans la position « on ne touche pas à ça », au contraire affirme-t-il « on doit réaliser des projets audacieux que ce soit à Alger ou dans d'autres villes algériennes. En poursuivant « des choses audacieuses ont été faites, dans le passé, la Casbah c'est bel et bien un projet avant-gardiste ». Et d'insister « il est de notre devoir de réaliser des projets modernes sur le plan urbanistique et historique pour laisser des patrimoines reflétant notre temps, pour les générations futures ». Le conférencier a tenu à préciser que ce grand projet peut être réalisé en cinq ans, si des investisseurs publics et privés s'engagent pour embarquer, dans cette aventure. Il dira en outre, que vu la complexité et la taille du projet, il doit être porté par l'Etat et pourquoi pas avec un investissement dans le cadre d'un partenariat (public-privé). En réponse à une question d'une journaliste du journal «Le Monde», sur le projet de revitalisation de la Casbah qui devrait être chapoté par l'architecte français, Jean Nouvel, qui a suscité une vive polémique, les conférenciers ont déclaré qu'ils ne sont ni pour, ni contre. Ils ont affirmé en toute transparence, qu'ils ont déjà rencontré l'architecte français, Jean Nouvel. « D'ailleurs, il a été même invité à cette rencontre, mais pour des raisons d'agenda, il n'a pas pu être parmi nous », explique l'architecte Nacym Baghli. Et de préciser « tout ce qui peut susciter de l'intérêt pour la ville d'Alger et toutes les villes d'Algérie, est une chose positive ». Il dira « il n'y a pas pour nous -pour et contre, ou bon et mauvais-, ce genre d'initiative ne peut que faire avancer les débats sur l'urbanisme et la ville ». Et de fermer la parenthèse en précisant « on n'a aucune appréhension pour des actions ou pour des collaborations avec des architectes ou des spécialistes d'urbanisme étrangers de renom qui peuvent faire avancer le débat en faveur de la ville ». «On n'a pas besoin de ponts physiques mais des ponts vivants» Ce qu'a proposé l'historienne et l'architecte, Samia Henni, est l'élaboration d'une étude sur ce projet qui ne doit pas se faire par une vue aérienne retraçant les zones, les formes et les couleurs, mais plutôt « une stratégie et des tactiques d'en haut et d'en bas ». Elle explique « d'en bas, il faut d'abord analyser les besoins des quartiers limitrophes, il faut savoir aussi comment ces quartiers vont pouvoir se développer, comment tisser des liens entre ce projet et ces quartiers, une sorte de toile d'araignée qui permet de créer des vies culturelles, économiques, sociales, et technologiques ». Et de préciser « qu'on n'a pas besoin de ponts physiques mais des ponts vivants ». Elle ajoute que toutes les villes du monde ont des ordres et des désordres, il faut juste leur inclure des stratégies urbaines qui répondent, en premier lieu, à des besoins locaux et en s'appuyant sur des bases écologiques. Samia Henni, maître de conférences en Histoire de l'architecture et de l'urbanisme, à l'Université de Cornell Gonzalo Herrero, aux Etats-Unis, a été parmi les 400 signataires des deux rives de la Méditerranée, qui ont adressé une lettre ouverte, à Jean Nouvel, à propos de la convention tripartite que celui-ci a signée avec la wilaya d'Alger et la Région Ile-de-France pour « revitaliser » la Casbah d'Alger. Contestant ainsi sa désignation pour la restauration de la Casbah. Justement, l'Historienne et architecte Samia Henni est en train de finaliser la traduction, en français, de son livre (écrit en anglais) « l'architecture de la contre-révolution de l'armée française dans le nord de l'Algérie » qui sera sur les étals, dès le mois d'octobre prochain. Un livre qui retrace l'intersection des pratiques coloniales, en Algérie. Plutôt, les opérations militaires dans l'urbanisme du territoire. L'écrivaine a ainsi mis en relief à travers son livre, comment l'armée française avait, à travers, l'architecture et l'urbanisme ordonné et dicté des comportements, pour contrôler les populations civiles. En citant, les camps de regroupement dans les zones rurales, le plan de l'Habitat de la ville de Constantine, la politique de décentralisation, la construction de nouvelles villes à des fins d'industrialisation, « tout ça a été fait juste avant l'indépendance, donc c'est une période qui nous intéresse directement, puisque ce sont des politiques qui ont dû et ont pu continuer après l'indépendance » dira, Mme. Henni. En précisant que ce livre peut être très opérationnel puisqu'il fait une lecture assez critique (le pourquoi et le comment) et quelles sont aussi certaines conséquences de ces politiques d'urbanisation militaire, justement pour éviter de tomber dans les mêmes erreurs.