La décision de transformer les wilayas déléguées du sud du pays en wilayas et la création de 44 wilayas déléguées dans les Hauts Plateaux répondent plus à des impératifs sécuritaires et à un acte électoraliste qu'à une réorganisation territoriale intégrant des critères économiques précis et une décentralisation réfléchie. Le Conseil des ministres tenu mardi dernier a décidé de ce nouveau découpage en prenant en compte la présentation par le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire (MICLA) d'un projet de loi modifiant et complétant la loi 84-09 du 4 février 1984 relative à l'organisation territoriale du pays. L'annonce de ces décisions a été faite, pour rappel, en juillet 2017 par Abdelmadjid Tebboune alors 1er ministre qui avait précisé que le nombre de wilayas du pays passera de 48 à 58. Deux ans et demi après, il en est ainsi après cette décision de transformer les 10 wilayas déléguées du sud en wilayas à part entière et celle de la création de 44 wilayas déléguées dans les hauts plateaux. Au risque de faire dans la redondance, l'on rappelle que ce nouveau découpage territorial est décidé en l'absence de loi régissant les collectivités locales. Soumis depuis près de trois ans à une révision profonde, les codes communal et de wilaya n'ont toujours pas été adoptés. Mise à part leur transformation en «loi des collectivités locales», les textes sont toujours sur les bureaux du ministère de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire (MICLA). Nouredine Bedoui alors ministre de l'Intérieur en a parlé lors de la réunion gouvernement-walis tenue les 26 et 27 novembre 2018 et aussi durant ses nombreuses sorties sur le terrain. Il avait affirmé à ce sujet que «le projet de loi se doit de répondre aux critères de gestion moderne, de ce qui se fait de par le monde en matière de collectivité locale». Il avait aussi fait part de l'élaboration d'études pour «développer et aménager les wilayas déléguées du grand sud après avoir procédé à l'élargissement des prérogatives de leurs walis délégués pour qu'ils s'acquittent de leurs missions sans se référer aux wilayas mères». Une réorganisation territoriale controversée A cette occasion, il a demandé aux autorités locales de se référer au SNAT (Schéma national d'aménagement du territoire) en matière de compétitivité et d'attractivité des territoires pour faire savoir aux responsables locaux que «la rencontre de 2018 constituera un espace de consultation en termes de promotion de l'initiative économique prise par les collectivités locales, en insistant sur leur capacité dans la production de l'échange selon les critères de l'économie moderne(...).» Tout autant que Bedoui qui avait placé la réunion gouvernement-walis de 2018 sous le thème «une gouvernance décentralisée pour une collectivité locale résiliente, innovante et entreprenante», le communiqué du Conseil des ministres met lui aussi en avant la décentralisation pour justifier ce nouveau découpage territorial qui fait suite à celui entrepris en 2015 par Bouteflika alors président de la République et en application de son programme quinquennal qui prend fin cette année. Bedoui avait souligné en 2018 à cet effet que «les walis délégués ont de très larges prérogatives au plan financier et administratif, y compris celles que les pouvoirs publics ont centralisés dans une période donnée en raison de l'insécurité.» L'on s'interroge alors sur les références légales qui ont permis cet élargissement de prérogatives d'autorités locales en l'absence d'une loi régissant leurs statuts et leurs espaces. Si Bedoui avait eu à préciser que la loi des collectivités locales donnera de larges prérogatives aux P/APC et obligera les secrétaires généraux à appliquer leurs décisions, il ne se prononcera pas cependant sur les nouvelles modalités de collecte de la fiscalité locale. Soumis lui aussi à révision depuis longtemps, le texte codifiant la fiscalité locale n'a pas encore vu le jour. Notons que Bedoui alors ministre de l'Intérieur avait exclu toute idée de régionalisation des territoires alors qu'elle a été présentée dans le rapport que la commission présidée par Missoum Sbih de réforme des missions et des structures de l'Etat élaboré au début des années 2000, comme mode de réorganisation qui lie les wilayas par «affinités territoriales leur assurant une complémentarité de leurs ressources humaines et leurs atouts économiques respectifs pour une diversification et une augmentation de leurs richesses à même de leur permettre une collecte efficace de la fiscalité locale pour un développement socio-économique réussi.» L'on souligne que les nouvelles entités locales sont créées alors que l'Algérie souffre d'un lourd déficit budgétaire et traîne une importante baisse de ses réserves de change. Qui plus est, depuis février dernier, les services spécialisés peinent à collecter les impôts auprès d'une économie nationale pratiquement en panne. «Ces nouvelles entités ont besoin de budgets, de cadres, d'employés et de logistique pour mener à bien leurs missions,» soutiennent des cadres du MICLA. «Les nouvelles entités n'ont aucune assise légales» Les spécialistes «de la locale» réagissent à cette nouvelle réorganisation territoriale de la même manière qu'ils l'ont fait en 2015 à propos de celle qui l'avait précédée. (Voir le Quotidien d'Oran du 18 février 2015). Ils reprennent aujourd'hui les mêmes propos pour affirmer que «la création de 44 wilayas déléguées ou circonscriptions administratives dans les hauts plateaux n'a aucune assise juridique puisque la dénomination n'est codifiée par aucune loi de la République, elles n'ont pas d'assise constitutionnelle parce qu'elles ne sont pas comptées parmi les collectivités territoriales de l'Etat tout autant que la daïra d'ailleurs, elles n'ont aucun ancrage légal». L'article 16 de la Constitution stipule que «les collectivités territoriales de l'Etat sont la commune et la wilaya». Nos sources reprennent d'ailleurs les données répertoriées par la commission Sbih pour souligner que «la création de nouvelles wilayas doit impérativement l'être par une loi dûment adoptée par le Parlement, elle doit prendre en compte, outre le facteur démographique, l'homogénéisation des espaces, ses données géographiques, économiques et sociales, entre autres, la viabilité des ressources existantes, la distance séparant un chef-lieu de wilaya d'un autre...» Ces anciens gestionnaires des collectivités locales s'accordent à dire que «la décision est certes éminemment politique et très électoraliste puisqu'elle est annoncée à quelques jours seulement de la tenue des élections présidentielles, mais ce qui est toujours évident c'est qu'elle est dictée encore une fois par le Haut Commandement de l'ANP en raison de lourdes considérations sécuritaires». Ils avaient affirmé en 2015 que «c'est sur demande des forces opérationnelles militaires en faction dans les régions du sud du pays que la création de nouvelles entités locales a été décidée.» Des propos qui selon eux, sont plus que jamais d'actualité. Ils rappellent en outre, que les territoires du sud sont depuis des années, livrés à la contrebande de tout genre, notamment depuis le déclenchement du conflit malien et la crise libyenne». Nos spécialistes notent encore une fois qu' «avec ses 2,358 millions km², l'Algérie a besoin d'une centaine de wilayas pour pouvoir gérer convenablement ses territoires et faire valoir l'autorité de l'Etat, mais encore faut-il qu'elle ait l'encadrement humain qu'il faut et la logistique et les financements nécessaires pour assurer une gestion rationnelle et efficace de l'ensemble de ses territoires».