L'appel de Abdelkader Bensalah à «une conférence de dialogue et de concertation» pour le lundi prochain, essuie depuis le jour de son lancement, une cascade de rejets par des partis politiques et des personnalités issus d'horizons divers. Le chef de l'Etat a lancé jeudi dernier, une invitation «au dialogue et à la concertation» à une centaine de personnes représentant des partis politiques, des organisations, des associations de divers milieux, le mouvement populaire et d'autres, des personnalités politiques et des hommes de loi. Bensalah veut les rencontrer pour «trouver une solution à la crise» et aussi pour leur proposer de «s'entendre sur la mise en place d'une commission d'organisation et de surveillance des élections présidentielles du 4 juillet prochain.» Le MSP de Makri, le FJD de Djaballah, le FNA de Touati, les Indépendants, la LADDH, des hommes de loi, et de nombreux autres partis et personnalités ont tous décliné cette invitation parce que, disent-ils tous, «Bensalah est illégitime, on ne lui fait pas confiance, il doit partir.» L'on se demande sur la base de quels critères a-t-il pensé nécessaire de recevoir, jeudi dernier, Abdelaziz Ziari, Abdelaziz Belaïd et Miloud Brahimi. Il a certainement voulu rencontrer d'autres mais il a essuyé des refus. Ce qui est curieux, c'est que ceux qui rejettent les offres du système en ont eux-mêmes fait partie sous différentes casquettes. Et ils ne l'ont quitté que lorsqu'ils en ont été chassés. Les petits partis créés au temps de Bouteflika, pour ne citer qu'eux, en savent beaucoup sur cet enchevêtrement de rôles et de situations. Ignorant les milliers de voix qui lui demandent de démissionner depuis plusieurs semaines, le chef de l'Etat semble appliquer -tête baissée- une feuille de route sans pour autant penser à la réalisation ou non des objectifs qui lui sont assignés. Les réflexes ont la vie longue même s'ils sont en total décalage avec les bouleversements de la scène nationale. Bensalah doit certainement savoir que ceux qui exigent son départ ne vont pas baisser les bras de sitôt. S'il semble imperturbable, c'est parce qu'il est connu pour avoir été et être toujours un bon exécutant, discipliné, obéissant et docile. Le dernier rempart «constitutionnel» de Gaïd Salah Le Haut commandement de l'armée ne se départira pas facilement d'un homme qui applique à la lettre ses instructions. Il ne partira pas sans qu'il ait l'aval du chef d'état-major. Pas plus tard que mercredi dernier, Ahmed Gaïd Salah a encore réitéré «l'engagement de l'Armée Nationale Populaire d'accompagner les institutions de l'Etat durant cette transition, tout en soulignant que toutes les perspectives possibles restent ouvertes afin de surpasser les difficultés et trouver une solution à la crise dans les meilleurs délais, car la situation ne peut perdurer davantage, vu que le temps nous est compté.» Dans ce contexte, Gaïd considère que la seule institution civile légale est celle que représente Bensalah. C'est son dernier rempart constitutionnel. Pourtant, il serait illusoire de croire que la conférence du lundi se tiendra avec les honneurs de tous ceux qui appellent depuis 9 vendredis consécutifs au départ des 4 B. La rue n'a rien à perdre. Elle tiendra «le coup» du rassemblement tant qu'elle croit que c'est encore nécessaire de le faire. L'on voit bien qu'elle ne se lasse pas d'exiger «le départ des symboles du système» par son incessant «yrouhou gaa» sans s'inquiéter aucunement de présenter des alternatives convenables. Son rôle est d'en refuser et non pas d'en donner. Jusqu'ici, elle a bien travaillé dans ce sens mais n'a pas encore été initiée à la construction d'«un consensus sur des personnalités précises» pour se faire représenter auprès de l'institution que le général de corps d'armée, vice ministre de la Défense, le chef d'état-major de l'ANP maintient - contre vents et marées- comme seule institution habilitée à «dialoguer et se concerter» avec tout le monde. Il est clair que Gaïd Salah remanie sa feuille de route au jour le jour, selon l'intensité du «hirak» et les réactions de tous ceux qui trouvent toujours à redire à toutes ses initiatives. Alger est devenu ce pouls qui rythme les battements de la rue, des réseaux réels et virtuels, et qui renseigne sur la direction «des vents.» Ce qui est sûr, c'est que le bras de fer engagé entre lui et l'ex-patron du DRS durcit de jour en jour. Les réseaux internes et externes de Toufik sont bien organisés et ont les moyens qu'il faut pour mettre Gaïd Salah mal à l'aise et surtout lui fermer tous les horizons qu'il tente d'ouvrir. Latente depuis de longues années, la guerre entre Gaïd et Toufik est aujourd'hui déclarée. Le règne des dangereuses interconnexions Si Gaïd Salah s'en tient à la menace contre l'ex-patron du renseignement, c'est qu'il n'est pas facile pour lui d'anéantir un règne d'interconnexions profondes, larges, fortes et solides. Interconnexions où se côtoient des clans, des militaires, des politiques, des hommes de loi, des intellectuels, de grosses fortunes, des tribus, des régions, des réseaux internes et externes. Les promesses faites par le chef d'état-major à la rue d'ouvrir tous les dossiers de corruption ne sont pas faciles à tenir. L'on sait que des hommes d'affaires sont convoqués (certains emprisonnés comme Ali Haddad) sans qu'aucune plainte n'ait été déposée contre eux. C'est, dit-on, la justice qui s'est autosaisie après s'être contentée pendant très longtemps et sans rechigner, d'agir sur instructions «venues d'en haut». Mais l'ouverture de ce genre de procès va provoquer des entrechoquements entre des intérêts colossaux. Censés répondre à la fameuse question «d'où détiens-tu ça ? (Min aina laka hadha ?)», les détenteurs de grosses fortunes sont appelés aujourd'hui à défendre des positions qui ne sont pas uniquement les leurs. Le tweet de Rebrab après son audition par la gendarmerie nationale montre, en tout cas, que ça part dans tous les sens. A moins que le patron de Cevital a voulu sciemment introduire le doute sur une campagne de «lutte contre la corruption» que le chef d'état-major défend dans chacune des ses interventions, pour dit-il, répondre aux revendications du peuple. C'est une véritable guerre de tranchées qui va être menée en parallèle à celle ouverte entre Gaïd et Toufik. L'argent qui a coulé à flots durant toutes ces années en sera véritablement le nerf pour régler des comptes. «Les fortunes colossales qui ont été amassées jusque-là ne seront jamais cédées sans provoquer des fractures douloureuses pour le pays,» soutiennent des analystes. Après son appréciation de ce 9ème vendredi du «hirak», Gaïd Salah attendra le lundi prochain pour voir qui viendra et qui ne viendra pas chez Bensalah. En soulignant mercredi dernier que «toutes les perspectives possibles restent ouvertes», il semble avoir d'autres solutions qui lui feraient gagner du temps pour pouvoir encadrer la situation comme il l'entend. Il refuse ainsi de perdre pied face aux pressions qu'exercent sur lui ses antagonistes de l'ombre pour l'amener à conclure des compromis qu'il sait dangereux. L'on s'attend d'ailleurs à ce qu'il implique le Haut Conseil de Sécurité pour tenter de mettre en place une instance collégiale de transition et ce, en remplacement de Bensalah. Nos sources pensent que «la situation n'est pas aussi simple qu'on le pense, sa complexité fait craindre le pire.»