La capitale des Hauts-Plateaux a perdu ses repères au même temps qu'elle a perdu de sa splendeur. Sétif, ville séculaire avec son carrefour et son pôle économique géostratégiques et incontournables, subit le revers de la médaille et paye chèrement son statut de ville refuge. C'est avec beaucoup de nostalgie et d'amertume que les Sétifiens observent, impuissants et dépassés, la triste image de la cité d'Aïn El Fouara, transformée en gros souk où les transactions commerciales douteuses sont légion. Ce qui a produit l'enrichissement rapide de certaines gens, où le seul credo est la réussite sociale, ostentatoire et agressive, par n'importe quel moyen. Sétif subit ce fatalisme. Jamais le dicton “les apparences sont souvent trompeuses” n'a été aussi pertinent et collé à la peau de la ville. Les visiteurs d'un jour ou de quelques heures sont subjugués, voire envoûtés par un charme de façade qui voile une cité pourtant minée et gangrenée par de multiples maux. Les cités-dortoirs, dénommées froidement 600,1000, 1014, 300, 750, 240, 80... logements, où les êtres sont devenus de simples quotas, les lotissements et autres coopératives qui ont poussé comme des champignons, les centres commerciaux qui fleurissent à la place des rares cinémas existants, les librairies transformées en fast-foods, les vides sanitaires en salons de coiffure et pizzerias, les trottoirs détournés de leur véritable vocation et où faire ses emplettes, relève de l'exploit. À ce désastre urbanistique et social s'ajoutent de nouvelles mœurs et comportements favorisés par la passivité et la complaisance des responsables locaux, donnant lieu à une floraison de placards publicitaires vantant les mérites de tel ou tel produit. Ce phénomène a atteint des professions aussi nobles que la médecine, la justice... Vous en avez de toutes les dimensions, de toutes les couleurs. Des panneaux de 5 m2 accrochés aux... arbres, murs, poteaux électriques, balcons, rambardes, allant jusqu'à éclipser les plaques de signalisations. On pourrait presque lire la ville à travers ces plaques anarchiques, sur lesquelles le dentiste, le pharmacien, l'avocat, le mécanicien, le gargotier, le gynécologue, le notaire, le taxiphone, le salon de coiffure, le neurologue, le magasin de pièces détachées, le cybercafé font bon ménage avec les bizarreries de l'orthographe française (Ristoran, Vulganisation, taulier...) L'essentiel étant de se faire connaître. Devant ce désordre impeccable, la capitale des Hauts-Plateaux attend toujours. En matière d'urbanisme, les choses sont loin d'aller dans le bon sens et on pourrait même affirmer qu'elles se dégradent chaque jour davantage. Devant des pouvoirs publics imperturbables, l'anarchie s'installe et s'accommode bien avec l'absurde. Une virée dans les cités qui ceinturent la ville vous laissent tout simplement pantois. Presque tous les rez-de-chaussée des immeubles ont été confisqués par les locataires. Ils se sont d'une façon délibérée octroyé le droit d'ériger des jardins, les délimitant, qui par une muraille, qui par un “barraudage”, qui par un grillage métallique, transgressant ainsi la réglementation qui régit le domaine public. D'autres installent de nouvelles ouvertures, tout en supprimant les issues et les portes d'accès qui figurent sur le plan originel. Dans certaines cités, de véritables villas ont vu le jour avec un mur d'enceinte, un garage et une entrée individuelle ornée de sculptures importantes en pierres. Farid Benabid, Liberté