Tout en approuvant l'appel de l'institution militaire pour un dialogue inclusif, Djabi livre sa propre vision. Entretien réalisé par Smaïl MIMOUNI Dans cet entretien, nous avons abordé avec le sociologue, Nacer Djabbi, les solutions et les différentes mesures à mettre en oeuvre pour sortir de la crise que traverse actuellement l'Algérie. Tout en approuvant l'appel de l'institution militaire pour un dialogue inclusif, Djabi livre sa propre vision. Le Temps D'Algérie : L'institution militaire a proposé dernièrement la solution du dialogue entre toutes les parties pour sortir de la crise actuelle. Quelles sont, selon vous, les mesures à prendre pour dépasser la crise ? Le dialogue reste la seule solution pour sortir de la crise actuelle. Il faut inclure la culture de négociation et l'acceptation de l'autre, quelle que soit sa vision politique. Il faut sortir de la stratégie par laquelle le pouvoir seul est habilité à décider et à entreprendre des mesures, notamment l'organisation des élections. C'est le pouvoir en place qui a décidé la date des élections et la date de la conférence nationale, qui a été boycottée par tout le monde. Il a aussi décidé l'application de l'article 102 de la constitution, la nomination de Bedoui et celle de Bensalah. Ces décisions ont été prises sans prendre en considération la position de la population, et l'avis des citoyens qui sont sortis dans la rue depuis presque quatre mois. Donc, il faut changer toutes ses manières, et accepter de dialoguer avec l'autre. Toutes les propositions doivent être étudiées et entendues. Depuis des semaines, des personnalités, des groupes d'organisations de la société civile ou d'associations, ont fait des propositions sages et consensuelles, partagées par l'ensemble du Hirak et de la classe politique. Il faut savoir que d'abord, 90 % des propositions écrites et faites par les personnalités sont consensuelles ; tout le monde est d'accord d'aller vers une période de transition. Ils sont d'accord sur l'organisation d'élections transparentes, avec la mise en place d'une instance d'organisation et la supervision pour organiser les élections libres. Concrètement, comment peut-on organiser le dialogue ? C'est très facile et il y a beaucoup de propositions. La première proposition est que le pouvoir doit accepter la démission du gouvernement Bedoui. Le gouvernement Bedoui est devenu un danger pour le pays. L'article 102 de la constitution interdit à Bedoui de démissionner, mais il peut démissionner du moment qu'il constate qu'il n'arrange pas la volonté populaire, donc c'est son droit de démissionner, et pourra dire que «moi, je quitte ce gouvernement, je ne peux en aucun cas m'opposer aux revendications de la société». Cette démission ouvrira la voie à la désignation d'un nouveau chef de gouvernement accepté par toute la population. Un fois en poste, celui-ci va commencer à entreprendre les solutions de sortie de crise, et organiser le vrai dialogue. Deuxièmement, les autres pistes résident dans la démission du président du Conseil constitutionnel, une élection d'un nouveau président du sénat, l'application des articles 07 et 08 de la constitution sont aussi une piste qui peut nous faire sortir de l'impasse que l'article 102 nous a imposée. Le dialogue est envisageable entre les algériens, du moment que les positions de tous sont unanimes. En contrepartie, ceux qui ont proposé le dialogue doivent assumer les conséquences de leur refus de dialoguer avec les algériens et le Hirak. Ils doivent aussi assumer tous les dérapages possibles. Refuser de dialoguer, c'est prendre une lourde responsabilité de participer à empêcher la sortie de crise à l'Algérie. Nous avons maintenant une possibilité de sortie de crise ; il y a une sagesse, c'est le peuple, un grand consensus entre toutes les parties, notamment de la société civile sur la sortie de crise. Il faut profiter de ce moment. On a assez perdu de temps. Bensalah a consommé plus de 50 % de sa période de transition sans faire quoi que ce soit. Il n'a pas pu organiser les élections présidentielles. Donc, il faut tirer les conséquences, et aller vers une période de transition consensuelle pour le démarrage de la sortie de crise. Il faut aller vers des élections dans les délais raisonnables. Dans six mois et pas avant la fin de l'année. Comment faire pour trouver des personnalités susceptibles de représenter le Hirak ? Avant tout, le Hirak c'est le peuple, ce sont les citoyens, toutes catégories confondues, qui s'expriment chaque vendredi et mardi par millions. Mais ça n'empêche pas de trouver des gens acceptés par le peuple pour représenter le Hirak. Surtout que ces derniers font partie des marcheurs, et ont marqué leur présence dans le Hirak. Ces gens ne sont pas connus que depuis le 22 février, mais ils militent depuis des années. On trouve parmi eux des anciens opposants, des syndicalistes, des chefs de partis politiques, des personnalités qui ont représenté la société civile depuis des années, des personnalités intellectuelles et politiques qui activent depuis des années pour le bien du pays. Donc, on ne peut pas dire qu'il n'y a personne pour représenter le Hirak. Au contraire, il y a beaucoup de figures qui sont maintenant connues des algériens. Elles sont acceptées en grande majorité pour défendre les revendications du Hirak, dans un dialogue ouvert. Il en existe des centaines de personnes, hommes et femmes qui peuvent représenter le Hirak. Des universitaires, des avocats, des journalistes, des juges, des médecins… etc. Ils représentent, chacun à sa manière, les aspirations du Hirak, qui reste un mouvement immense dans l'histoire de l'Algérie, et qu'il faut préserver. Comment considérez-vous le comportement du Hirak vis-à-vis des différentes propositions et alternatives présentées par les différentes parties pour sortir de la crise ? Nous avons enregistré que le Hirak ne refuse aucune des alternatives de sortie de crise. Il dit qu'on est pour le dialogue. Par contre, c'est l'institution militaire qui refuse les alternatives du Hirak. Jusqu'au dernier discours du chef d'état-major, Ahmed Gaid Salah, il parle de dialogue, mais refuse en contre partie la période de transition. Il lance un appel aux représentants du Hirak à rentrer en contact avec le pouvoir, et démarrer un dialogue. C'est une très bonne initiative, mais il ne faut pas que l'armée impose, à elle seule, les conditions de ce dialogue. Les conditions du dialogue doivent être décidées par toutes les parties. Il faut savoir enfin, que l'institution militaire est le bénéficiaire d'une bonne période de transition. Comment ? Si on réussira la période de transition, et qu'on organisera des élections présidentielles à laquelle participeront de grands partis politiques, associations et syndicats, le premier bénéficiaire de tout cela sera l'armée. L'armée va désormais s'occuper de ses tâches constitutionnelles. L'armée a besoin de s'occuper de sa fonction principale, qui est la défense du pays. Donc, l'armée doit quitter le terrain politique, et qui doit rester entre les mains des politiques, les partis, le parlement, et bien sûr un président légitimement élu.