L'occasion de la célébration du 50ème anniversaire de la Convention UNESCO de 1970 relative à la lutte contre le vol e le trafic illicite des biens culturels, est une opportunité pour l'Algérie, en tant qu'Etat partie à cette Convention, de marquer un arrêt pour établir un état des lieux des acquis et des faiblesses dans la mise en œuvre de cet instrument normatif, en matière de prévention du vol et du pillage ainsi que du retour et de la restitution des biens culturels volés. Or, le contexte mondial, dominé par la pandémie du Covid-19, oriente, forcément, vers d'autres priorités vitales qui commandent une mobilisation soutenue, nationale et internationale, pour lutter contre un fléau mortifère, qui menace l'équilibre même de l'espèce humaine sur la terre. C'est, cependant, dans les interstices de cette pandémie, qui fragilise les systèmes et structures de gouvernance nationaux et mondiaux, que se nourrit et se développe le marché du vol et du trafic illicite des biens culturels, sous des formes innovantes, usant de méthodes et moyens sophistiqués et dont la vivacité échappe au rythme et à l'efficacité des mécanismes juridiques et institutionnels des Etats et des organisations mondiales. Ce marché s'adapte, aujourd'hui, à une nouvelle géographie comportementale, celle des gestes barrières, du confinement, de la distanciation et surtout de la réduction de la mobilité (diminution et arrêt des transports terrestres et aériens). Le dicton « la nature a horreur du vide » prend ici, tout son sens. Nous vivons une situation inédite, qui appelle la construction de nouvelles « niches écologiques » et le déploiement de nouveaux réflexes socio-culturels. Un nouveau chantier de réflexion pour l'UNESCO, qui doit adapter son format à cette réalité planétaire: le Covid-19 est un «patrimoine [génétique] commun de l'humanité». Les connexions entre les Etats et les organisations mondiales sont - momentanément - restreintes voire parfois interrompues, par réduction du flux des données et informations et autres contraintes d'ordre économique, entraînant des décalages et des distorsions dans les processus d'harmonisation et de mise en cohérence des règles et normes en vigueur. La pandémie du Covid-19, audelà la caractéristique sanitaire et de ses incidences multiformes, convoque l'attention de nos Etats - profitant du ralentissement de «l'horloge» économique - pour réaliser des introspections et des approfondissements, in situ, dans leurs dispositifs de protection des biens culturels mobiliers, dans la perspective d'un meilleur usage des conventions internationales. Il s'agira, tout particulièrement, de revisiter les schémas et modèles juridiques, institutionnels et organisationnels, de mesurer l'utilité et l'efficacité de leurs instruments opérationnels et d'envisager des solutions et alternatives qui soient en phase avec des réalités changeantes. Dans le domaine des biens culturels mobiliers (meubles), ceux susceptibles de déplacement et donc plus exposés au vol et au trafic illicite, l'Algérie ne semble pas être suffisamment encadrée juridiquement, pour s'établir, à l'aise, sur les espaces conventionnels de discussion et de négociation, notamment en matière de contentieux liés au vol, au trafic illicite et aux questions de restitution. C'est, surtout, dans le registre des musées et des collections, qu'un hiatus juridique profond est observé. D'aucuns considèrent qu'il est couvert par la loi n° 98-04 portant protection du patrimoine culturel, ce qui est faux et il faudrait s'en convaincre pour y remédier et d'une manière urgente. Sur les 108 articles que comporte cette loi, les mots «musée» et « collection » n'y figurent pas, seuls les biens culturels mobiliers, classés ou inscrits, au titre du patrimoine culturel, sont éligibles à la protection de l'Etat. Tout le reste n'est pas concerné par la loi n° 98-04, en premier lieu les musées et les collections. Comment nos pays voisins ont traité ce sujet et quelles réponses avaient-ils apportées, pour assurer et garantir la protection de leur patrimoine culturel mobilier ? Examiner leur expérience serait utile ; elle nous permet d'en mesurer les forces et les faiblesses, d'en tirer les enseignements et d'envisager des alternatives porteuses pour le cas de figure algérien, en connaissance de cause. Dans la loi tunisienne de 1994 sur le code du patrimoine (1), l'article 5 dispose : « ... La collection est réputée une et indivisible du fait de sa provenance d'un même lieu d'origine ou du fait qu'elle témoigne de courants de pensée, d'us et coutumes, d'une identité, d'un goût, d'un savoir, d'un art ou d'un événement ». Il est entendu, ici, que la « collection » n'est pas une somme de biens culturels, mais une entité intelligible, qui a une identité propre. Dans la loi marocaine de 1980, relative à la conservation des monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d'art et d'antiquité (2), l'article 2 dispose : « Au titre des meubles : - les objets mobiliers, y compris les documents... Ces objets peuvent être constitués d'éléments isolés ou de collections... ». Là aussi, la distinction est établie par voie juridique entre l'élément isolé qui est le bien culturel, et la collection qui a une identité autre. Dans la loi mauritanienne de 2005, portant protection du patrimoine culturel tangible (3), l'article 53 stipule : « ...Les biens meubles sont constitués d'éléments isolés ou de collection. La collection est réputée une et indivisible du fait de sa provenance d'un même lieu d'origine ou du fait qu'elle témoigne de courants de pensée, d'us et coutumes, d'une identité, d un goût, d'un savoir, d'un art ou d'un événement ». Cette loi reprend à son compte, les dispositions des lois tunisienne et marocaine, en insistant sur la distinction entre bien culturel collection. Dans la loi française de 2002 sur les musées de France (4), l'article premier dispose « ...Est considérée comme musée, au sens de la présente loi, toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l'éducation et du plaisir du public ». Cette loi sur les musées est davantage explicite puisqu'elle se distingue de la loi sur les monuments historiques, qui agit sur les biens culturels et non sur les collections. L'Algérie ne dispose toujours pas d'un outil législatif de protection des musées et collections. Comment expliquer ce vide juridique ? Il s'agit, pensons-nous, d'une situation de fait, maintenue par habitude et accommodement, héritage d'un contexte historique postcolonial spécifique, qu'il serait utile de revisiter. Une rétrospective de ce contexte nous fait remonter à l'année 1962, date de publication de la loi de reconduction de la législation française, dans ses dispositions non contraires à la souveraineté nationale (5), qui avait repris, à son compte, l'ordonnance de 1945 relative aux musées des Beaux-arts (6). L'article 2 de cette ordonnance disposait: «le musée désigne toute collection permanente et ouverte au public d'œuvres présentant un intérêt artistique, historique ou archéologique ». Entre 1962 et 1967, les musées et collections d'Algérie étaient régis par cette ordonnance, au moment où les autres biens culturels et naturels mobiliers et immobiliers étaient régis par des lois sur les monuments et sites historiques. En décembre 1967, l'Algérie se dote d'une nouvelle loi sous la forme d'une ordonnance sur les fouilles et à la protection des sites et monuments historiques et naturels (7). Curieusement, cette ordonnance n'inclut pas dans son champ de compétence les musées et les collections. Elle ne reprend pas l'ancrage l'ordonnance de 1945 sur les musées des Beaux-arts. En 1985, dans un contexte de réorganisation institutionnelle, il sera procédé à la création, par décret exécutif, d'un statut-type des musées (8), pour administrer et organiser l'activité muséale au sein d'un établissement public à caractère administratif (EPA), qui garantirait l'exercice du service public en matière de conservation et de présentation. Ce statut-type avait pris pour ancrage législatif l'ordonnance n° 67-281, alors que celle-ci n'avait aucune compétence en matière de musée et de collection. Le statut-type des musées de 1985, énonçait en son article 2 : « Les musées nationaux ont pour mission, dans le cadre du plan national de développement économique, social et culturel, l'acquisition, la récupération, la restauration, la conservation et la présentation au public, d'objets et de collections à caractère historique ou culturel ou artistique ». Nous voyons, bien, ici, l'anachronisme et la confusion des genres, qui font que des missions régaliennes, relevant du domaine législatif, sont consacrées dans un statut-type. Huit (08) musées nationaux seront créés en vertu de ce statut (9). En 2007, un nouveau décret exécutif est pris, pour fixer les conditions de création des musées, leurs missions, organisation et fonctionnement (10). Outre la forme EPA, le musée sera défini, en son article 2, comme« toute institution permanente disposant de collections culturelles et/ou scientifiques composées de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisées en vue de la connaissance, de l'éducation, de la culture et de la délectation». Le fait nouveau dans ce statut, outre l'anachronisme et la confusion des genres, réside dans la distinction établie entre le «musée national», classé par la valeur de ses collections du point de vue historique, artistique, culturel et scientifique et le «musée régional», par leur qualité régionale. Aucune des dispositions de ce statut ne renvoie à un support législatif opposable. En juin 1998, l'ordonnance n° 67-281 est remplacée par la loi n° 98-04 portant protection du patrimoine culturel. Nous nous attendions à une consécration juridique des musées et collections, mais, aussi curieusement, le sujet sera évacué. En 2011, un examen critique du statut-type des musées nationaux et régionaux avait permis d'envisager une nouvelle mouture qui, bien que non confortée par un dispositif législatif, ouvre de nouvelles perspectives de création d'institutions muséales à caractère national, avec ou sans collections (11). Le musée sera défini, en article 2 comme «institution permanente disposant de collections et/ou d'objet constitutifs de collections dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et qui sont organisés et présentés en vue de la connaissance, de l'éducation, de la culture et du divertissement». Ce nouveau statut ouvre le champ muséal aux collectivités locales et aux acteurs privés et institue, pour la première fois, le centre d'interprétation à caractère muséal. Il s'agit là, encore une fois, d'une question qui relève du domaine législatif, du code de la wilaya et du code de la commune. Ainsi que nous venons de le montrer, dans cet examen rétrospectif succinct, les musées et les collections algériens ne disposent pas d'un système juridique de protection. Seule la loi des domaines de 1990 (12) comporte une disposition en son article 16 qui stipule que : « Relèvent du domaine public artificiel notamment :...les monuments publics, les musées et les sites archéologiques ; les parcs aménagés ; les jardins publics; les œuvres d'art et collections classées... ». A cette disposition législative s'ajoute l'article 54, alinéa 2, du décret de 1912, fixant les conditions et modalités d'administration et de gestion des biens du domaine public et du domaine privé de l'Etat (13), qui dispose : «... lorsqu'une œuvre d'art ou un bien culturel mobilier présentant un intérêt national certain est classé dans les collections nationales, le dit bien est intégré au domaine public dès intervention de l'acte de classement dans la collection nationale et se trouve alors régi par les règles de la domanialité publique ». Par cette disposition il faut comprendre que les biens culturels constitutifs des collections nationales procèdent d'un acte d'incorporation dans le domaine public. Ces biens deviennent alors inaliénables, imprescriptibles et insaisissables. Ici, le classement des biens au sens de l'incorporation dans les collections nationales, au titre de la loi domaniale, n'est pas à confondre avec le classement des biens au sens des monuments historiques au titre de la loi sur la protection du patrimoine culturel. C'est cette grande confusion qu'il faut lever. Cet état des lieux sur la couverture juridique des musées et collections renseigne, notamment, sur les décalages et les anachronismes produits par le fait du hiatus juridique. Cette situation commande l'engagement d'une réflexion sur le sujet, une exigence qui est, par ailleurs, dictée par le nouvel agenda de l'Unesco relatif au nouvel instrument normatif sur les musées et collections. Les discussions devraient porter essentiellement sur la question du vide juridique et la nécessité de définir et de délimiter les champs d'application des notions de musées et de collections. Il s'agira aussi, de penser aux mécanismes et procédures d'incorporation des collections dans le domaine public de l'Etat, tel que prévu par la loi domaniale et de lever la confusion entre le classement et l'inscription au titre de la loi sur le patrimoine culturel et le classement envisagé dans le sens de l'incorporation dans le domaine public. Ce préalable conceptuel et méthodologique permettra de réfléchir ensuite aux modèles et systèmes institutionnels d'administration, de gestion et de management des musées et collections, dans la perspective de la décentralisation, en direction des collectivités locales, des associations et du privé. *Dr Renvois: (1) Loi n° 94-35 du 24 février 1994 relative au code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels. (2) Loi n° 22-80 relative à la conservation des monuments historiques et des sites, des inscriptions, des objets d'art et d'antiquité promulguée par le dahir n° 1-80-341 du 17 safar 1401 (25 décembre 1980) (B.O. 18 février 1981). (3) Loi cadre n° 2005-046 du 25 juillet 2005 Protection du Patrimoine Culturel Tangible de Mauritanie. (4) loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France (5) Loi n° 62.157 du 31 décembre 1962, portant reconduction de la législation française dans ses dispositions non contraires à la souveraineté nationale. (6) Ordonnance n° 45-1546 du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des musées des Beaux-arts. (7) Ordonnance n° 67-281 relative aux fouilles et à la protection des sites et monuments historiques et naturels. (8) Décret n° 85-277 du 12 novembre 1985, fixant le statut-type des musées nationaux. (9) Musée national du Bardo, Alger (décret n° 85-280 du 12-11-85) ; musée national des Antiquités, Alger (décret n°85-279 du 12-11-85) ; musée national des Beaux-arts, Alger (décret n° 85-278 du 12-11-85) ; musée national des arts et traditions populaires, Alger (décret n° 87-215 du 29-09-1987) ; musée national Ahmed Zabana, Oran (décret n° 86-135 du 27-05-1986) ; musée national Cirta, Constantine (décret n° 86-134 du 27-05-1986 ; musée national d'archéologie de Sétif (décret n° 92-282 en date du 06 juillet 1992) ; musée national Nasr-Eddine Dinet de Boussaâda (décret n° 93-50 du 06 février 1993). (10) Décret exécutif n° 07-160 du 27 mai 2007, fixant les conditions de création des musées, leurs missions, organisation et fonctionnement. (11) Décret n° 11-352 du 5 octobre 2011 fixant le statut-type des musées et des centres d'interprétation à caractère muséal. (12) Loi domaniale de 1990 ( ) n° 90-30, du 1er décembre 1990, modifiée. (13) Décret exécutif n° 12-427 du 16 décembre 2012 fixant les conditions et modalités d'administration et de gestion des biens du domaine public et du domaine privé de l'Etat.