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Présidentielle: Les dessous d'une élection à haut risque
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 16 - 12 - 2019

  La victoire de Abdelmadjid Tebboune à l'élection présidentielle, du jeudi 12 décembre dernier, confirme le poids du chef d'état-major de l'ANP et laisse penser que l'Etat profond -toujours agissant- a perdu une nouvelle guerre de positions.
Abdelmadjid Tebboune, président de la République est un scénario qui ne date pas d'aujourd'hui. Lui-même l'avait en tête dès qu'il avait été désigné comme Premier ministre par le président Bouteflika, en mai 2017. Il avait tout de suite voulu changer un ordre établi par les oligarques qui commandaient et qui avaient érigé l'esprit mercantile comme mode de gouvernance. Tebboune s'était précipité pour casser le mythe Ali Haddad. Avant, il était en conflit avec Abdelmalek Sellal alors Premier ministre. Il l'affichait publiquement. C'est ainsi qu'il était devenu dissident d'un clan de décideurs pour nourrir une ambition de succession avérée. Ce qui lui avait fait mériter en 2017 déjà, des appuis soutenus des réseaux sociaux. Deux ans plus tard, cette année, ces mêmes internautes ont tous été sollicités pour animer la toile en faveur de sa candidature à la présidentielle. Dans l'édition du 21 septembre dernier, l'on écrivait que selon ses proches, « l'ancien Premier ministre, plus connu comme ministre de l'Habitat, est à 99% de se présenter aux élections présidentielles, ne lui reste que 1%, la caution du chef d'état-major de l'ANP.»
Le candidat Tebboune ne pouvait venir du néant puisqu'il avait gravi les « échelons » du pouvoir tout au long de son parcours d'« officiel » jusqu'à être désigné Premier ministre par Bouteflika, le 24 mai 2017 en remplacement de Sellal. L'équation a été vite inversée par ceux qui l'ont côtoyé durant ses longs passages, comme autorité locale et dans les différents gouvernements, ceux-là qui connaissent bien les arcanes du pouvoir. Ils nous avaient en effet affirmé qu'« il est sûr que 99% constituent les garanties que Gaïd Salah lui a donné pour qu'il puisse se lancer dans la bataille électorale, sinon il ne s'avancera jamais. « Les deux hommes se connaissaient depuis 1977, année où Tebboune a été nommé secrétaire général à la wilaya de Batna, » rappellent d'anciens responsables des collectivités locales. Le commis de l'Etat qu'il a été pendant de longues années l'a beaucoup servi pour être retenu sur les tablettes du pouvoir réel.
Jeu d'alliances tribales et de confréries
Son CV en précise les étapes. Dès son obtention du diplôme de l'Ecole nationale d'Administration (ENA), en1969, il a bénéficié de diverses nominations dans des collectivités locales comme dans le chef-lieu de la wilaya de la Saoura qui englobait Bechar, Tindouf et Adrar (1969-1971) où il a été administrateur et chargé de mission. En 1974, il a été secrétaire général de la wilaya de Djelfa, en 76 d'Adrar, en 77 de Batna et enfin en 82 de M'Sila. En 83, 84 et en 89, il devient wali successivement à Adrar, Tiaret et Tizi Ouzou. Une fois renvoyé du gouvernement Sid Ahmed Ghozali où il a occupé entre 91 et 92 le poste de ministre délégué aux collectivités locales, il part en 94 carrément s'installer avec sa famille à Adrar, la région de ses beaux-parents. Né à Mechria dans la wilaya de Naâma, et pour avoir servi dans leurs administrations, Tebboune aura conquis l'amitié et l'attachement des habitants de ces territoires authentiques que constituent les régions du Sud-ouest et aussi ceux du Sud et du Sud-est. La naissance de ses parents dans la wilaya d'El Bayadh en a été, aussi, un facteur déterminant. C'est dire qu'il ne lui a pas été difficile de s'assurer les voix de l'ensemble de leurs Chouyoukh, leurs gnadiz (élèves), leurs notables, leurs familles et leurs alliés, dés qu'il a décidé d'être candidat à la présidentielle du 12 décembre dernier. L'histoire de ses premiers pas à l'école primaire et à la Madersa des Oulama de Bel-Abbès, ses études à El Bayadh, à Tlemcen, ses fortes accointances avec les régions fertiles de l'ouest du pays, a été aussi convoquée pour lui témoigner sa gratitude. Les taux élevés des voix dont il a été accrédité dans quasiment les 48 wilayas, entre autres celles du grand Sud, des Hauts plateaux, celles au pied de l'Ouarsenis, de l'Ouest, de la plaine du Cheliff et aux portes du désert, en sont une preuve tangible. Ce qui lui a garanti un score très confortable. Rompu au jeu d'alliances bénies par les tribus et les confréries, Tebboune devait en évidence s'assurer, en premier, de la garantie de réussite la plus sûre, celle que le général de corps d'armée, Gaïd Salah devait lui donner. Ministre de l'Habitat entre de 2012 jusqu'à 2017 où il cumulera le poste de ministre du Commerce par intérim après le décès de Bakhti Belaïb, et Premier ministre à partir du 24 mai 2017, Tebboune se rapprochera encore davantage du chef d'état-major de l'ANP. Son limogeage en août de la même année par le clan Bouteflika pour des raisons qui, à ce jour, n'ont pas été clairement précisées, a été soigneusement répertorié dans les annales du pouvoir. Ceci, même si en 2017, les deux hommes et nombreux d'autres ne pensaient pas que l'Algérie allait ouvrir une page d'histoire tout à fait inédite.
Les signes d'une ascension programmée
L'évidence est que Tebboune était désormais devenu l'homme qui avait une revanche à prendre sur le clan Bouteflika et ses auxiliaires. La démission forcée de Bouteflika, le 2 avril dernier, cèdera la place à une simultanéité d'événements qui permettra à Gaïd de Salah d'incarner le pouvoir et de redéfinir ses appuis. Tebboune en devient la carte maîtresse. Le scénario de son « rappel » se prépare minutieusement. Lors de la commémoration au Palais du peuple, du 1er Novembre 1954, date du déclenchement de la guerre de Libération nationale, il était déjà compté dans le « 1er collège » des invités du pouvoir. « Il était sorti le premier de la salle où se sont rencontrées les plus hautes autorités de l'Etat, entourée d'une forte sécurité, » témoignent des assujettis du système. « Il y a un peu plus d'un mois, il a eu une voiture blindée et une sécurité renforcée,» font savoir des sources à la présidence de la République. Première consigne a lui être donnée en tant que candidat, s'interdire et empêcher d'avoir dans son staff de campagne « les figures de proue des partis politiques du pouvoir et de leurs organisations et associations satellites » mais tous devaient travailler pour sa victoire. Mohamed Laagab, l'enseignant universitaire, analyste politique bien connu, est désigné comme coach du candidat favori. Laagab qui lui est lié étroitement depuis longtemps, a été le premier à annoncer les dates de la convocation du corps électoral et de la tenue de l'élection présidentielle. Gaïd Salah les « proposera » quelques jours plus tard dans ses discours. L'on ne sait qui a initié l'autre. Le décor était, en tout cas, planté pour une élection gagnée d'avance mais crédibilisée par l'assise populaire de Tebboune notamment dans le pays profond. Les réseaux occultes décident alors de perturber le processus électoral en agitant le spectre de la grève, de la désobéissance civile, du chaos même dans l'ensemble du pays. « Ils se refusaient de perdre une guerre de position, celle de (re)conquérir la présidence de la République qui leur permettrait de se réapproprier progressivement et officiellement le pouvoir. Ils se devaient de rebondir pour affaiblir la déferlante Gaid Salah » est-il avancé. Comme propagé par plusieurs réseaux, « le 24 novembre dernier, en pleine campagne électorale, les abonnés du pouvoir ont été instruits pour soutenir Azzedine Mihoubi, » nous renseigne un responsable d'une organisation appelé lui aussi dans une aile d'une caserne. Par qui et pourquoi Mihoubi? L'on nous susurre « par des chefs à Ben Aknoun, à Cheraga…et parce que Mihoubi est considéré comme l'homme du juste milieu au sein du pouvoir. » Il est aussi secrétaire général par intérim du RND où fourmillent les éléments de Toufik, l'ex patron du DRS.
Véritable guerre de tranchées
Plusieurs d'entre eux se sont d'ailleurs imposés dans son staff de campagne pour narguer les militants du parti qui l'ont constitué et qui sont réputés être les dissidents purs et durs de Ouyahia lorsqu'il en occupait le poste de SG. Un « détachement » des services de renseignement a ainsi décidé d'agir pour renverser les équilibres. L'on nous dit que « le soutien de Mihoubi a été expliqué comme répondant à des enjeux géostratégiques et géopolitiques complexes. » Ceux qui ont eu cette explication nous la transfèrent : « c'est un des pays du Golfe, connu pour être un prestataire de services des Etats-Unis, qui a recommandé à des chefs des renseignements algériens de propulser Mihoubi au poste de président de la République en contrepartie d'une enveloppe de 35 milliards de dollars en investissements devant être débloquée immédiatement après son élection. » Une véritable guerre de tranchées commence.
Durant la même période, l'autorité judiciaire décide d'incarcérer l'homme d'affaires Omar Alilet connu pour être proche de Tebboune. Le candidat, en pleine campagne électorale, a aussi été perturbé par l'audition de son fils par le juge d'instruction. Le mois de novembre dernier avait connu d'autres manœuvres. Celles-là d'ordre militaire. « Dans le cadre de l'exécution du programme de coopération bilatérale algéro-russe, au titre de l'année 2019, approuvé par le Haut Commandement de l'Armée nationale populaire (ANP), un détachement de trois navires de guerre de la Marine russe a appareillé, ce dimanche 24 novembre 2019 au port d'Alger, après sa participation à la manœuvre navale conjointe algéro-russe 2019, organisée du 21 au 23 du mois en cours, sur la façade maritime centre (1re Région militaire) », annonçait le communiqué du MDN. « Cet exercice, qui a vu l'engagement par le Commandement des Forces navales d'un groupe de bâtiments de guerre, de moyens aériens et d'un groupe d'assaut des fusiliers marins, a été exécuté en trois (3) étapes incluant des réunions techniques, des entrainements à quai, des manœuvres tactiques et des opérations d'interdiction maritime, ainsi que la mise en place d'un Centre des opérations maritimes conjoint algéro-russe (CMOC) dédié à la conduite de l'exercice. A ce titre, il convient de signaler que l'exécution de ce genre d'exercices périodiques, contribuera à la consolidation des capacités des deux parties dans le domaine de la coopération maritime, à travers des actions communes permettant de faire face à d'éventuels menaces ou dangers pouvant porter atteinte à la sécurité maritime », a expliqué le même communiqué.
Quand les territoires authentiques se démarquent
Ces détails d'une grande importance géostratégique, ont agacé d'autres forces occidentales qui ont un œil rivé sur l'Algérie et qui pensent à corser sa crise politique.
La décision des services de renseignement de soutenir Mihoubi brouille les cartes. « On ne sait quoi faire, on est obligé d'instruire nos troupes pour,» nous disaient des responsables d'organisations qui ont été « appelés.» Le mot d'ordre devait être donné partout, aux partis politiques, à la société civile, aux « indics » de la haute administration. Le FLN avait même rendu public un communiqué de soutien. Raccourci évident, « Mihoubi est une carte pour casser le FLN et le RND, » soutenaient des sources. « Un tel objectif ne nécessite pas tout ce remue-ménage et un aussi fort bras de fer », affirmaient des analystes. « Le pouvoir c'est comme le cerveau, il fonctionne avec deux hémisphères, droit et gauche, chacun veut commander pour régner, et tous les moyens sont bons pour y arriver, » synthétisent de grands observateurs. Pour contrecarrer le plan de soutien à Mihoubi qui a été qualifié de «l'homme du juste milieu entre le Haut Commandement de l'armée et l'Etat profond », en prévision de compromis de taille certains, les services de sécurité ont été mis en alerte maximum par Gaïd Salah. Les autorités locales du pays, en particulier certains walis, étaient sous haute surveillance « pour les empêcher de bourrer les urnes en sa faveur », disent nos sources. En parallèle, des consignes de vote fermes ont été données par le Haut Commandement de l'Armée à l'ensemble des personnels de sécurité. « L'affluence sans pareille vers les bureaux de vote dans les villes garnisons n'a rien d'une vision d'optique, Tebboune y a raflé toute la mise, » soutiennent nos sources. Mais avant, le mot d'ordre en faveur de Mihoubi a été rejeté particulièrement par les notables du Sud-ouest, du Sud et du Sud-est. «Notre parole est comme le coup de feu…, nous l'avons donnée à Tebboune, on ne reculera pas, » ont répondu des chouyoukh et des notables de plusieurs régions.
Le lundi 18 et le mardi 19 novembre, le candidat Tebboune avait animé ses premiers meetings, successivement à Adrar, Bechar et Méchéria. « Ouaaalou! Tous les habitants de ces régions soutiennent Tebboune, parce que c'est le meilleur, » a répondu un notable à une question d'un journaliste. Les dés étaient jetés et les jeux faits.


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