Au 8ème vendredi des marches populaires, les images de heurts violents entre des marcheurs et les forces de police sont venues bouleverser une situation politique qui frôle l'impasse. Des centaines de jeunes couraient dans tous les sens tout au long du boulevard Mohamed V, des ruelles avoisinantes et de la rue Didouche Mourad, renversaient des poubelles sur leur chemin et se retournaient pour lancer des pierres et autres objets sur les forces de l'ordre qui les repoussaient à coups de jets d'eau et de gaz lacrymogène. Les nombreux policiers s'étaient déployés, tôt le matin, notamment sur des places et avenues où les manifestants ont pris l'habitude de se rassembler, depuis le 22 février dernier. Le dispositif sécuritaire mis en place par la DGSN (direction générale de la Sûreté nationale) était très impressionnant, ce vendredi. Il est vrai que les camions anti-émeutes et les brigades d'intervention des services de Sécurité ne quittent plus la capitale. Ils sont disposés de façon à encadrer Alger depuis ses différentes entrées. Mais le vendredi dernier, «l'étincelle» qui devait être évitée n'a pu l'être. Elle a pris de cours les centaines de milliers de manifestants, notamment, ceux qui se trouvaient dans le tunnel des facultés, à Place Audin, sur le boulevard Mohamed V, la rue Didouche, vers la fac et la Grande Poste. A la surprise de tout le monde, les policiers ont dirigé leurs jets d'eau et lancé des bombes lacrymogènes sur une foule dense où se côtoyaient, comme tous les vendredis, hommes, femmes, vieux, jeunes et enfants. Ils l'ont fait à Place Audin, sur le Boulevard Mohamed V et la rue Didouche. La DGSN s'est empressée de démentir catégoriquement l'utilisation de gaz lacrymogènes au niveau du tunnel des facultés, comme signalé par la LADDH. La police a affirmé dans le communiqué qu'elle a rendu public dans la soirée du vendredi qu'elle a «un contrôle parfait des moyens légaux du maintien de l'ordre (...)», et dément formellement l'utilisation de gaz lacrymogène dans des espaces confinés (comme le tunnel des facultés)». Hasard ou similitude d'agendas ? Mais il est évident que même s'ils n'ont pas été utilisés dans le tunnel, les gaz lacrymogènes pouvaient s'y propager dangereusement. Selon des sources policières, «il fallait agir vite pour faire partir les gens et éviter que de dangereux perturbateurs puissent accomplir leurs méfaits». Dans le premier communiqué qu'elle a rendu public, dans la journée du vendredi, la DGSN a fait savoir que «des étrangers venus spécialement pour attiser les tensions et pousser les jeunes à recourir à des formes d'expression radicales, en vue d'exploiter leurs images via les médias et sur les réseaux sociaux, ont été identifiés et interpellés, et leurs desseins dévoilés.» Elle expliquera, ainsi, qu'elle a déjoué «un attentat terroriste (...), un complot». Ses services affirment avoir procédé à l'interpellation de 183 individus. Ils ont fait état de 83 policiers blessés et évacués vers l'hôpital central de la Sûreté nationale. Les violents heurts entre des centaines de jeunes et les policiers n'augurent rien de rassurant. Ils démontrent que les marches pacifiques peuvent dégénérer à n'importe quel moment sous les pressions de milieux hostiles à la stabilité et qui veulent contraindre le principe d'un «changement dans la sérénité». Faits du hasard ou interaction entre agendas précis, ce même vendredi, le président soudanais El Bachir venait d'être renversé par un putsch militaire et placé dans «un lieu secret» L'armée avait décrété l'état d'urgence mais les foules nombreuses ont tenu à exprimer leur joie, le soir même de ce changement. Elles réclamaient «le départ immédiat de tous les symboles du pouvoir». Les rues dans toutes les villes algériennes le font depuis près de deux mois. Les foules font du départ des quatre B (Bensalah, Belaïz, Bedoui et Bouchareb) une condition, sine qua non, à tout changement de ton de leur part. Mais l'on sait que les noms de ceux qui ont côtoyé, servi et se sont servis surtout, du système, ne commencent pas tous par B. Les lettres de l'alphabet sont nombreuses tout autant que le nombre des hommes du système. La rue ne risque pas de se calmer de sitôt. Impasse politique Aujourd'hui, les yeux sont rivés vers les Tagarins. Le général de corps d'armée, vice-ministre de la Défense, le chef d'état-major de l'ANP n'a pas encore réagi à ce qui s'est passé vendredi dernier. Il a, certes, répété dans toutes ses sorties médiatiques qu'il n'est pas prêt de sortir du cadre constitutionnel pour trouver une solution à la crise politique du pays. Mais les voix qui s'élèvent veulent qu'il le fasse. Certaines d'entre elles, bien connues, appellent les membres du Haut Commandement de l'Armée à se révolter contre lui. En parallèle, de nombreux analystes proposent une solution politique qui oblige au départ des quatre B, la dissolution du Parlement et de toutes les assemblées élues nationales et locales, et l'ouverture d'un dialogue avec la classe politique pour choisir des personnalités et constituer une instance indépendante d'organisation, de contrôle et de suivi des élections présidentielles à venir. Ce qui n'est pas dit, c'est qui dialoguera avec qui et si la rue va accepter les personnalités qui seront choisies, sachant que jusqu'à l'heure actuelle, aucun nom ne fait le consensus. Aucun parti n'a encore répondu à la proposition de Bensalah de discuter sur un tel projet. Les candidatures aux élections présidentielles, du 4 juillet prochain, ne se bousculent pas. Les magistrats ont déjà fait savoir qu'ils boycottent la révision des listes électorales. Dans cette impasse politique, le bras de fer risque d'opposer la rue et le chef d'état-major de l'ANP. Des pancartes ont déjà été brandies, les premiers vendredis, pour exiger son départ. L'insistance sur le renvoi des quatre B ou trouhou gaa' sont des signes évidents de confrontation qui cherchent à le pousser dans ses derniers retranchements. Les prochains jours ou heures vont montrer qui des deux parties va céder la première. Tout dépendra de comment va évoluer la contestation et si les relais tapis dans l'ombre la laisserait toujours selmia.' Les révoltes font rage, aujourd'hui, au niveau des partis politiques, de l'UGTA, des associations et autres groupes d'intérêts. Tous les espaces professionnels, sociaux, éducatifs, culturels et même sportifs sont ébranlés par la contestation. Ils exigent tous des comptes «rétroactifs» depuis que le chef d'état-major de l'ANP a promis la réouverture des dossiers comme El Khalifa, Sonatrach et El Bouchi. Les vieux démons, de tous bords, reprennent vie avec force et vigueur pour arracher une place dans l'après-Bouteflika.