Le brusque emballement de la scène politique et militaire libyenne risque de donner à la crise que vit ce pays de nouvelles orientations qui bouleverseraient profondément l'échiquier des belligérants et des intervenants dans sa résolution. Fayez Mustapha Esserraj, président du gouvernement national (Ouest de la Libye) et Akila Salah Aïssa, président du parlement de Toubrok (Est de la Libye) ont signé jeudi séparément deux communiqués dont les contenus convergent en certains points mais divergent sur d'autres importants. En effet, ils s'accordent tous les deux à appeler «toutes les forces militaires à un cessez-le-feu immédiat, à l'arrêt de toutes les opérations de guerre, au retrait de toutes les forces étrangères, la dissolution des milices et le départ des mercenaires (...), à l'unification de toutes les institutions nationales sous l'égide des Nations Unies», selon des recommandations de la conférence de Berlin et ce qui a découlé des négociations au sein des 5+5. Le président du parlement ajoute comme «superviseur» de toutes ces actions «l'administration américaine» ainsi que «tous les pays qui œuvrent pour la paix et la stabilité de la Libye». Les deux parties veulent aussi que les champs pétroliers continuent d'être exploités et les ports à exporter le pétrole libyen(...). Mais à propos de ce point, Esserraj recommande que les rentrées pétrolières doivent être versées dans un compte spécial de la compagnie pétrolière libyenne(...) et qu'elle seule doit assurer la sécurité des gisements. Esserraj fait part tout autant que Akila de l'exigence de la tenue d'élections parlementaires et présidentielle mais à la seule et importante différence que le premier veut qu'elles aient lieu en mars prochain et le second ne leur fixe pas de période précise. Akila veut faire partir Esserraj Le point le plus divergent entre les deux antagonistes est incontestablement ce que veut Akila, à savoir que «Syrte doit être le siège du nouveau conseil présidentiel libyen qui devra se composer en plus d'un président, de vice-présidents et de représentants de régions libyennes ». Sa référence est l'accord de Skhiret mais aussi la dernière initiative de l'Egypte. Le départ d'Esserraj est sous-entendu par Akila. Ce qui remet profondément en cause la volonté et les velléités de l'une et de l'autre partie en conflit à vouloir régler la crise de leur pays. L'exclusion d'Esserraj «sans préavis» augure de mauvais moments pour la Libye. Dans ce chambardement de sa scène militaire et politique, le maréchal Khalifa Haftar semble observer attentivement ce qui se fait. Il a dû recevoir des instructions pour ne pas s'en mêler du moins officiellement et publiquement. Fortement soutenu politiquement, militairement et financièrement par l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la France et les Emirats Arabes Unis, Haftar ne va pas rester sans aucun rôle dans le nouvel échiquier qui semble prendre forme au fur et à mesure que l'Est et l'Ouest libyen sont repositionnés. Ceci, sans compter que le président du Haut Conseil d'Etat libyen, Khaled Al Mechri (Ouest de la Libye), a lui appelé au même moment à la reprise des négociations entre les antagonistes libyens au Maroc sous l'égide du roi Mohamed VI. Le Maroc, faut-il le rappeler, a participé pendant longtemps dans la coalition militaire constituée par les pays du Golfe sous l'égide de l'Arabie Saoudite pour faire la guerre aux Houthis dans le Yémen. L'on interroge alors s'il y a une quelconque relation de cause à effet entre l'accord de coopération globale entre les EAU et Israël et ces nouvelles évolutions politico-militaires libyennes. Analystes, observateurs et médias moyen-orientaux en font déjà part. Des rappels insidieux sont faits par des Israéliens entre autres que les Emirats possèdent l'armement militaire aérien le plus efficace dans la guerre en Libye, la présence de mercenaires colombiens que ce pays a envoyés au Yémen, son rôle dans l'enlisement de la Syrie dans les guerres fratricides sans compter que son armée est dirigée par un général australien. DU GMO à l'OTAN du Sud L'un des responsables de la sécurité des Emirats a déclaré jeudi qu'il serait judicieux de reconstituer la Ligue des Etats arabes en une «Ligue des pays du Moyen-Orient» avec Israël comme nouveau membre. En 2018, l'OTAN a mis au point une stratégie pour englober les pays de la rive sud de la Méditerranée ou MENA (Moyen-Orient-Afrique du Nord) sous une seule appellation «le Sud». Une OTAN du Sud ou un Sud atlantiste, peu importe le nouveau identifiant, mais il s'agit de la décision prise par les pays membres de l'Organisation atlantiste de régenter -aux côtés d'Israël- l'ensemble des pays arabes de la région y compris ceux du Golfe. Tous doivent être remontés contre l'Iran pour participer «activement» à sa destruction. Les pays du Golfe sont déjà en guerre contre «le péril perse» et ce depuis de longues années. «C'est l'Iran qui est votre ennemi et non Israël», affirment souvent Américains et Israéliens aux Arabes. L'éclatement de la Libye, le Yémen, la Syrie, le Soudan et le Mali et son dernier coup d'Etat n'ont rien de fortuit. Entre une OTAN du «Sud» et un GMO (Grand Moyen-Orient) agissants, actifs et entreprenants, il y a une volonté de découper le monde arabe et musulman de Tanger à Kaboul en petits Etats dociles. Les Atlantistes eux parlent de regrouper la région de «la Mauritanie au Golfe» sous une seule identité pour pouvoir les régenter sur la base d'une seule stratégie avec les mêmes moyens de pression. En attendant, Gaza la palestinienne vit son neuvième jour de bombardements israéliens. La Palestine vient d'être cédée sous l'autel d'un vulgaire accord israélo-émirati. «La transaction du siècle» dictée par Trump et Netanyahu n'en est pas une, elle est pire. C'est un nouveau mode de colonisation et de partage du monde arabe et musulman. La Libye en est la parfaite démonstration.