Comme préambule au développement de cette équation assez étrange, intervient cet utile avertissement : l'esprit maquignon n'a absolument rien à voir avec le bon sens paysan. Le premier concerne en exclusivité le monde des ruminants, tandis que le second découle le plus logiquement de la mentalité paysanne et de l'état d'esprit de notre grand univers rural. À base d'un raisonnement essentiellement empirique, le bon sens paysan tient à exploiter les données de la nature selon une méthode expérimentale, répétitive et très archaïque, à l'effet d'expliquer le changement de temps, la cadence de l'alternance des saisons, la croissance des plantes, ou encore le temps des labours et celui des grandes moissons. Cette mentalité paysanne est à l'origine de toute une philosophie de la vie du monde rural. Elle dérive de ce combat permanent que mène sans relâche l'homme face à la nature. C'est dans sa bataille de tous les jours que cet être humain, resté très fidèle à la terre, s'est forgé sa stratégie de lutte et a trouvé les outils de sa propre défense. Il en est résulté ce bon sens paysan qui a cette faculté de prévoir le temps qu'il fera tout à l'heure ou dans les heures qui viennent, ainsi que les possibles changements qui pourront se produire, tenant compte de quelques indices et paramètres de nature à expliquer la survenance des transformations ou bouleversements climatiques. Tout paysan vivant du produit de ses maigres arpents, viscéralement accroché au travail de son lopin de terre, comme seule source de ses revenus, a toujours la tête qui fouine et scrute à longueur de temps l'humeur de la voûte céleste. Ce Ciel si généreux qui lui permet souvent d'engranger de bonnes moissons peut parfois lui administrer des véritables raclées avec une très sévère ruine à la clef. Il en est très conscient. Raison pour laquelle le paysan est dans sa vie de toujours de caractère plutôt très méfiant. Il vit ce sentiment permanent telle vraie hantise, vu que sa vie de tous les jours en dépend forcément. Dans son raisonnement, il est sceptique à tout mouvement. Il craint le changement. Car celui du temps lui crée bien des surprises et des désagréments, si ce n'est parfois de très grosses pertes qui touchent à la fois à sa famille élargie comme à ses biens et animaux de la ferme. Les gens sages des villes de proximité et des villages avoisinants comprennent parfaitement son attitude prudente et considèrent à juste titre d'ailleurs son comportement très méfiant, un peu distant. Seul, souvent armé de menus moyens de bord, il affronte quotidiennement la très dure nature, dans ses déluges de pluies dévastatrices tout comme dans ses chaleurs torrides et atmosphères insupportables qui étouffent l'être humain et font plier sous le poids de leur suffocante chaleur le pourtant très dur métal, jusqu'à parfois brûler les forets et les campagnes. Il est resté depuis la nuit des temps très susceptible au temps qu'il fait et surtout inquiet au sujet du moindre vent qui parcourt dans tous les sens la contrée. Car il est très conscient que le vent est un élément perturbateur de l'ordre, de l'espace et de l'atmosphère dont il reçoit de plein fouet ses caprices comme ses déboulées qui tuent dans l'œuf, en lui, tout espoir paysan. Le maquignon, lui, ne s'inscrit pas dans ce registre de la vie et sens de logique. Car, il n'est pas dans son métier de tous les jours si exposé à la grande colère de la nature, ni ne subit dans sa propre chair autant de pertes occasionnées par ses nombreux soubresauts et autres inévitables convulsions nées de la tradition de la succession des saisons de l'année. Lui n'a ni étable à surveiller de près, ni près à labourer, comme c'est le cas du paysan. Mais aussi ni camion à engager dans son métier, ni grosse fortune à mettre à profit, comme l'est celui du chevillard. Comme outils de travail, il ne dispose en tout pour tout que d'une paire de ciseaux à la marque de l'empreinte déposée, et d'un volumineux carnet de commande bien fourni en clients très délicats et difficiles à satisfaire, mais bien fortunés et très sérieux. Son terrain de prédilection reste le marché à bestiaux. Il constitue ce trait d'union entre le besogneux fermier et le très roublard chevillard. Il est conscient que le gain substantiel qu'il réalise sur un taurillon dépend surtout de son prix d'achat souvent peu élevé payé au fermier, bien avant d'espérer encore accrocher à son avantage et escarcelle le très rusé chevillard ; ce qui le pousse à vivre toujours au dépens du premier-cité plutôt que d'espérer obtenir une quelconque fleur ou faveur du second. De là est donc né cet « esprit maquignon » qui donne toujours froid dans le dos aux tout petits fermiers du monde paysan rien qu'à évoquer son nom, presque tous contraints de passer par lui ou à travers les mailles de ses nombreux relais dans leurs nombreuses transactions commerciales. Obligé de faire le lien entre le producteur de bétail et le chevillard qui alimente les bouchers de la contrée en viande fraiche, le maquignon fait preuve de cette capacité inouïe à évaluer le poids réel du taurillon abattu grâce à un regard appuyé et très connaisseur porté auparavant sur la corpulence de l'animal encore vif et sur pied, exposé à la vente en l'état par son propriétaire. Ce savoir-faire assez précieux, acquis souvent au prix d'une très longue et pénible expérience au sein des marchés à bestiaux, permet au maquignon de se frayer cette place de choix dans la longue chaîne des nombreux intervenants dans le marché de la viande rouge fraiche. Il en est incontestablement le maillon fort. Il est celui qui vit aux dépens de pauvre paysan mais aussi et surtout au détriment du misérable consommateur, obligé, lui, de payer la sauce à lui seul à un prix cher . Manifestement toute la très vieille ruse du pourtant très chevronné chevillard ne peut que rarement avoir raison de ses entourloupettes et nombreux tours de vis. D'autres maquignons, spécialistes de leur état dans les transactions des vaches laitières, sont souvent rusés jusqu'à la moelle épinière. Ils profitent de leur position privilégiée sur le marché à bestiaux pour connaître dans les détails tous les intervenants, leurs besoins réels et autres spécificités liées à leur commerce. Leurs proies toutes indiquées se recrutent parmi les paysans eux-mêmes. En un tournemain, ils sont capables de « vendre » aux non avertis ou aux non initiés du monde paysan une vache et un veau qui n'ont aucun lien filial entre eux pour un bovin laitier et son petit. Leur « mission » consiste à faire passer la vache de race modeste pour un bovin à haut potentiel laitier, ayant mis bas à ce très beau veau qui se tient à sa proximité. Pareille ruse n'est pas à la portée du premier venu. La technique employée tient à une subtile astuce qui prend son essence d'un savoir-faire jugé haut de gamme du monde du fermage et qui confère au maquignon le rôle d'un acteur très doué des marchés à bestiaux de sa région. Ainsi se définit cette différence qui existe entre le bon sens paysan et l'esprit maquignon. Au sein du monde rural, le risque de prendre l'un pour l'autre n'a pas lieu de se produire, vu que le sens donné au premier se trouve être bien souvent complètement opposé au second. Après ce bref exposé des motifs pour expliquer le raccourci opéré à dessein dans le choix du titre donné à notre chronique, il s'agit, à présent, de mettre l'action sur la nature du lien existant entre l'esprit maquignon et une quelconque élection. Plus prosaïquement, l'esprit maquignon tout comme toute élection pour un quelconque mandat, se caractérisent essentiellement par la ruse et la triche, voire même la trahison dans certains cas, lesquelles font corps tant avec l'un qu'avec l'autre. Et si l'on admet que ces trois maux sociaux -si ce n'est souvent plus- seront certainement de mise comme de tradition, sinon tout le temps confondus à eux-mêmes, dans le scrutin qui aura lieu à la fin de l'année en cours, quelle leçon faut-il dès à présent en retenir ou retenir? Un pari fou ou un risque bien étudié et très calculé ? Depuis le 15 septembre dernier, le pouvoir s'est déjà projeté sur cette date du 12 décembre prochain. Il en fait une obsession ! Après deux rendez-vous manqués et autant d'échecs répétés aux élections présidentielles, voilà que la gouvernance de fait du pays en fixe une autre date pour tenter le troisième essai, qu'elle pense le mieux abouti, au cours de la même année (2019). Désormais tout va très vite pour être fin prêt à la date convenue. Présidence, Gouvernement, Parlement, Sénat et autres institutions du pays accélèrent la cadence et se serrent les coudes et les rangs pour ne jamais rater cette troisième échéance. Ils veulent mettre toutes les chances de leur côté. Et dès les premiers jours de la rentrée sociale, ils venaient de donner un véritable coup dans la fourmilière pour secouer le cocotier. Les choses avancent à un rythme très rapide et à une cadence effrénée, endiablée. Il souffle un vent de préparation d'une élection pas comme ses semblables. Mais le rituel se renouvèle, la mécanique des élections retrouve ses fonctions vitales, la fournaise ne connait aucun répit pour agir à son aise, le monde du folklore politique s'honore de cette « chasse » aux « voix des laissés-pour-compte » et s'installe déjà avec armes et bagages dans la grande arène du marché forain de la cité. Celui des opportunistes s'implique dans le jeu de coulisse ; il s'y glisse à l'image d'un reptile en quête d'un abri sûr. Il plante, toute honte bue, ses tentes géantes et autre arsenal de guerre, en quête d'un nouveau bail de gouvernance, en changeant tout juste de tonalité à son discours trompeur et conquérant. Sauf que l'animation électorale traditionnelle a, elle, du mal à retrouver toutes ses marques cycliques et autres véritables repères. Il y a comme une espèce de hantise à renter de plain-pied dans cette fête artificielle qui a pris cette habitude d'anesthésier le peuple plutôt « passif » et de « doper plus que de raison » les urnes pour savamment interpréter leurs résultats au seul profit de ses concepteurs. Ici et là, on tergiverse. Plus loin ou dans l'autre coin, on est plutôt circonspect, un peu moins discret, vraiment inquiet sinon très prudent. Dans le voisinage, l'engouement électoral n'a plus le moral ! Il bat de l'aile et s'affole au moindre raffut. Et partout ailleurs, il y a comme une chape de plomb qui empêche les opportunistes à passer immédiatement à l'action ! À achever le travail de fond de leur « sale besogne ». Les plus rusés partent déjà à la recherche du candidat du pouvoir, ce virtuel champion ! Ils ciblent déjà les potentiels candidats et tiennent à soudoyer par tous les moyens ceux censés représenter le pouvoir de fait. Mais qu'y-a-t-il de si spécial ou vraiment d'assez exceptionnel pour que les « trucs traditionnels », d'habitude très fonctionnels, soient si enclins à manifestement refuser de se renouveler à la volée ou dans la foulée de ce énième défilé folklorique dont la réalisation peine justement à lui trouver les vrais contours ? Est-il question de l'intrusion d'un nouveau élément perturbateur de l'ordre établi de la mécanique des élections pour pousser les gens qui sont d'habitude à la manœuvre de céder désormais à l'anxiété et au désarroi pour ne plus avancer très tranquillement et tête baissée, comme jadis et autrefois ? En quoi cette élection présidentielle est-elle si différente de ses devancières pour finalement ne ressembler à aucune autre de celles déjà pliées en un tournemain et quelques menus sandwiches de « cachir » gracieusement servis et offerts à des témoins oculaires ? Ceux qui n'y auraient pourtant rien vu de très particulier ou si spectaculaire, en détournant bien volontairement leur regard sur les trompe-l'œil d'une administration qui décide toute seule qui sera à l'avance l'heureux gagnant ? Est-il question d'un pari fou ? Ou, au contraire, d'un risque mesuré et vraiment bien calculé ? Sinon sur quelle base a été adoptée cette sémantique d'une élection, dans le fond et dans la forme, rejetée par une population qui crie sa colère tous les Vendredis et Mardis à la face d'un pouvoir des plus autistes et qui a choisi ce passage en force très risqué ? Il est vraiment prématuré de répondre à toutes ces questions assez complexes, en l'absence de données fiables à même de nous indiquer d'abord la bonne hypothèse à prendre en considération, bien avant de faire l'analyse qui lui convient dans une scène politique aussi délétère, puisque dominée par un mouvement social qui s'inscrit dans la durée et dont les revendications n'ont à ce jour guère été satisfaites. Si le pari fou tenté à la hussarde ou à dessein parait des plus incertains, le risque encouru en s'engageant dans cette aventure apparemment assez dangereuse est, lui, par contre, très présent. Avec un peuple dans la rue, comment donc pouvoir tenir et organiser des élections présidentielles propres, honnêtes et surtout représentatives de ce même peuple, sans avoir un tantinet à transgresser les règles les plus usuelles et très élémentaires de la plus simple des démocraties ? Imposer à ce même peuple un futur Président qui sera « élu » à un très faible taux de participation des électeurs à ce scrutin, jugé comme vraiment déterminant dans l'Histoire de l'Algérie, n'est-il pas en soi un « forcing » un peu osé aux conséquences incalculables, à même de davantage compliquer la donne politique du pays ? Le faire contre le gré de ce même peuple est-il un acte démocratique soft et utile, de nature à davantage consolider une peu reluisante relation « gouvernants-gouvernés », laquelle se retrouve déjà au plus bas niveau de l'échelle des valeurs nominales de la vraie démocratie prônée par l'ensemble des citoyens algériens ? Face à ces nombreuses interrogations, l'esprit maquignon s'invite à cette élection ! Dans la pratique quotidienne, la ruse politique n'est jamais en panne d'idées pour rapidement trouver la pirouette et s'en sortir à bon compte. Elle s'improvise en sauveur du régime en place ! Il reste, cependant, que la « potion magique » de la « géniale trouvaille » du pouvoir de fait ne dure guère longtemps. Mais que faire dans ce cas ? La réponse coule source : « Vendre » ces élections au peuple algérien de la même manière que le fait un maquignon pour vendre une bête qui est l'objet d'un dol souvent non apparent, et dont ne peut immédiatement se rendre compte l'acheteur ! Il s'agit, en fait, de bien ruser pour reporter à plus tard le vrai remède ! Sinon de faire durer encore le provisoire et indéfiniment l'aléatoire ! De ruser encore et toujours pour rester au pouvoir, jusqu'à jouer aux inévitables prolongations, et pourquoi ne pas revenir en force et triompher aux tirs au but ?! Dans le plus profond de son imaginaire, le pouvoir semble -à contre-sens de la raison- faire du Temps un véritable allié ! Alors qu'à chaque instant la citadelle de la gouvernance de fait du pays est acculée dans ses tout derniers retranchements, poussée par une Rue survoltée à se replier sur elle-même dans un réflexe de défense, en attendant de dégager l'opportunité de se redéployer. Le risque de ces élections du 12 décembre prochain est vraiment grand. Il est même multiple et fort complexe. Le syndrome tunisien de 2019 a toutes les chances de se reproduire à nouveau en Algérie, avec des conséquences encore plus désastreuses pour les hommes du régime. Il aura le mérite de balayer à grande eau le parvis du Gand Temple du pouvoir ainsi que les issues qui mènent au Palais d'El Mouradia. En dépit de toutes les précautions d'usage d'une gouvernance qui s'entoure du maximum d'atouts et de protection dans ce domaine, il reste toujours possible que son futur nouveau locataire (l'heureux élu au prochain scrutin) soit un inconnu du système. Car un vote sanction -même lors de la survenance d'une très probable forte abstention- peut éventuellement mener à une « caution » au profit d'un vrai aventurier politique ! À moins que l'urne ne soit à la base déjà immunisée contre pareille éventualité ! Les anciennes figures du régime, en vielles haridelles revenues au trot à un âge si avancé, ont beau se draper du magnifique et doux manteau du « Hirak populaire », les votants sauront, le moment venu, les débusquer de leurs tanières. Ils les jetteront en pâture à un peuple en colère et déchaîné, à la manière d'une vraie tempête, pour broyer à jamais ces candidats du système et mettre fin à leurs carrières politiques. Ils administreront à coup sûr une bonne leçon de morale à tous ceux qui ont fait tant de mal au pays et au citoyen. Les journées du Vendredi et du Mardi font à la gouvernance du régime aussi mal qu'un couteau qu'on retourne dans la plaie. Celle-ci y perd à la fois la raison et la voix. Car, incapable de faire jeu égal avec une foule blessée et surexcitée qui « sort de ses gonds » de manière pacifique pour jouer franc jeu, en défendant crânement son territoire et son Idéal. L'« arène démocratique » ne comprend désormais qu'un seul postulant, qu'un unique sérieux compétiteur et prétendant à la lutte au profit de la démocratie, qu'un vrai candidat à une élection juste, honnête, transparente, crédible et incontestable ! Le Hirak en est le véritable acteur politique. Celui incontournable ! Le peuple en est témoin, pour l'Histoire !