C'est une première dans les annales de la justice algérienne. Deux ex-Premiers ministres ont passé leur première nuit à la prison d'El Harrach. L'inamovible Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal ont tous les deux été placés sous mandat dépôt par le juge instructeur près la cour suprême. Le premier a été mis en prison mercredi dans la nuit alors que le second a été placé en détention jeudi. Les deux anciens chefs du gouvernement sont incarcérés pour des présumés faits d'octroi d'indus avantages dans les marchés et contrats publics, de dilapidation de deniers publics, d'abus de fonction et de conflit d'intérêt. Ouyahia et Sellal étaient depuis une vingtaine d'années les soutiens indéfectibles du président déchu, Abdelaziz Bouteflika. Ces deux hommes ainsi que tous les secrétaires généraux qui se sont succédé à la tête du FLN depuis 2004, étaient le noyau politique du régime de Bouteflika qui a réussi, grâce à l'argent sale, à instaurer un système de rapine jamais égalé. Avec l'incarcération de ces hommes c'est le clan Bouteflika qui vient d'être décapité après avoir été ébranlé par le mouvement du 22 février grâce à une mobilisation citoyenne historique. Qui aurait cru que les hommes du président qui faisaient le beau et surtout le mauvais temps allaient un jour répondre de leurs actes devant la justice de notre pays comme de simples justiciables. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre à l'Algérie. Désormais plus personne ne sera au-dessus de la loi, peu importe sa position. En sus du mouvement populaire qui a changé la donne grâce à la mobilisation pacifique, il faut rendre également hommage aux enquêteurs et à l'état-major de l'armée qui ont veillé au grain et qui ont fermé toutes les portes aux « interventions » ou autres « coups de fil » pour influer sur les enquêtes ou faire pression sur les magistrats. Ces derniers, avons-nous appris, ont travaillé en leur âme et conscience sur la base de documents et de preuves et se sont référés à la loi pour mettre sous mandat de dépôt ou sous contrôle judicaire les hauts responsables qui ont défilé devant la cour suprême. En effet, les journées de mercredi et jeudi n'ont pas été de tout repos pour le représentant du ministère public ou pour les juges instruction. Amara Benyounès, l'ancien ministre du Commerce a été également incarcéré à la prison d'El Harrach, à l'issue de son audition par le juge d'instruction. Selon un communiqué de la justice, Abdelmalek Sellal et Amara Benyounès sont poursuivis pour «attribution d'indus avantages dans le cadre de l'octroi de marchés publics et de contrats», «conformément à l'article 26, alinéa 1 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, dilapidation de deniers publics, conformément à l'article 29 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, abus de pouvoir, conformément à l'article 33 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, et abus de fonction et conflit d'intérêts, conformément à l'article 34 de la loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption». L'ex-ministre des Travaux publics, Abdelghani Zaâlane a été lui placé sous contrôle judiciaire après avoir été auditionné dans des affaires liées à la corruption. Il faut savoir qu'en application des dispositions de l'article 573 du code de procédure pénale, le parquet général près la Cour d'Alger avait transmis au procureur général près la Cour suprême, le dossier d'enquête préliminaire instruite par la police judiciaire de la Gendarmerie nationale d'Alger pour des faits à caractère pénal. Ahmed Ouyahia et Abdelghani Zaâlane, selon un communiqué du procureur général, «sont poursuivis en application de l'article 26, alinéa 1 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, pour attribution d'avantages injustifiés à autrui dans le cadre de marchés publics et de contrats», «en application de l'article 29 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, pour dilapidation de deniers publics», «en application de l'article 33 de la loi 01-06 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, pour abus de fonction, et en application de l'article 34 de la loi 06-01 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, pour conflit d'intérêts». Arrestation d'un fils de Djamel Ould Abbès et mandat d'arrêt international contre un autre De nombreux ex-ministres et hauts responsables vont défiler également devant le juge la semaine prochaine. Il s'agit, selon un communiqué du parquet général de Amar Tou, Talaï Boudjemaa, Amar Ghoul, Bouazgui Abdelkader, Djoudi Karim, Bouchouareb Abdesslam, et des ex-walis Zoukh Abdelkader et Khanfar Mohamed Djamel. Pour les autres qui bénéficient de l'immunité parlementaire, une demande a été déposée par des magistrats, conformément aux dispositions de la loi, afin de sauter ce verrou et juger toutes ces « personnalités » qui jouissent de ce statut depuis des années et qui leur a permis d'échapper à la justice. Djamel Ould Abbès et Saïd Barkat ont renoncé volontairement jeudi à leur immunité parlementaire au terme de déclarations écrites déposées auprès du bureau du Conseil de la nation, a indiqué à cet effet un communiqué de la chambre haute du Parlement. «En vertu des dispositions de l'article 127 de la Constitution et l'article 124 (alinéa 2) du Règlement intérieur du Conseil de la nation, MM. Barkat et Ould Abbès ont déposé une déclaration écrite par laquelle ils renoncent volontairement à leur immunité parlementaire afin de permettre la justice d'exercer ses missions constitutionnelles», a précisé la même source. L'ex-secrétaire général du FLN Djamel Ould Abbès n'ira pas seul devant le juge. Deux de ses enfants sont également cités dans une grave affaire liée à l'octroi de marchés alors que leur père était ministre de la Solidarité nationale. Le juge d'instruction près le tribunal de Chéraga a ordonné jeudi soir la mise en détention provisoire de l'un des fils de Djamal Ould Abbès, Djamal Omar Iskander Ould Abbès avec deux autres personnes, poursuivis pour plusieurs chefs d'accusation notamment pour abus de fonction et blanchiment d'argent dans le cadre d'une bande criminelle organisée, un mandat d'arrêt international a été requis à l'encontre d'un autre fils de Djamel Ould Abbès, El Ouafi Fouad El Bachir Ould Abbès qui est en fuite, a annoncé le procureur général auprès de la cour de Tipasa, dans un communiqué. Djamal Omar Iskander Ould Abbès a comparu jeudi devant le juge, en compagnie de deux autres personnes, Bouchnaq Khelladi Abdallah et Habchi Mohamed poursuivis pour plusieurs chefs d'accusation liés essentiellement à l'abus de fonction, blanchiment d'argent dans le cadre d'une bande criminelle organisée et pour avoir bénéficié d'indus privilèges. Une quatrième personne, est toujours en fuite, il s'agit d'un autre fils de Djamel Ould Abbès, El Ouafi Fouad El Bachir Ould Abbès et un mandat d'arrêt international a été requis à son encontre. Après avoir auditionné les trois accusés présents, Djamal Omar Iskander Ould Abbès, Bouchnaq Khelladi Abdallah et Habchi Mohamed, le juge d'instruction a ordonné leur mise en détention provisoire au centre de rééducation et de réadaptation de Koléa. C'est le grand déballage. L'opinion publique risque d'être choquée les jours qui viennent par l'ampleur de la corruption qui a élu domicile au plus haut sommet de l'Etat.