Le juge d'instruction du tribunal militaire de Blida a placé, hier, sous mandat de dépôt Saïd Bouteflika, le général Mohamed Mediène et le général Bachir Tartag pour «atteinte à l'autorité de l'armée et complot contre l'autorité de l'Etat». Dans le communiqué qu'il a rendu public hier après-midi, le parquet du tribunal militaire de Blida a ainsi affirmé que Saïd Bouteflika, le général Mohamed Mediène dit Toufik et le général Bachir Tartag ont été placés sous mandat de dépôt et mis en détention préventive pour les chefs d'inculpation «atteinte à l'autorité de l'armée et complot contre l'autorité de l'Etat». Saïd Bouteflika, frère de l'ex-président de la République et son conseiller pendant ses quatre mandats présidentiels, le général Toufik, ex-patron du DRS limogé par le président Bouteflika en 2005, et le général Bachir Tartag qui l'a remplacé au même poste ont été arrêtés avant-hier, samedi, par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et emmenés au tribunal militaire. Ils ont été entendus tous les trois par le juge d'instruction près le tribunal de Blida qui les a placés sous mandat de dépôt et incarcérés à la prison militaire de la même ville située à une cinquantaine de kilomètres d'Alger. Si pour les deux généraux il est normal qu'ils comparaissent devant une juridiction militaire, pour Saïd Bouteflika, cela a paru étonnant pour beaucoup. Les juristes expliquent que les chefs d'inculpation retenus contre lui relèvent de la sécurité de l'Etat et donc seule une Cour militaire a la compétence de l'entendre et de le juger. En clair, Saïd Bouteflika et Toufik sont accusés de «haute trahison». Des hommes de loi l'affirment et estiment même qu'il faudrait ajouter à cela «trafic d'influence, association de malfaiteurs, usurpation de fonction qui aussi pèsent lourdement notamment sur Saïd B.». Ce sont, expliquent-ils, des chefs d'inculpation dont le jugement relève d'un tribunal civil. C'est ce qui les laisse d'ores et déjà penser qu'après avoir comparu devant le tribunal militaire de Blida, Saïd Bouteflika risque d'être amené devant le tribunal de Sidi M'hamed pour répondre de ces faits. Les rapports entre Gaïd et Toufik étaient exécrables Pour le cas de Toufik, le chef d'état-major s'est déjà prononcé sur son sort. Il a affirmé publiquement il y a quelques jours que l'ex-DRS tenait des réunions secrètes pour comploter contre le pays avec l'aide de réseaux internes et étrangers. Gaïd Salah a précisé qu'il a «des preuves concrètes contre lui» et l'a d'ailleurs menacé de «représailles au cas où il n'arrêterait pas ses conspirations». Le vrai-faux communiqué paru le mois dernier faisant état d'une réunion entre Zeroual,Toufik, Saïd et des agents secrets français et le communiqué de l'ex-président de la République, Liamine Zeroual, qui s'en est suivi, ont selon des observateurs préparé le terrain à l'arrestation de Saïd et Toufik. Des proches rappellent au passage que «le contact n'a jamais été rompu entre Zeroual et Toufik». Il serait utile, par ailleurs, de rappeler qu'entre Gaïd et Toufik, l'ex-DRS, les rapports étaient exécrables. La guerre de leadership entre eux faisait rage sous Bouteflika. Les échos de mésentente entre Gaïd et Saïd Bouteflika ont été distillés en 2005, lorsque le président de la République était hospitalisé au Val-de-Grace en France. L'on rappelle qu'à l'époque, tous pensaient que le président allait décéder et qu'il fallait lui trouver un remplaçant en urgence. Gaïd Salah pouvait, disait-on, accepter Abdelmalek Sellal alors 1er ministre, mais aurait juré sur tous les cieux qu'il ne laisserait jamais passer Saïd. L'on pense aussi aujourd'hui que c'est Hamid Melzi, le PDG des résidences d'Etat Sahel, limogé récemment, qui aurait contribué à faire précipiter l'arrestation de Saïd Bouteflika et Toufik. Arrêtés en même temps que son fils et ses deux secrétaires, Hamid Melzi est, dit-on, retenu dans la caserne Antar de Ben Aknoun. Il est ce parfait «captif» qui détient tous les renseignements possibles et imaginables sur l'ensemble des responsables passés et présents pour les avoir tous servis. C'est d'ailleurs pour être «le fichier» du régime depuis les années 90 que Melzi a pu déjouer toutes les tentatives de sa destitution du poste de Club des Pins. Il avait même réussi à élargir son hégémonie à l'école du tourisme de Aïn Beniane et à certaines chaînes étrangères luxueuses d'hôtellerie installées en Algérie, le tout avec la bénédiction du pouvoir en place civil et militaire. Des arrestations conformément «aux articles 7 et 8» Hier, Ahmed Gaïd Salah a réussi à faire incarcérer trois têtes du régime. Saïd Bouteflika en est la plus grosse même si elle n'a pas l'âge «professionnel» des deux autres. Dès la destitution de son frère, il a été désarmé, privé de téléphone et de sa garde sécuritaire et placé tout de suite en résidence surveillée à Zéralda. Les choses sont allées très vite pour lui et les accusations auxquelles il doit répondre sont très lourdes. La justice militaire rejoint donc celle civile et ouvre «des dossiers» qui semblent avoir pris un temps record pour leur constitution. Des juristes estiment que la justice civile et militaire agissent «conformément aux articles 7 et 8 de la Constitution, elles répondent aux doléances du peuple». Puisque le «hirak» exige que des têtes bien en vue soient jugées et condamnées, «il faut le faire sans réfléchir aux procédures», ajoutent-ils. Le chef d'état-major l'a d'ailleurs souligné la semaine dernière en jugeant que le temps presse et qu'il n'est plus question d'attendre que l'appareil judiciaire change les procédures en vigueur. Il faut croire que le 11ème vendredi de contestation ne l'a pas trop rassuré. L'histoire retient que le nom de Gaïd Salah a brillé sous Bouteflika alors président de la République. A l'époque de sa nomination à la tête de l'état-major de l'ANP, beaucoup ont pensé qu'il était non seulement docile mais incapable de refuser tout ce qui pourrait être décidé à tous les niveaux. Ce qui n'a d'ailleurs pas été faux puisqu'il vivra et assistera sans mot dire à toutes les étapes de nominations civiles et militaires, de destitutions, de restructurations du DRS, d'alliances contre nature, d'apports et d'injections d'argent sale dans les affaires de l'Etat et dans les rangs partisans du pays, les grosses affaires de corruption, l'utilisation des crédits de l'Etat pour l'enrichissement de la nomenklatura... Il est curieux que le passage devant le juge militaire de Saïd Bouteflika, Toufik et Tartag n'ait pas été ébruité et ils ont pu ainsi échapper aux injures et insultes des citoyens. Parce que pour tous ceux qui ont été arrêtés et emprisonnés, la présomption d'innocence n'a même plus lieu d'être évoquée. Les tentatives «populaires» de leur lynchage en sont déjà une peine et un châtiment pour eux et pour toutes leurs familles avant même qu'ils n'aient de procès. Un scénario «à la Sissi» ? L'on avance d'ores et déjà que les prochaines inculpations et incarcérations pousseraient au cachot Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal. Le chef d'état-major de l'ANP a décidé d'être le rouleau compresseur qui passera sur tout ce qui pourrait constituer un obstacle dans sa chevauchée vers la récupération de tous les pouvoirs et les espaces officiels. Reste à savoir si l'appel des sirènes d'ici et d'ailleurs provoquerait des fissures là où Gaïd Salah s'attendrait le moins. S'il a lui-même reconnu que l'ex-DRS manipule le pays par les effets de ses réseaux internes et externes, sa guerre pourrait ne pas être gagnée. A moins que la détention de Toufik à la prison militaire de Blida pousserait ses collaborateurs de l'ombre à le lâcher. Gaïd Salah commence à faire peur à tout le monde. Certains milieux s'interrogent sur ce qui l'a empêché depuis le 22 février dernier à limoger les 3 B (Bensalah, Bedoui, Bouchareb) les plus faibles du système alors qu'il a réussi à atteindre rab dzaier et plus encore, Saïd Bouteflika. Des analystes pensent eux qu'il a préféré déblayer des terrains minés pour pouvoir avancer et placer ses hommes. L'on dit qu'il a bien écouté ses conseillers pour qui la résolution de la crise politique passe bien après le nettoiement du pays des grosses têtes et la dislocation de leurs clans. «Tous ceux qui ont été nommés ces derniers temps ont travaillé de près ou de loin avec Gaïd Salah», soutiennent nos sources. «Sa difficulté aujourd'hui est de ne trouver personne à qui il pourrait faire confiance pour le placer comme chef d'Etat», disent nos interlocuteurs. Beaucoup pensent qu'il n'est pas interdit pour le chef d'état-major de l'ANP de se transformer en candidat à la prochaine présidentielle. «Un scénario à la Sissi n'est pas à écarter quand on voit que parmi la soixantaine de candidatures jusque-là déposées auprès du ministère de l'Intérieur, aucune n'a une assise partisane ou populaire conséquente», explique-t-on. Le FLN de Mohamed Djemai se prépare déjà à soutenir «le candidat du pouvoir». D'autant que pour l'heure, Gaïd tient à une élection présidentielle le 4 juillet prochain sous le contrôle d'un pouvoir militaire absolu. Au diable si la crise politique reste entière. Ceux qui se posaient la question «qui après Bouteflika ?» n'avaient pas tort au regard de l'absence de figures politiques qui pourraient s'imposer sur la scène nationale et construire un véritable Etat civil.