L'entrée en lice d'Abdelmadjid Tebboune dans les joutes électorales des présidentielles, du 12 décembre prochain, donne le ton à une confrontation féroce entre de grandes figures du régime Bouteflika et du système politique dans son ensemble. Ali Benflis semble déjà avoir un angle d'attaque à cet effet. Il en a donné un avant-goût, jeudi dernier, jour où Abdelmadjid Tebboune a retiré les formulaires de signatures individuelles pour être candidat à la candidature à ces élections. C'est ainsi qu'il a dirigé sa première salve préélectorale contre celui qui est considéré comme étant l'un de ses plus grands concurrents dans cette course vers le palais d'El Mouradia. Connu pour son impulsivité, le président de Talaïe El Houriet a répondu à une question sur ce qu'il pensait de la candidature de Tebboune que «celui dont vous avez donné le nom, (...) ce sera le 5ème mandat avec un autre nom (...)». Il sortait de la réunion du comité central de son parti dont l'ordre du jour était d'approuver sa candidature ou pas. Pour rappel, Benflis a retiré les formulaires soutenant sa candidature le 19 septembre dernier. Ce décalage entre sa décision et celle de son parti, Benflis l'a justifié en précisant qu'il se présente comme candidat indépendant pour avoir le plus de soutiens et de voix possibles. Le fait que dans son discours d'ouverture de la réunion de jeudi, il a affirmé ne pas fermer la porte devant l'éventualité d'un dialogue autour d'une Assemblée constituante, c'est que son rapprochement des partis (RCD, FFS, PT, MDS...) de «l'alternative démocratique» est évident. Il a aussi le soutien de certains partis politiques comptés sur la mouvance islamiste comme celui de Mohand Saïd qui, dit-on «le préfère à tous les candidats.» Le président de l'UFDS, Nouredine Bahbouh a, affirme ses proches, déblayé le terrain partisan le plus large pour que Benflis puisse en puiser des voix. Bahbouh est connu pour avoir des accointances avec les partis et personnalités qui réclament une Assemblée constituante et aussi avec les islamistes modérés. L'ancien ministre et ex député du RND a été, dans ce sens, le parfait médiateur entre tous ces acteurs politiques. «J'ai été puni avec mon fils» Abdelmadjid Tebboune se présente, lui aussi, comme candidat indépendant au titre, a-t-il dit jeudi «de l'article 7 de la Constitution qui consacre la souveraineté du peuple». Il a répondu à Benflis en lui rappelant qu'ils se connaissaient tous les deux depuis 1977 «j'étais SG à Batna et lui avocat». Tebboune a noté que «c'est une conjoncture difficile, ce n'est pas le moment de polémiquer (...)». Les deux hommes ont voulu, chacun pour sa part, prouver qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre le candidat du pouvoir. «C'est comme ils l'ont dit en 2004, si j'étais le candidat du pouvoir, j'aurai gagné», a rétorqué Benflis. «J'ai été puni ainsi que mon fils (...), même ma photo a été enlevée du Palais du gouvernement», a lancé Tebboune. Il est curieux que deux personnes qui ont été plusieurs fois responsables dans divers domaines et pendant de longues années, au sein du même système politique et sous la présidence de Bouteflika, se rejettent la pierre pour prouver le contraire. Benflis a été avocat, bâtonnier, magistrat depuis la fin des années 60, à la fin des années 80, ministre de la Justice de 88 à 91, député FLN en 91 et deux fois son secrétaire général entre 2001 et 2004, directeur de campagne de Bouteflika alors candidat à la présidentielle de 99, son directeur de cabinet entre 99 et 2000, son chef de gouvernement de 2000 à 2003, année où il l'a limogé. Comme noté déjà dans nos précédentes éditions, Benflis avait lâché pour se plaindre, «il m'a limogé ! Il m'a obligé !». Maître Farouk Ksentini, un des avocats de Saïd Bouteflika, de Toufik, Tartag et de Louisa Hanoune a fait savoir, lors du point de presse qu'il a animé le 23 septembre dernier, à la fin du 1er jour du procès des quatre responsables, que Saïd Bouteflika a déclaré au juge qu'il voulait, lui et Toufik, nommer à la tête d'une instance présidentielle soit Zeroual, Benbitour ou Benflis. L'aveu est fait comme pour recadrer des hommes qui pouvaient sauver le système. «Je ne suis pas parti de mon plein gré» Le 18 avril 2003, le chef du gouvernement qu'était Ali Benflis se trouvait à Nouakcott pour présider, avec son homologue mauritanien, la Commission mixte algéro-mauritanienne. «Je ne démissionnerai jamais de mon poste», avait-il martelé devant les journalistes qui l'accompagnaient mais qui mettaient en avant des tiraillements entre lui et le président Bouteflika. «Je conduis un gouvernement qui applique le programme du président de la République qui a eu l'aval du Parlement», avait-il encore dit. «Le chef du gouvernement n'a aucun problème avec le chef de l'Etat», a-t-il ajouté. Il sera démis de ses fonctions la première semaine de mai 2003. «Il m'a limogé, je ne suis pas parti de mon plein gré,» a-t-il précisé au lendemain, lors de sa rencontre avec la presse, au siège du FLN dont il était le SG. Tebboune n'est pas moins «enfant du système» que Benflis. Il a été plusieurs fois responsable au niveau des Collectivités locales (chef de daïra, SG, wali) et ce, depuis la fin des années 60 jusque dans les années 80 où il a été nommé ministre délégué chargé des Collectivités locales. En 99, il a été chargé par Bouteflika du portefeuille de la Communication, entre 2001 et 2002, il est ministre de l'Habitat. Il quittera le secteur pour le reprendre de 2012 à 2017. En mai, de la même année, il est nommé Premier ministre, en remplacement de Sellal. Il sera limogé, en août, de la même année. Les fiches «bleues» des deux hommes ne diffèrent pas beaucoup l'une de l'autre. Les deux n'ont pas quitté le pouvoir d'avant et de Bouteflika «de leur plein gré» mais ont été demis de leurs fonctions respectives. Les deux candidats ont une sacrée revanche à prendre sur le temps et sur les hommes en comptant bien arriver au sommet de l'Etat. «Ce qui est sûr c'est qu'aucun d'eux ne se serait présenté comme candidat s'il n'avait pas eu le feu vert du Haut Commandement de l'armée,» affirme un haut responsable. L'exclusion par l'effet du parrainage Benflis compté sur l'Est du pays et Tebboune sur le Sud Ouest, ils auront à convaincre le reste du pays de «leur bonne foi de sauveur de l'Algérie et de l'Etat national». Il est clair que des centaines de candidatures qui ont été déposées à ce jour, de nombreuses seront élaguées par la force des 50.000 signatures individuelles qu'elles ne pourront pas collecter dans 25 wilayas à raison de 12.000 dans chacune, comme l'exige la loi électorale en vigueur. Ne resteront que les candidats qui doivent avoir des promesses de parrainage sûres. Benflis rentre avec un préalable «le départ du gouvernement Bedoui et son remplacement par un autre de compétences nationales comme revendiqué dans la plate-forme de Ain Benian», a-t-il précisé jeudi. Tebboune n'en a aucun. Il est apparu au Palais des nations, siège de l'ANIE avec à ses côtés, son directeur de campagne, Abdallah Baâli, un diplomate de carrière de grande renommée qui a été pendant de longues années représentant de l'Algérie auprès des Nations unies, à New York. Benflis compté sur le courant nationaliste, proche des partis «démocratiques», Tebboune du même courant, qu'on dit aussi proche des zaouias, notamment celles d'Adrar, Abdelaziz Belaïd, président du Front el Mostakbal', né des entrailles du pouvoir, grandi sous sa protection avec la bénédiction et l'aide précieuse du FLN, Abdelkader Bengrina, président de Harakat el bina', proche des milieux islamistes et ami de certains pays du Golfe, tous les quatre sont d'ores et déjà donnés pour candidats à part entière aux élections, du 12 décembre prochain. Parmi eux et peut-être d'autres en plus pour crédibiliser davantage cette course, l'on pressent un «candidat du consensus» qui bénéficiera de consignes de vote fermes. Dans son dernier discours, le chef d'état-major de l'ANP a affirmé que «des mesures seront prises par l'Institution militaire pour permettre aux citoyens d'exercer leur droit de vote.» Gaïd Salah a fait savoir aussi que le jour de l'élection, «les forces de sécurité, tous corps confondus, se déploieront à travers l'ensemble du territoire national». Jeudi dernier, il a assuré que «les préparatifs des élections présidentielles sont devenus effectifs sur le terrain». Il promet leur tenue «dans les délais² qui leur ont été fixés».