Considéré comme un véritable plan de guerre contre le coronavirus, le discours du chef de l'Etat à la Nation est venu recadrer hésitations, craintes et psychose par la prise de décisions courageuses, une assurance nécessaire et une fermeté impérative à la construction réelle d'un Etat de droit où le civisme doit être une règle primordiale. Abdelmadjid Tebboune était mardi soir dans son véritable rôle d'autorité suprême du pays. Il s'est adressé à la Nation avec le ton et le verbe qu'il faut pour une conjoncture qui ressemble à plus d'un titre à un état de guerre. Il a rappelé que l'Algérie ne vit pas en autarcie mais subit bien les conséquences de tous les fléaux qui s'abattent sur le monde. «L'Algérie traverse, aujourd'hui, une autre épreuve véhiculée par le nouveau «coronavirus» qui se propage dans plusieurs pays du monde », a noté dans ce sens le président de la République. Et parce que «la santé étant pour l'homme le plus précieux des bienfaits, et la santé du citoyen, son bien-être et sa dignité, les plus importants à préserver pour l'Etat », il a rappelé que «depuis l'annonce de l'apparition de ce virus en Asie, l'Etat a pris des mesures urgentes et préventives à même de pouvoir faire face, de manière efficace, à cette épidémie si elle venait à se propager dans notre pays ». Il a noté à cet effet que «(...), une telle situation nous a amenés à décréter un semblant d'état d'urgence au niveau de tous les établissements et unités hospitalières pour éviter que le virus ne se propage, à l'instar de ce qui a été fait dans des pays européens disposant d'une plus grande expérience ». Le chef de l'Etat n'a ainsi pas pris de gants pour affirmer sans complexe à la Nation que l'Algérie n'a rien inventé mais a appliqué à la lettre les mesures déjà prises par le monde moderne et développé. La précision valait la peine face à des populations qui doutent de tout et pensent surtout qu'elles sont immunisées contre les maux contemporains. Tebboune sait que les mesures qui avaient été prises jusque-là par le gouvernement sont contournées par des attitudes et comportement de citoyens qui refusent d'admettre que le virus est une véritable menace contre leur vie, celles de leurs proches et celles de l'ensemble des Algériens. «Nous avions suivi la propagation de cette pandémie, depuis son apparition à des milliers de kilomètres loin de nos frontières, en focalisant sur la prévention qui, de l'avis de tous les spécialistes algériens et experts internationaux, demeure l'unique antidote à même d'endiguer la propagation de cette pandémie, une entreprise dans laquelle le citoyen joue un rôle pivot », a-t-il souligné. Tebboune veut plus de fermeté et de rigueur Il indique ainsi à tout le monde que seule la prévention est pour l'heure ce palliatif unique contre un virus sournois et rampant. En faisant savoir à la nation que «j'ai présidé, il y a quelques heures, une réunion sur les répercussions de la propagation de cette pandémie, en présence du Premier ministre, de nombre de ministres et de hauts responsables concernés directement par la question », le chef de l'Etat a certainement voulu montrer qu'il faille plus de fermeté et de rigueur pour que l'ensemble du pays se mobilise pour faire de la prévention une seconde nature. Il affirme bien cet état d'esprit par sa décision, à l'issue de sa réunion du mardi, de mettre immédiatement en œuvre 12 mesures, les unes plus importantes que les autres. 1- Fermeture de toutes les frontières terrestres avec les pays voisins avec éventualité d'autoriser des déplacements de personnes dans des cas exceptionnels, de commun accord avec les gouvernements des pays concernés. 2- Suspension immédiate de tous les vols de et vers l'Algérie, à l'exception des avions cargos ne transportant aucun voyageur. 3- Fermeture immédiate de la navigation maritime, à l'exception des navires de charge transportant des marchandises et des biens. 4- Désinfection immédiate de tous les moyens de transport public aux niveaux national et de wilaya, ainsi que les stations de transport de voyageurs. 5- Interdiction des rassemblements et des marches quelles que soient leur forme et leur nature et isolement de tout endroit suspecté d'être un foyer de la pandémie. 6- Interdiction d'exportation de tout produit stratégique, soit-il médical ou alimentaire jusqu'à la fin de la crise, à l'effet de préserver les réserves stratégiques nationales. 7- Suspension de la prière du vendredi et des prières collectives et fermeture des mosquées avec maintien de l'appel à la prière à la demande de la Commission de la Fatwa avec l'aval de nos éminents cheikhs et oulémas. 8- Lutte et dénonciation des spéculateurs qui exploitent, sans scrupule, l'état de panique générale pour stocker les produits de base dans le but de susciter une pénurie et augmenter les prix. 9- Recherche et identification des personnes défaitistes qui s'attellent à faire circuler des fake news pour semer l'anarchie et maintenir le citoyen en état de panique. 10- Augmentation de la capacité des hôpitaux à transformer nombre de lits en lits de réanimation, en cas de nécessité. 11- Mise en place d'un dispositif ORSEC à long terme, pour éviter la réapparition de ce genre d'épidémie. 12- Intensification des campagnes de sensibilisation à travers les médias, avec implication d'éminents spécialistes et savants. Une question de «sécurité nationale» Ces décisions confirment mais surtout élargissent et renforcent celles prises, rappelle le président de la République, « par le dernier Conseil des ministres à la faveur du renforcement des mesures de contrôle en ascension dans les aéroports, les ports et les frontières terrestres, voire même la suspension momentanée des dessertes aériennes et maritimes vers l'étranger, la fermeture des écoles, des universités, des jardins d'enfants et des crèches, outre le gel des activités dans les salles fermées et ouvertes, les lieux de loisirs, les salles de fêtes et tous les endroits surpeuplés tels que les marchés hebdomadaires et autres... ». C'est donc un véritable plan de guerre que Tebboune initie et oblige à son exécution pour «prévenir que guérir». Nous disposons actuellement, fait-il savoir, de 1.550.000 masques de différents types, parallèlement à l'acquisition en cours de 54 millions de masques supplémentaires, 6.000 tests de dépistage et 15.000 autres en cours d'acquisition.- Plus de 2.500 lits de réanimation, un nombre appelé à augmenter en cas de nécessité pour atteindre 6.000 lits avec la garantie de 5.000 respirateurs artificiels ». Au regard de l'urgence qui caractérise la mise en œuvre de ses décisions, il tient à rassurer la Nation que «l'Etat demeure fort, pleinement conscient du caractère sensible de la conjoncture, à l'écoute des préoccupations des citoyens, soucieux du respect des libertés et des droits, et tout autant responsable de la protection des personnes et des biens, y compris la protection sanitaire, la garantie des soins médicaux (...) ». Il atteste que «même si cette pandémie venait à passer au stade III, vous devez savoir que nous avons pris toutes les mesures nécessaires et nos capacités opérationnelles sont intactes et non encore exploitées, au niveau de l'Armée nationale populaire (ANP), mais aussi au niveau de la Sûreté nationale, les espaces économiques à l'instar des foires pouvant être aménagés en centres d'isolement, au même titre que les édifices et structures publics », indique-t-il. Appel à la solidarité, à la discipline et à la compréhension Ses précisions sont en évidence un appel pressant à la vigilance citoyenne parce que «la pandémie relève de la sécurité sanitaire nationale, même si cela impliquerait la restriction temporaire de certaines libertés, la vie humaine étant au-dessus de toute autre considération », affirme-t-il. Il en appelle alors au sens de la responsabilité du citoyen en lui recommandant de «s'acquitter de son devoir de se protéger et de se conformer scrupuleusement aux règles d'hygiène et aux mesures préventives prises par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière en collaboration avec la commission nationale présidée par le Premier ministre et regroupant tous les départements ministériels concernés et les services de sécurité». Il exhorte au même titre à «la solidarité, la discipline et la compréhension des citoyens, notamment le signalement des cas suspects pour que ces derniers ne contaminent pas leurs proches, voire les passants dans la rue ». Il refuse cependant que l'Algérie sombre dans la panique et la psychose. « Je vous rassure, dit-il à la Nation, l'heure n'est pas à l'alarmisme, ni à la peur, la situation est sous contrôle et tous les organes de l'Etat sont en état d'alerte maximale pour faire face à tout imprévu. Il n'est point nécessaire de se ruer sur les commerces pour acquérir et stocker les produits alimentaires. Il ne faut pas non plus croire les fake news, ni les rumeurs tendancieuses, c'est pourquoi j'ai donné des instructions pour dénoncer les spéculateurs et les auteurs de ces rumeurs pour les traduire en justice ». Le courage politique dont a fait preuve mardi le président de la République en décidant de telles mesures, entre autres « la restriction temporaire de certaines libertés » au nom de «la sécurité sanitaire nationale », doit devenir une arme de gouvernance absolue et implacable pour l'ensemble des autorités nationales et locales. Les spéculateurs dont parle Tebboune, les espaces commerciaux en regorgent. La flambée des prix des produits alimentaires, fruits et légumes, en est la preuve. La pomme de terre qui se vendait à près de 30 DA est depuis quelques jours à 90 DA. Les charognards affolent la mercuriale Pour cette fois, la folie de la mercuriale n'a rien à voir avec l'approche de Ramadhan ou de quelconques conditions climatiques. Elle est un moyen pour les charognards de s'enrichir sur le dos d'un peuple qui est en train de dépenser d'importants budgets pour stocker de la nourriture. Paradoxe des temps, les citoyens pensent à remplir leur ventre mais refusent de croire que la prévention contre le virus leur sauve la vie. Il semble cependant qu'«à toute chose malheur est bon ». La sécurité sanitaire nationale constitue aujourd'hui le cœur des préoccupations des décideurs tant son éventuelle atteinte risquerait de déstabiliser fortement le pays. Elle implique une prise de conscience citoyenne qui manque terriblement à la construction d'un Etat de droit. «Il est temps de réfléchir sur le comportement du citoyen. Le GRC (Groupe de Réflexion Comportemental) est donc un élément novateur qui va réfléchir sur le comportement de l'Algérien », prône le président du CNES dans une interview parue dans l'édition d'hier. Redha Tir estime que «le problème pour nous ne réside pas que dans les politiques publiques(...) mais on aura besoin d'analyser, d'identifier, surtout de décortiquer le comportement de l'Algérien dans tous les domaines pour éviter les règles déviantes ». Pour lui «l'exemple de la circulation routière (qui) est un drame pour nous » dépasse tout entendement. Le coronavirus pourrait être ce déclic qui obligerait les décideurs à gouverner avec rigueur, fermeté et assurance. Ce qui mettrait fin à l'anarchie «organisée» qui sévit dans le pays et bannirait l'impunité pour ériger un nouveau système politique qui récompense l'effort constructif et punit «les déviants» de l'ordre de l'Etat de droit. La décision du président de la République de traduire en justice « les spéculateurs et les auteurs de rumeurs tendancieuses » devrait amorcer ce cycle de changement. Son discours à la Nation en serait une première feuille de route.