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Comment le coronavirus accède-t-il au cœur de nos cellules ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 09 - 11 - 2020

S'il est évident au regard de la réalité que les virus atteignent nos cellules et nous rendent malades, il est légitime que l'on cherche à comprendre par quel mystère ces particules de matière organique non vivante peuvent pénétrer au cœur de nos cellules.
Nos cellules seraient-elles sans défense face à ces envahisseurs ? Seraientelles des passoires qui ne filtrent que peu de choses ? Seraient-elles aveugles au point de ne pas détecter le danger viral ? Y aurait-il des failles que les virus mettent à leur profit pour s'engouffrer à l'intérieur de nos cellules et les endommager ?
Nos cellules sont sélectivement perméables mais parfaitement étanches aux substances étrangères
S'il n'en était pas ainsi, nos cellules n'auraient pas la moindre chance de tenir longtemps ! On peut imaginer la situation de cellules non étanches, elles ne conserveraient pas leur contenu et elles laisseraient passer n'importe quoi et périraient assez vite ! Nos cellules sont des structures solides, dynamiques, flexibles et surtout sélectives vis-à-vis des substances qu'elles laissent entrer et sortir. Les couches qui entourent le contenu cellulaire, appelées membranes biologiques, sont un rempart vis-à-vis du milieu extérieur. Elles permettent l'échange de substances liquides, solides ou gazeuses avec le milieu externe et la communication avec les autres cellules, comme la communication qui se passe entre les cellules nerveuses et nos fibres musculaires. Pour ces fonctions, nos cellules comportent différents récepteurs associés à différents canaux ou pores (« trous ») qui traversent les membranes cellulaires de part en part. Les canaux ou pores permettent l'entrée et/ou la sortie de substances particulières : des solides, des liquides et des gaz. L'eau, les sucres simples, les acides aminés, les vitamines, les sels minéraux, l'oxygène, les médicaments sont admis dans la cellule par différents mécanismes. Le gaz carbonique, l'urée, les résidus de l'activité cellulaire, sont expulsés par la cellule à travers des pores spécifiques. Pour la communication cellulaire, des récepteurs situés à la surface de nos cellules reçoivent des substances destinées à provoquer une activité cellulaire particulière, comme la contraction musculaire, ou propager l'influx nerveux. Ainsi, nous percevons des milliers sinon des millions d'odeurs et de saveurs grâce aux récepteurs de nos cellules olfactives et gustatives. C'est ainsi aussi que communiquent nos cellules nerveuses entre elles ou avec d'autres cellules. La cellule nerveuse produit une substance (un signal) qui est perçu par une autre qui dispose du récepteur correspondant à cette substance. L'interaction entre les deux provoque la réponse cellulaire adéquate. On voit ainsi se dessiner un schéma très simple : signal chimique '™ récepteur membranaire '™ réponse cellulaire. L'insuline est une hormone bien connue pour son effet sur l'assimilation du glucose. Sa présence (due à un bon fonctionnement du pancréas) permet l'entrée du glucose dans les cellules à travers la membrane cellulaire et son absence se traduit par une accumulation du glucose dans le sang et par conséquent l'apparition du diabète. L'insuline qui circule dans le sang réagit avec son récepteur situé sur la couche externe de nos cellules et permet l'ouverture du canal de transport du glucose (GUT, pour glucose universal transporter) vers l'intérieur de ces cellules et son assimilation. De la même manière, il existe des canaux de transport des différents nutriments, comme les acides aminés, les vitamines, les sels minéraux, etc. Ceci pour le bon exemple. Pour le mauvais exemple, nous citerons le cas de la nicotine contenu dans le tabac et qui pénètre les cellules de nos poumons avec la fumée de cigarettes. Cette substance étrangère à nos cellules a la particularité chimique de réagir avec un certain type de récepteurs de nos cellules nerveuses. En temps normal, ces récepteurs de nos cellules nerveuses réagissent avec une substance naturelle, l'acétylcholine, (une hormone neurotransmetteur) produite par d'autres cellules nerveuses pour assurer une communication cellulaire rapide au niveau du système nerveux. La nicotine possède une affinité chimique pour ces récepteurs plus grande que la substance naturelle produite par notre organisme. Une fois arrivée dans notre organisme, la nicotine « bouscule », pour ainsi dire, l'acétylcholine et prend sa place pour jouer le rôle de neurotransmetteur non naturel. L'organisme s'habitue à cette situation et devient dépendant de la nicotine. Revenir en arrière n'est pas facile.
Et pour les virus alors ?
Les virus ne sont pas une substance de la simplicité de la nicotine et pourtant ils finissent par entrer au cœur de nos cellules ! Est-ce par une attaque qui dégraderait chimiquement la membrane étanche de nos cellules ? Est-ce à cause de leurs tailles infimes? Le coronavirus mesure autour de 100 nanomètres (10 mille fois plus petit que le millimètre), alors qu'une cellule humaine (exception faite des cellules nerveuses et musculaires) fait environ 20 micromètres, soit 50 fois plus petite que le millimètre. Il y a donc un facteur de 200 entre les deux entités : en moyenne, le coronavirus est 200 fois plus petit que nos cellules, mais ce n'est pas sa petite taille qui l'aide à franchir leurs membranes.
On a vu plus haut que l'insuline réagit avec son récepteur et ouvre le canal transporteur du glucose pour que celui-ci traverse la membrane et entre dans le cytoplasme où il sera utilisé comme carburant cellulaire. Plusieurs autres hormones (50 environ) agissent dans le corps humains pour remplir des fonctions vitales : l'hormone de croissance agit à travers ses récepteurs pour stimuler les fonctions de croissance de l'organisme; la prolactine agit aussi pour contrôler la sécrétion du lait maternel dans les glandes mammaires; la mélatonine est liée au sommeil; le cortisol et l'adrénaline sont liés au stress; la sérotonine active la libération de l'énergie stockée dans les cellules, etc. Toutes ces hormones ont, pour agir, des récepteurs auxquels elles s'attachent pour produire leurs effets. Pour les hormones hydrosolubles comme l'insuline, ces récepteurs sont à la surface externe de la membrane cellulaire. Pour les hormones liposolubles (comme le cortisol, l'aldostérone, etc.) qui peuvent traverser la membrane cellulaire faite d'une double couche lipidique, leurs récepteurs sont à l'intérieur de la cellule même. La liaison d'une hormone particulière avec son récepteur spécifique déclenche une réponse cellulaire appropriée. Et l'eau alors ? Bien qu'elle constitue l'une des molécules les plus petites, l'eau ne passe pas librement à travers la membrane de la cellule, à cause de sa polarité incompatible avec les phospholipides de la membrane. Elle traverse la membrane cellulaire grâce à des transporteurs spécifiques (les aquaporines) qui ont la particularité chimique de permettre à l'eau d'entrer dans la cellule malgré son incompatibilité chimique avec les constituants de la membrane cellulaire.
Mais que vient faire ici le coronavirus ?
En effet, sans ce préambule, il aurait été difficile d'expliquer comment le coronavirus arrive jusqu'au cœur de nos cellules sans éveiller, du moins instantanément, le système de défense qui nous protège. Sur le même modèle que nous avons vu pour le fonctionnement des différentes hormones, c'est-à-dire : signal chimique (hormones par exemple) à récepteur membranaire (protéines de la surface membranaire externe) à réponse cellulaire (ensemble de réactions chimiques), l'équilibre hydrominéral et la pression artérielle sont contrôlés par un groupe d'hormones, parmi lesquelles se trouvent la rénine (produite par les reins), l'aldostérone (produite par les reins aussi) et l'angiotensine produite par le foie. Elles ont plusieurs rôles mais le plus important est celui d'élever la tension artérielle et contracter les vaisseaux sanguins pour répondre aux besoins de l'organisme. L'hormone qui agit à l'inverse de ces substances en diminuant la pression artérielle est l'hormone ou le facteur peptidique atrial sécrété par le tissu cardiaque. Dans le système rénine-angiotensine-aldostérone, l'angiotensine 1 est transformée en angiotensine 2 qui s'avère être une substance très active dans l'augmentation de la pression artérielle et la vasoconstriction. Sans entrer dans les détails, l'angiotensine 2 est transformée à son tour par une enzyme appelée ACE2 (angiotensine converting enzyme 2, enzyme de conversion de l'angiotensine 2) en différentes autres angiotensines, fort utiles pour l'organisme. ACE2 est une protéine (une enzyme) arrimée à la membrane de plusieurs types de cellules en particulier les cellules de l'épithélium nasal, pulmonaire et plusieurs autres tissus de notre organisme. Les protéines de surface qui forment la couronne de la particule virale du coronavirus (voir article précédent *), possèdent une affinité chimique pour l'enzyme ACE2. Cette affinité chimique entre les deux entités ouvre la voie d'accès au coronavirus pour arriver à travers différentes étapes, au cœur de nos cellules pour y accomplir son cycle infectieux. Le coronavirus se fixe grâce à ses protéines (spéciales) situées à l'extérieur de son enveloppe phospholipidique à l'enzyme qui dégrade l'angiotensine 2 et commence à progresser vers l'intérieur de la cellule. Le complexe virus-ACE2 provoque l'invagination de la membrane cellulaire vers l'intérieur et forme une vésicule qui va migrer vers le cytoplasme où l'ARN du coronavirus sera libéré et entrera en action. Là où il n'y a pas de récepteurs spécifiques pour un virus particulier, les cellules ne seront pas infectées. ACE2 est l'objet de l'attention de la recherche scientifique pour le potentiel qu'elle offre dans la diminution des effets hypertenseurs de l'angiotensine 2. ACE2 amoindrit les effets de l'angiotensine 2 en la convertissant en plusieurs autres types d'angiotensine non hypertenseurs. Si les particules virales prennent comme cible ACE2, son effet hypotenseur est affecté : un dilemme en somme ! La logique serait de fermer cette porte d'entrée du virus, en imaginant une substance inoffensive qui réagirait avec le récepteur à la place du virus et surtout avant que le virus n'y arrive. Mais le fait est que cette porte d'entrée a une fonction réelle pour la cellule et pour l'organisme tout entier. Comment faire ? Les jeunes chercheurs ne baissent jamais les bras et au moment où nous lisons ces lignes, des armées entières de chercheurs dans le monde œuvrent pour trouver le moyen le plus sûr pour neutraliser cet agent infectieux qu'est le coronavirus, et font reculer les limites de nos connaissances concernant les agents pathogènes et leurs effets sur notre santé. Il y a des situations où les récepteurs ACE2 sont plus nombreux dans les cellules rendant le sujet plus vulnérable au virus du type coronavirus en lui offrant un plus grand nombre de portes d'entrée.
Affinité chimique et interactions virus-cellules
Au niveau cellulaire, les lois de la chimie et de la physique gouvernent les processus biologiques à la base de la vie cellulaire. Ainsi donc, l'interaction virus-cellules, l'affinité chimique et la collision aboutissent à la rencontre de deux entités biologiques incompatibles, que sont la cellule humaine dotée d'un récepteur spécifique et la particule virale du coronavirus dotée de protéines de surface, permettant à ce dernier d'accéder au cœur de nos cellules. Le système immunitaire réagit avec une certaine inertie et non instantanément. Il doit identifier le corps étranger avant de se préparer pour le détruire. Ajoutons aussi que quand le virus s'engouffre à l'intérieur de la cellule, il ne laisse pas de trace à l'extérieur pour que le système immunitaire l'identifie et le neutralise. Ajoutant aussi que le virus touche en premier lieu les tissus périphériques de l'organisme (la peau, les muqueuses nasales, le tissu pulmonaire, l'épithélium intestinal, etc.) dont la face externe ne baigne pas dans la circulation sanguine où le système immunitaire est actif, comme c'est le cas pour les tissus internes. Bien que les tissus externes se défendent par diverses sécrétions (salive, larme, suc gastrique, suc intestinal, mucus nasal ou pulmonaire), il est clair que cela ne décourage pas le coronavirus. Le virus est intercepté par le système immunitaire de l'organisme lorsqu'il se retrouve dans la circulation sanguine, pas avant. L'organisme humain a certes ses atouts mais aussi ses limites physiologiques : un organisme vigoureux se défend bien mieux qu'un organisme physiologiquement limité qui aura besoin d'une plus grande prise en charge médicale. L'être humain dispose du pouvoir de stopper les collisions entre les virus et les cellules de son organisme, d'éviter l'interaction entre les protéines S du coronavirus et de l'enzyme ACE2 de ses cellules et par conséquent d'éviter l'infection et la maladie. Ceci par une hygiène personnelle et collective, par l'hygiène du milieu environnant et par un comportement social coopératif, car le virus peut être bloqué si la voie ne lui est pas ouverte par les diverses négligences.
Qu'en est-il des autres virus ?
Le virus du SIDA (Syndrome de l'Immunodéficience Acquise), le VIH, utilise lui aussi un récepteur, appelé CD4, situé sur la surface externe d'un groupe de cellules sanguines engagées dans la défense immunitaire de l'organisme, les lymphocytes T. Ce qui handicape gravement les défenses immunitaires de l'organisme. L'interaction du récepteur cellulaire CD4 avec la glycoprotéine gp120 de l'enveloppe du virus aboutit à la fusion de celle-ci avec la membrane de la cellule cible et la progression du virus vers l'intérieur de la cellule. Mais la réalité semble plus compliquée car l'entrée de ce virus demande aussi un deuxième récepteur ou corécepteur (CCR5, C-C chemokine receptor type 5).
Le virus de la grippe aviaire H5N1 a comme récepteurs membranaires des molécules complexes (des oligosaccharides glycosilés terminant avec un acide sialique) ancrées dans la membrane des cellules épithéliales des voies respiratoires. La protéine de surface du virus de la grippe aviaire, une hémagglutinine, a une affinité chimique pour ces récepteurs membranaires et l'interaction entre les deux entités conduit vers la fusion de l'enveloppe virale avec la membrane de la cellule cible et la migration du virus vers l'intérieur de la cellule pour accomplir son cycle infectieux.
Nos cellules assurent avec le milieu qui les entoure des échanges de matière solide, liquide ou gazeuse avec une très haute sélectivité. Toutefois, des interactions chimiques peuvent se produire avec des substances inhabituelles comme les médicaments ou des substances polluantes, mais surtout avec des corps complexes comme les virus. Les récepteurs membranaires sont la voie par laquelle les virus arrivent à pénétrer au cœur des cellules humaines. La cellule qui ne dispose pas de récepteurs pour les virus n'est pas affectée, seules les cellules ayant un récepteur spécifique pour un virus seront affectées par le virus qui «reconnaît» sa cible.
Endocytoses à récepteurs
Serait-ce une faille dans la communication cellulaire au point où de grosses particules (relativement) comme les virus finissent par atteindre l'intérieur de la cellule ? Qu'en est-il des substances assez grosses dont la cellule a besoin pour fonctionner ? Clairement, les grosses structures moléculaires, comme les protéines par exemple, ne peuvent pas traverser la membrane cellulaire, elles sont exclues et seuls leurs acides aminés sont transportés à travers la membrane grâce aux transporteurs transmembranaires spécifiques des différents acides aminés. Toutefois, certaines protéines utiles pour la cellule, comme la transferrine qui transporte le fer à l'intérieur de la cellule, doivent traverser la membrane cellulaire et regagner le cytoplasme pour assurer leurs fonctions. La transferrine est une grosse molécule faite de 669 acides aminés et 44 fois plus lourde que le glucose. Elle transporte le fer d'un endroit à un autre de l'organisme et le transporte également vers l'intérieur de la cellule. Comment va-t-elle faire pour franchir la barrière membranaire de la cellule ? Des récepteurs de nature protéique (TfR, transferrin receptors) pour la transferrine sont ancrés dans la membrane cellulaire et réagissent avec elle avec une grande affinité. L'interaction est suivie d'une invagination de la membrane cellulaire et la formation d'une vésicule ou endosome qui va migrer vers l'intérieur de la cellule et libérer son contenu. C'est une endocytose à récepteur. Voilà qui ressemble à l'entrée de la particule virale au sein de la cellule, sauf que les résultats sont complètement opposés : dans le cas de la transferrine, la vésicule est dégradée à l'intérieur de la cellule pour libérer le fer qui sera intégré à l'hémoglobine, alors que dans le cas de la particule virale, la vésicule libérera l'acide nucléique viral infectieux et délétère pour la cellule !
L'incorporation des grosses structures par les cellules et un phénomène réel utilisé par différents types de cellules pour incorporer différentes particules pour différents buts allant de la nutrition à l'immunité de l'organisme. Les récepteurs situés sur la face externe de la membrane cellulaire réagissent par affinité chimique avec des substances ou des structures complexes comme les bactéries ou les virus, s'en suit alors une série de processus qui conduisent la vésicule formée vers l'intérieur de la cellule, soit pour libérer la substance utile au fonctionnement de la cellule, soit pour dégrader la substance ou le corps étranger à l'organisme comme c'est le cas des cellules sanguines qui phagocytent les corps étrangers. Dans le cas de l'incorporation d'une particule virale comme le coronavirus, la cellule perd la partie : l'ARN viral infectieux accomplira son cycle et donnera de nouvelles particules virales qui iront s'attaquer à d'autres cellules-cible.
Notre organisme est-il en mesure de surmonter par lui-même l'infection virale ? Comment prépare-t-il sa défense ? Peut-il s'en remettre sans aide thérapeutique ? De quel type d'aide a-t-il besoin ? Autant de questions qui attendent des réponses. Mais c'est une évidence, vaut mieux que le virus n'atteigne pas notre organisme, vaut mieux qu'il ne réagisse pas avec nos récepteurs ACE2, c'est un problème physique de contact, de contagion et d'infection. Les mesures barrières rappelées, matin et soir, sont un minimum pour éviter d'entrer en contact avec le virus qui n'a pas de remède pour le moment.
Ceci est un bref aperçu simplifié des interactions viruscellules humaines et des voies d'accès que les virus empruntent pour arriver au cœur de nos cellules. Beaucoup de détails concernant la diversité des récepteurs membranaires et les mécanismes de fixation des virus aux cellules et leur fusion avec la membrane cellulaire ont été occultés : le but est de répondre, même brièvement, à la question de l'accès des virus au cœur de nos cellules et particulièrement le coronavirus.
*Professeur en microbiologie, Laboratoire de mycologie, biotechnologie et activités des microorganismes, Département de Microbiologie, FSNV/UFMC, Constantine.


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