«En situation de crise, comme pour le vivre ensemble, il y a nécessité de composer. Tabler sur un effondrement du système est une vue de l'esprit. Il est à sa manière et par delà les individus, une construction solide, ancrée dans la population, qu'il s'agit de moderniser, en l'obligeant à assumer ce à quoi il s'est soustrait ces dernières années ». Ces propos sont de Abderrahmane Hadj-Nacer, l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, rencontré hier lors d'une conférence-débat consacrée au Hirak, à l'armée, et à la sortie de crise que tout le monde réclame. La rencontre, animée conjointement par Akram Kharief, directeur de publication du site MENA Defense, s'est déroulée au siège de SOS Bab El Oued. Pour M. Hadj-Nacer, «il n'y aura aucune solution en dehors du système», à moins d'une «révolte» à la libyenne, un scénario que « personne ne souhaite». D'où la nécessité d'une solution négociée dont le point de départ est la désignation d'un individu ou d'un groupe d'individus qui aurait la confiance aussi bien de l'institution militaire que du Hirak. L'armée est appelée à désigner une ou des personnalités «sur lesquelles elle n'a pas de véto». Pour l'orateur, il s'agit de voir comment «avancer ensemble sans que l'armée ne se sente remise en cause». «Il s'agirait à mon avis, de proposer un individu ou un groupe qui permette un compromis inclusif, en premier lieu au sein de l'armée pour les prochaines étapes. À cette personnalité ou groupe, ayant une «légitimité populaire» à travers une acceptation par le Hirak, reviendra la mission d'obtenir un positionnement politique clair de et pour l'armée, dans toutes ses composantes, pour qu'elle puisse assumer toutes ses responsabilités sans être dans la nécessité de manipuler un pouvoir civil », ajoute l'ancien gouverneur de la Banque Centrale. «Il appartiendra à l'armée de désigner et au peuple d'agréer cette personnalité ou groupe » qui soumettra « chaque vendredi » à « l'appréciation populaire », « le programme, son évaluation et son bilan ». Au-delà des compétences d'ingénierie politique et technique, le rôle de la personnalité ou le groupe de personnalités est de permettre « le passage à un pouvoir légal », mais également de « définir le rôle de l'armée et celui des services de sécurité dans les décisions portant sur les choix fondamentaux du pays ». Pour l'intervenant, le débat sur les questions de gouvernance, de lutte contre la corruption, et de la finalité des institutions, comme celle des services de sécurité, « ne doit pas se faire uniquement à l'intérieur d'un système clos, dont on ne connaît pas forcément ni le contenu humain, ni le cahier des charges ». « C'est cette opacité que reproche aujourd'hui les gens, pas le fait qu'on mette en prison X ou Y. Quelle est la logique, en dehors d'un règlement de comptes ? », ajoute M. Hadj-Nacer. Outre de rassurer l'armée, l'intervenant considère qu'il y a aussi des assurances à apporter aux civils. « Il s'agira de rassurer quant à la prochaine étape où seront abordées les questions de diversité, la notion de liberté, au-delà de la liberté fondamentale de s'exprimer, les libertés d'agir librement, dans le domaine de l'initiative économique notamment. » La deuxième partie de la rencontre a permis à Akram Kharief de dresser un état des lieux au sein de l'armée et des aspects que cette institution devrait assumer, comme l'industrie militaire. Pour le directeur de la publication de Mena Défense, l'étape à venir devrait permettre d'aider l'armée « a ne pas avoir peur » du « changement inéluctable ». Passant en revue l'évolution des dépenses militaires, depuis les années 90 à nos jours, l'orateur estime que l'institution s'est beaucoup développée. Il a néanmoins pointé du doigt aussi bien l'incapacité de l'armée à communiquer et à expliquer (notamment sur la lutte antiterroriste), mais également le problème de la transparence et de « l'absence totale des commissions de défense » de l'APN et du Sénat. Il a également évoqué la nécessité de débattre de la place de l'armée et des services de renseignement dans le cadre d'un processus démocratique. Pour M. Kharief, « le risque politique ne doit pas être assumé par l'armée ».