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Elections présidentielles: Des scénarios d'une situation de crise
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 23 - 11 - 2019

  L'Autorité nationale indépendante des élections se trouve, depuis mercredi dernier, face à une situation politico-juridique complexe qui a provoqué des tirs groupés sur le candidat Abdelmadjid Tebboune.
A entendre son porte-parole, l'ANIE se refuse de s'arrêter à un épisode -un autre- que l'institution judiciaire a rendu public mercredi dernier. Il s'agit en toute évidence de l'incarcération du richissime homme d'affaires Omar Alilet à la prison d'El Harrach. Ali Draa s'est contenté jeudi dernier d'affirmer qu'«au 5e jour de la campagne électorale, l'ANIE en fait une évaluation positive, les candidats ont respecté la loi électorale et la charte de l'éthique qu'ils ont signée». Sa deuxième déclaration le même jour concernait les médias à qui il a demandé d'être équitables envers les candidats. Il a ajouté néanmoins «on ne touche pas à la sacralité de la campagne électorale, les candidats doivent respecter les médias et dépasser certaines situations (...)». Rien de fortuit dans ces propos du porte-parole de l'ANIE. Il sait que le candidat Abdelmadjid Tebboune a exclu des journalistes qui couvrent ses déplacements de campagne, un média audiovisuel privé avec qui il n'a jamais eu d'atomes crochus. Ce même média a fait en 2017 du limogeage du 1er ministre qu'était Tebboune par le président Bouteflika, un événement sur lequel il s'est étalé avec les plus mauvaises expressions. Même si Tebboune avait accepté que le média en question l'accompagne lundi dernier à Adrar, il a refusé qu'il en soit ainsi jeudi lorsqu'il a fait Constantine, parce que mercredi dernier, dès les premières fuites sur l'incarcération de Alilet, la TV privée s'est donnée à cœur joie pour faire remonter à la surface des accointances douteuses entre l'homme d'affaires et le candidat. Des journaux en ont aussi fait écho de la même manière.
Tout le monde sait que Alilet a accompagné en août 2017 Tebboune en Moldavie. Ce qui n'était pas accessible mais l'est soudain devenu depuis mercredi dernier, ce sont les photos qui le prouvent et les détails de ce déplacement moldave que le candidat a présenté en octobre dernier, en réponse à une question que nous lui avons posée, comme étant «des vacances privées dans un pays où on ne me connaît pas et où je pouvais marcher librement dans la rue».
Un timing surprenant
L'on sait surtout que des rapports des services du renseignement nationaux et internationaux -précisément français- ont suivi pas à pas ce déplacement privé de Tebboune alors 1er ministre, depuis Paris, sa virée à la Côte d'Azur, ses vacances en Moldavie, ses rencontres, ses discussions et ses actes tout au long de ce périple. Les comptes rendus des deux ont été remis à Bouteflika alors président de la République...
Ce qui est curieux dans ce nouveau acte politico-judiciaire de mercredi dernier est qu'il soit rendu public le 4e jour d'une campagne électorale pour des élections où Tebboune est non seulement candidat mais est présenté comme étant le favori du pouvoir actuel incarné par le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah. Le timing est surprenant quand on sait que c'est une justice qui fait parler d'elle, notamment en provoquant le rebondissement de réseaux qui ont régenté le pays même s'ils ont été étêtés depuis mars dernier. Beaucoup rappellent, dans cet ordre d'idées, le gros mouvement entrepris en octobre dernier par le ministre de la Justice touchant 2.989 magistrats. En a résulté une grève de dix longs jours décrétée par le corps en question et dont le slogan principal revendiquait «une justice indépendante» alors que le nombre de responsables incarcérés en un laps de temps très court a dépassé l'entendement. Un changement d'une telle importance ne peut être fait pour plaire à une profession qui, depuis mars dernier, est mise au-devant d'une scène politico-militaire qui veut se débarrasser «des mines enfouies par l'Etat profond».
Autre fait curieux, dans l'après-midi de la veille du Mawlid Ennabaoui Echarif (le 9 novembre dernier), la télévision publique a diffusé El Kindi, un film réalisé en 2008 où Sid-Ahmed Agoumi campe le rôle d'un responsable de la police judiciaire qui enquête sur la mafia politico-financière, le blanchiment d'argent, des fortunes illicites, l'intelligence avec l'étranger, des affaires codées, des prête-noms... La séquence de la fin, juste une ombre du responsable de l'enquêteur avec une main (en clair) tenant entre ses doigts un gros cigare. «On peut clore le dossier...», lance l'homme au cigare. Après un échange de propos, l'enquêteur annonce à son responsable qu'il veut partir à la retraite.
La réapparition de « l'homme au cigare »
«Si El Kindi, j'ai besoin d'hommes comme toi pour ce genre de dossier et pour d'autres, et tu es quelqu'un sur qui je compte pour une autre affaire», lui répond l'homme au cigare... El Kindi s'exécute par un salut militaire...
L'on sait tous que les 5 candidats sont issus d'un système qui a fait de la fraude électorale un mode de gouvernance. Mais Tebboune fait l'objet d'une «attention» bien particulière de nombreux milieux qui lui prédisent une descente aux enfers avant le 12 décembre prochain.
Ce qui les a d'ailleurs poussés à s'empresser de prévoir la dislocation du processus électoral à cause des tirs groupés dont il fait l'objet depuis mercredi dernier. L'on sait que des défections de personnel des QG de campagne des 5 candidats ont lieu depuis le déclenchement de la campagne électorale. Mais l'on a appris aussi que des soutiens qui ne juraient que par Tebboune ont, deux jours avant l'incarcération de Alilet, changé de veste pour s'allier au candidat Benflis. L'on nomme à cet effet, entre autres, Chihab Seddik, l'ancien porte-parole du RND qui a mobilisé en faveur de Tebboune de nombreux PAPC qu'il a lui-même placés en tant que tels mais qu'il vient de retourner en faveur de Benflis. Nos sources affirment cependant qu'il a été demandé à «ces transfuges» de la dernière heure «d'attendre avant de changer de position». L'on ne nous dit pas de qui doivent-ils attendre le feu vert pour le faire. Tout au début du lancement du processus électoral, l'on a eu écho des premiers pronostics du prochain scrutin. «A mon avis, on ira vers un 2e tour entre Mihoubi et Belaïd et c'est ce dernier qui va prendre», nous a dit un haut responsable d'une importante institution. Les observateurs, eux, refusent de croire en l'éventualité d'un 2e tour «tant la situation est délicate, le chef d'état-major ne va pas se risquer à attendre encore pour introniser un président de la République». L'on s'attend très prochainement à ce que des coalitions et des alliances se composent pour faire barrage à Tebboune qui devra faire face à des assauts sans précédent sur les réseaux sociaux et même dans la rue.
L'heure du compromis
Ce sera ce mouvement anti-Tebboune qui interpellera tous les opportunistes de ce pays pour se ranger derrière un autre candidat qui sera «l'élu du pouvoir» dès qu'il leur soit permis de le faire. L'heure du compromis semble être avancée, au regard de l'évolution des événements et de la complexité de la situation.
Visiblement, les 5 candidats ne se surpassent en rien. Leurs discours électoraux sont des purs produits d'une langue de bois qui a berné le peuple depuis la nuit des temps. Les petites gens sont en général ramenées des localités limitrophes aux chefs-lieux où sont programmés leurs meetings électoraux. Ils promettent beaucoup de choses mais savent pertinemment que rien ne se fera sans l'aval de l'armée. «Tous manquent d'envergure, tous seront des présidents affaiblis», affirment des politiques. A ceux qui pensent que le processus électoral risque d'être suspendu après l'épisode Alilet, il est dit qu'«à partir d'Alger, le prisme est déformant, Gaïd Salah sait qu'à l'intérieur du pays, les gens votent, le processus va se poursuivre». Mais nos interlocuteurs ne cachent pas «leur souci de voir le pays sombrer dans la difficulté et surtout dans l'inconnu» et affirment «souhaiter vivement qu'il y ait une prise de conscience de l'institution militaire pour réfléchir à une instance collégiale constituée de généraux compétents pour conduire le pays vers une véritable sortie de crise politique, il faut au moins 5 ans pour remettre les choses en place et permettre l'émergence d'une classe politique capable de prendre le relais avec intelligence».
L'on entend dire que «beaucoup veulent faire rééditer le scénario de 99 où tous les candidats se sont retirés pour ne laisser que Bouteflika». Mais contrairement à 99, pour cette fois, il ne sera pas possible de tenir des élections «sinon, la révolte va s'amplifier», pensent des responsables.


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