Photo : Riad Par Ziad Abdelhadi De l'avis de spécialistes, le fonctionnement actuel des marchés du bétail et de la viande et l'organisation de leur circuit de commercialisation sont sous l'emprise de groupes d'individu qui agissent sans inquiétude et de manière à imposer leur diktat. «Cela est d'autant plus vrai à partir du moment où le circuit est animé par des comportements spéculatifs fortement déterminés par les seuls signaux du marché de la viande», nous a expliqué un ex-boucher sur la place d'Alger et non moins très au fait du sujet. Lors de nos dernières visites dans plusieurs grands marchés à bestiaux du pays, on apprendra également que l'organisation des circuits de commercialisation repose sur des réseaux d'échange souples, fondés sur des conventions tacites entre les principaux acteurs de la filière, de manière à faciliter leur adaptation aux signaux du marché par un ajustement des flux de bêtes à mettre à la vente ou non. Les marchés à bestiaux : un baromètre Lors de notre périple, il nous a été précisé que la majorité des transactions ont lieu sur les marchés les plus proches. Sachant pertinemment que le marché est un lieu de confrontation de l'offre et de la demande qui permet de s'informer sur le niveau des prix, les éleveurs vendent périodiquement un nombre réduit d'animaux sur le marché local. Par ailleurs, la multitude de marchés locaux hebdomadaires dans une région permet le regroupement des bêtes par les maquignons pour les présenter au marché hebdomadaire de la zone de production comme ceux de Djelfa, de Sougueur (Tiaret) et de Sidi Bel Abbès, plus importants en volume de transactions, qui permettent le groupage et le tri avant l'expédition vers les grands centres de consommation comme Oran et Alger. Mode de mise en marché des animaux et articulations des marchés concrets L'exemple de Djelfa en tant que marché régional est typique. Selon des enquêtes effectuées sur le terrain, les six marchés locaux à la périphérie de la capitale de la steppe drainent une partie du bétail échangé sur ces marchés. Les principaux échangistes sont les éleveurs, les éleveurs maquignons, les courtiers et les bouchers locaux. Les maquignons régionaux s'approvisionnent pour 60% auprès des maquignons locaux, pour 33% auprès des éleveurs et pour les 7% restants auprès des courtiers. Ils limitent ainsi les frais de courtage et de prospection, les faisant supporter par les maquignons locaux et les éleveurs. Les bouchers locaux s'approvisionnent aussi bien auprès des maquignons éleveurs que des éleveurs, en plus de leur propre cheptel en écurie. Il devient évident qu'une telle articulation permet des ajustements dans les flux de têtes d'ovins et de bovins à mettre en vente. «Ces ajustements des flux sont fondés sur la connaissance mutuelle des échangistes d'animaux et des règles tacites d'échange acceptées par toutes les parties», est-il mentionné dans le rapport d'enquête. On y lit également : «Ce climat de confiance valide l'échange et garantit la régularité des transactions.» «Cette multitude d'intervenants, à travers des transactions d'importance limitée, facilite l'adaptation des différents agents au moins sur les marchés à bestiaux locaux et régionaux. En revanche, sur les marchés de consommation, où s'exerce une concurrence entre maquignons d'une certaine taille, face aux chevillards et aux bouchers, l'effet prix semble plus déterminant», révèle la même source. En somme, cette chaîne de marchés sur lesquels les pouvoirs publics n'interviennent pas par une réglementation précise obéit à la seule logique de l'offre et de la demande. Structure de l'offre et formation des prix Selon de nombreux connaisseurs, c'est au printemps, plus précisément du mois de mars au mois de mai, que l'offre ovine est la plus élevée sur tous les marchés à bestiaux. Les maquignons stockent pendant trois mois et libèrent l'offre à cette période pour profiter des prix conjoncturels élevés. Quant à l'offre bovine, elle s'accroît en hiver. «Il semble y avoir complémentarité de l'offre ovine et bovine dans l'offre de viande rouge», estiment certains acteurs du circuit de la vente de la viande rouge et blanche. Pour synthétiser, les prix sont à leur minimum annuel en hiver et au début du printemps, alors que ceux de l'ovin le sont au printemps (mars-avril). Quant à l'augmentation du volume des ventes et celle des prix durant la période de grande consommation conjoncturelle qui correspond au mois de Ramadhan, elle se traduit, selon nos interlocuteurs, par un déstockage massif des animaux préparés à cet effet par les maquignons qui accroissent l'offre, laquelle s'accompagne paradoxalement de celle des prix. A noter par ailleurs que d'autres facteurs sont derrière l'instabilité flagrante des prix de la viande, quelle soit rouge ou blanche. Il a été constaté que la plupart des acteurs de la filière essayent de se prémunir contre les fortes variations des prix et des flux par une combinaison d'activités complémentaires sur un ou plusieurs maillons de la chaîne. Ainsi, les maquignons locaux sont souvent éleveurs et, dans certains cas, bouchers. De même que les maquignons–emboucheurs du Nord sont chevillards et la situation inverse est aussi fréquente. Nos interlocuteurs, bien au fait du circuit de la commercialisation de la viande, nous signaleront par ailleurs que «les anticipations sur les risques de l'ensemble des acteurs de la filière déterminent les modes et les périodes de mise en marché chez les éleveurs, l'intensité des interventions des maquignons sur les marchés et les ajustements que font chevillards et bouchers pour s'adapter à la demande en viande rouge». A ce propos, une étude menée auprès de trois régions (Sidi Bel Abbès, Tiaret, Sétif) et sur les marchés concrets auprès de quelques maquignons éclaire sur leur comportement adaptatif et, par conséquent, sur le fonctionnement des marchés concrets. Celles effectuées sur l'abattage et les circuits de commercialisation montrent comment les bouchers abatteurs, pour préserver ou accroître leur marge, recourent à l'abattage non contrôlé, adaptent le volume de leur abattage en limitant les investissements dans les infrastructures. En effet, tout au long de la filière, il est devenu facile de constater que le partage de la marge bénéficiaire résulte de la faiblesse des maillons abattage et distribution de détail. Toujours au chapitre de la formation des prix, les acteurs de la filière évoquent souvent, ces dernières années, la cherté des aliments. Selon des éleveurs, ces trois dernières années, les prix des bovins se sont accrus plus rapidement que ceux des ovins pour la simple raison que les coûts de production des bovins, très dépendants du marché des aliments, ont grimpé plus rapidement que ceux de l'ovin. Non sans nous faire remarquer que l'évolution à la hausse des prix des animaux vient beaucoup plus du fait de la cherté des aliments et de la suppression des subventions aux aliments du bétail et à la limitation de l'importation. Autant d'arguments qui ne tiennent pas la route, pensent certains connaisseurs, car, pour eux, les raisons de la cherté de la viande sont à rechercher ailleurs. Elles résident souvent dans les comportements spéculatifs de nombreux acteurs de la filière, si ce n'est la majorité, qui interviennent dans l'offre avec beaucoup de facilité en l'absence d'un mode de régulation étatique et d'un système de commercialisation du bétail et de la viande clairement défini. Du côté du ministère de l'Agriculture, on parle de mettre en place un système de régulation du marché de la viande. Son application est attendue par les consommateurs qui ne veulent plus se priver de viande fraîche.