«Là-bas, les arbres ont de l'instruction», chantait l'illustre barde national dont la popularité est telle qu'il n'est nul besoin de mentionner le nom. Véritablement, là-bas, les arbres obéissent à une telle symétrie qu'on dirait des sentinelles au garde-à-vous, des arbres qui ne se laissent titiller que par la brise. C'est que ces arbres ont été à la bonne école ainsi que les panneaux de signalisation, les caniveaux, les autoroutes, les trottoirs et tout le reste. Là-bas, même les mendiants et les marginaux ont bien appris la leçon et ne s'aventurent point dans les grandes surfaces et encore moins dans les lieux que fréquente la bonne société. Ici, les arbres n'ont pas eu la chance d'aller à l'école pour y apprendre les bonnes manières. A peine plantés, on les arrache abruptement et quand ils font montre de résilience, on fait en sorte qu'ils zigzaguent. Ici, les routes sont si généreuses qu'elles préfèrent absorber les eaux pluviales que de les évacuer à droite ou à gauche faute de la nécessaire déclivité. Les nids-de-poule sont légion et même les autoroutes en présentent par endroits et, par ailleurs, présentent des parties entièrement affaissées. Les trottoirs ont un faible pour les bosses et sont fort souvent défoncés malgré le carrelage bon marché qui semble posé là par quelque novice sans rien pour l'unir au sol. Quand ils ne sont pas squattés par des voitures, ils sont souvent annexés aux maisons et boutiques attenantes. Bien des fois, des poteaux électriques viennent leur imposer leur diktat et se placer au beau milieu. Ces poteaux le font aussi avec les chaussées, mais sont aussi souvent pris en captivité par les balcons des nouvelles bâtisses. Les caniveaux et les avaloirs ont acquis la réputation de s'insurger en hiver lors des pluies torrentielles surtout. Alors, ils s'offrent les feux de la rampe et sont tout à coup choyés et entretenus par tout le monde. Les poubelles ont le chic de ne pas tenir en place et se laissent renverser à même le milieu de la chaussée au grand plaisir des automobilistes qui trouvent là une occasion pour faire des zigzags en pleine ville. Pour dissuader les disciples de Bacchus d'y picoler, les riverains des routes utilisent les tessons des bouteilles laissées sur place pour jalonner les bas-côtés et faire fuir ainsi les pneus. Les balcons abondent de pots de plantes et fleurs qu'on arrose sur la tête des passants qui ne s'étonnent plus de voir une eau nauséabonde se déverser sur leurs tenues endimanchées. Les dos-d'âne sont agressifs et s'en prennent au soubassement des voitures même quand celles-ci passent au ralenti. Là-bas, les transports publics arrivent pile-poil alors qu'ici, même les aéronefs affectionnent les retards. Ici, les jardins sont malfamés, les places publiques sont sitôt inaugurées sitôt délabrées, les gradins des stades transformés en arènes pour joutes oratoires à base de jurons et autres blasphèmes qui font retourner les morts dans leur tombe. Ici, les arbres n'ont pas d'instruction et requièrent une campagne d'alphabétisation qui ne fera pas dans l'exclusion et s'intéressera surtout aux planteurs desdits arbres, aux flâneurs, aux hittistes, aux cols blancs, aux cols bleus, aux mioches, à presque tous en somme.